Brève histoire du temps de travail : première partie

Avec l’arrivée de la loi El Khomri, les 12 heures de travail par jour et la semaine de 46 heures risquent d’être mises en place si la mobilisation sociale n’est pas à la hauteur de l’attaque que nous subissons. Mais pour se rendre compte de l’ampleur de ce recul social, il faut parfois regarder un peu derrière nous. Ce sont les différentes grandes mobilisations et grèves qui ont permis des améliorations du temps de travail et il nous semblait intéressant de revenir très brièvement sur ces évolutions.

1831 : Les premières grandes luttes de travailleurs commencent en France et notamment à Lyon à travers la révolte des Canuts. Ces ouvriers de la soierie lyonnaise ne veulent plus être payés à la pièce. Ils travaillent alors en moyennes 12 à 16 heures par jour. Les patrons français commencent à avoir peur de la capacité de révolte des travailleurs. Suite à cette lutte, ils commencent à être payés à l’heure de travail et non plus à la pièce produite.

1847 : En Angleterre, la journée de travail est limitée à 10h pour les femmes et les enfants.

1848 : La crise économique pousse des milliers de prolos dans la rue et provoque la chute du roi. Cette révolution est récupérée par la bourgeoisie qui met en place la seconde république. Par crainte des travailleurs qui ont fait la révolution et sont encore armés, le gouvernement provisoire fait passer en mars un décret limitant le temps de travail à 10h par jour à Paris et 11h en province, mais ce dernier n’aura jamais le temps d’être appliqué.

En effet, pour baisser le chômage et la misère qui a poussé les travailleurs à faire la révolution, le gouvernement provisoire met en place des « ateliers nationaux » ayant pour but d’occuper les ouvriers à un travail payé par l’État. Les travaux effectués y sont souvent fastidieux et inutiles, mais ces ateliers nationaux vont devenir de véritables ateliers pour l’émeute. Lorsqu’ils sont supprimés en juin, des milliers de prolétaires (travaillant ou non) prennent la rue et dressent des barricades. La répression de l’État bourgeois est sanglante puisque l’armée assassine 5 000 insurgés durant les affrontements et en exécute 1 500 autres sans jugement. Ensuite, l’État arrête plus de 25 000 personnes et en déporte pas moins de 11 000 vers l’Algérie. Après cette répression sanglante, l’État peut revenir sur les avancées sociales que la crainte d’une révolte ouvrière l’avait poussé à accepter. Le temps de travail est ramené à 12 heures par jour en septembre et cette limite n’est même pas appliquée dans tous les secteurs.

1866 : La première Association Internationale des Travailleurs (AIT) reprend le slogan popularisé dès le début du XIXème par Robert Owen « 8 heures de travail, 8 heures de loisir, 8 heures de sommeil ».

1886 : Le 1er Mai aux États-Unis, une grande grève générale mobilise plus de 340 000 grévistes pour obtenir la journée de 8h de travail. La lutte continue jusqu’au 4 mai où elle est réprimée dans le sang lors du massacre d’Haymarket Square à Chicago. Lors d’une manifestation, les flics tirent dans la foule et condamnent huit militants à la pendaison. La réaction du mouvement ouvrier est mondiale et des manifestations de soutien aux « huit de Chicago » sont organisées dans la plupart des villes européennes. Les habitants de Livourne se retournant même contre les bateaux américains présents dans le port, puis attaquèrent le siège de la police de la ville ou le consul étatsunien était réfugié.affiche-cnt-nord-pdc-loi-el-khomri

1889 : En hommage à la grève générale aux USA et aux huit de Chicago, le 1er Mai devient le jour international pour la journée de 8h. Tous les ans, les travailleurs du monde entier se mettront en grève générale pour obtenir la réduction du temps de travail à 8h par jour. Dès l’année suivante, cette journée de grève est pratiquée dans la plupart des pays industrialisés et devient la journée internationale des travailleurs.

1891 : Les flics tirent sur la foule lors du 1er Mai à Fourmies dans le nord et tuent 10 personnes, dont deux enfants. Le premier mai deviens alors un événement mondial et se met en place la tradition de porter une fleur : l’églantine rouge pour commémorer cette tuerie. Chaque année le mouvement prend de l’ampleur.

1892 : La durée maximum de travail pour les enfants est ramenée à 10h par jour. En permettant le travail 10h par jour pour les apprentis, la loi El Khomri nous fait à peu près remonter à cette époque, voir en 1847 si on se base sur les lois anglaises.

1900 : En réaction à l’organisation progressive des travailleurs et à la multiplication des grèves et de luttes sociales, le gouvernement vote la loi Millerand fait passer la journée de travail en France à 11h puis à 10 heures.

1905 : La journée de travail est limitée à 8h dans les mines.

1909 : Loi instaurant le versement du salaire régulièrement : tous les 15 jours pour les ouvriers et tous les mois pour les employés. Le projet de loi travail revient aussi là-dessus puisqu’elle permet aux patrons de ne pas payer les heures supplémentaires travaillées pendant … 3 ans en vous donnant des jours de congé beaucoup plus tard.

1919 : La situation est alors explosive un peu partout en Europe. La révolution bolchévique d’octobre 1917 fait craindre la contagion communiste aux patrons de l’ensemble des autres pays européens. Les conseils ouvriers se multiplient en Allemagne et les grèves continuent malgré l’écrasement par le Parti Socialiste Allemand de la révolution spartakiste.

En France, de gigantesques grèves se multiplient et le gouvernement et les patrons craignent la grève générale et la possible contagion révolutionnaire. Cela les contraint à adopter la journée de 8h, la semaine de 48h maximum et de rendre obligatoire les conventions collectives par branches. Mais cela n’empêche pas le développement de grandes grèves au mois de juin, qui revendiquent entre autres la semaine de 44h comme en Angleterre.

1936 : La crise économique de 1929 a atteint la France depuis plus de 5 ans et le taux de chômage est au plus haut pour l’époque. En juin, deux millions de travailleurs font grève et occupent leurs lieux de travail contre l’avis de leurs syndicats (CGT en tête) et du PCF, paralysant ainsi toute l’économie du pays. On est alors au bord d’une révolution et les syndicats tentent de calmer la situation en condamnant les séquestrations de patrons ou les tentatives de récupérer l’outil de travail. Ces gigantesques grèves de juin 1936 poussent le Front populaire au pouvoir à tenter de négocier un accord pour mettre terme à la lutte. Ce furent les accords de Matignon qui, entre autres, limitèrent la semaine de travail à 40h, augmentèrent les salaires de 15% et créèrent deux semaines de congés payés par an. Mais l’ampleur du mouvement social était telle que ces mesures ne pouvaient plus suffire à arrêter la grève. Faisant appel au « patriotisme » 1) et à la haine des étrangers 2), le Parti Communiste fit alors tout pour arrêter la lutte en menaçant les grévistes et militants révolutionnaires et en lançant la fameuse phrase par l’intermédiaire de son secrétaire général Maurice Thorez : « il faut savoir arrêter une grève ». Le mouvement social est alors coupé en deux, les militants de la CGT sont utilisés par le gouvernement pour faire cesser les occupations et les grèves. Ensuite pour les plus récalcitrants, l’armée est envoyée.

Le pire c’est que lorsque l’on parle du début du XXème siècle on s’imagine toujours des usines enfumée et des prolétaires qui crèvent dans les mines en se tuant à la tâche. C’était le cas, mais les boulots, quoique très durs, étaient effectués à des cadences bien moindres qu’aujourd’hui. La productivité par travailleur a littéralement explosé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’évolution technologique et la mécanisation de la production en ont été largement responsables, mais la machine, construite pour produire, a mis l’humain à son rythme. Au début du siècle, on passait 10 heures par jour au travail, aujourd’hui l’on passe 10 heures par jour à travailler, même si pour certains c’est en restant assis derrière un ordinateur.

Avant de continuer cette brève histoire du temps de travail jusqu’à nos jours, dans un très prochain article, rappelons que la loi travail tente d’imposer, entre autres, la journée de 12h et la semaine de 46 heures de travail ce qui nous ramène dans le temps à peu près aux alentours des années 1920.

PS :

Références et sources
1.« Nous estimons impossible une politique qui, face à la menace hitlérienne, risquerait de mettre en jeu la sécurité de la France. » « Les pourparlers rompus doivent être repris[…].La situation présente, ne saurait se prolonger sans péril pour la sécurité du peuple de France. » L’Humanité des 3 & 6 juin 1936. Le PCF utilise également le drapeau tricolore et chante la marseillaise durant les manifestations.

2.Les ouvriers continuant les grèves et occupations contre l’avis des syndicats et du PCF sont accusés d’être étrangers au syndicat, étrangers à l’usine voir étrangers à la France. La CGT dans son journal Le Peuple du 25 juin 1936 proteste violemment contre « cette intrusion des étrangers dans le mouvement syndical français ». Cet argumentaire est repris par le pouvoir pour justifier la répression en affirmant que les occupations était faite par des agents de l’étranger (sous entendu des fasciste voulant affaiblir la France). « La France entend rester fidèle à sa tradition de terre d’asile. Il ne serait pas cependant admissible que des étrangers puissent sur notre territoire prendre part de manière active aux discussions de politique intérieure [entendre les occupations d’usine] et provoquer des troubles et du désordre ». Les grévistes et les manifestants sont accusés de porter atteinte à la nation, d’être la main de l’étranger.

Daniel Guérin, Front Populaire révolution manquée, Marseille, Agone, p.192. On peut trouver certaines des citations à cette adresse : http://www.matierevolution.fr/spip.php?article1351

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