Communiqué du bataillon Queer anarchiste TQILA au Rojava

Retrouvé sur Insurrection News, nous traduisons ici en français le communiqué "Pas un pas en arrière !" du 1er août du bataillon queer anarchiste TQILA, qui combat au Rojava au sein de l’IRPGF.

Communiqué de TQILA-IRPGF, 1er août

La révolution sociale en cours au Rojava (Kurdistan occidental - Syrie) est l’un des plus grands flambeaux d’auto-organisation militante et de pratique révolutionnaire autonome du 21ème siècle. Alors qu’une brutale guerre civile a déjà coûté la vie à plus d’un demi-million de personnes en Syrie, les populations kurdes et d’autres groupes ethniques (comprenant des Yézidis, des Arabes, des Assyriens, des Arméniens, des Turkmènes et des Adyguéens, ainsi que des personnes provenant d’autres pays d’autres régions du monde) se sont dressés à la fois contre la barbarie de Bachar-el-Assad et du totalitarisme théocratique de Daesh, de façon à créer une entité démocratique qui transcende les archétypes de l’Etat-nation.

Aujourd’hui, cette expérience révolutionnaire naissante est menacée non seulement par les forces de Assad et de Daesh, mais aussi par les forces fascistes de Turquie ; par les forces impérialistes des Etats-Unis, de l’OTAN, de la Russie, de l’Iran et de Chine ; par la connivence du Gouvernement Régional Kurde (Irak, KRG) ; et par les forces contre-révolutionnaires, nationalistes, bourgeoises et fascisantes internes et externes. La lutte révolutionnaire kurde et l’embryon de projet de confédéralisme démocratique au Rojava ont été encerclés par des forces barbares, opportunistes et impérialistes qui cherchent à éteindre ce phare de liberté et remettre une fois de plus cette région sous le joug du capital et de l’Etat-nation syrien. Au nom de la "souveraineté" et de "l’unité", les forces impérialistes utilisent les révolutionnaires kurdes pour défendre leur intérêts régionaux et nationaux et s’en servent parfois pour sauvegarder leurs alliances régionales, leurs intérêts économiques et leurs positions stratégiques. Les pouvoirs régionaux et internationaux veulent perpétuer l’oppression, la domination et l’exploitation des Kurdes en Iran, en Turquie et en Syrie, tout en soutenant le KRG en Irak et la bourgeoisie kurde, tant que ceux-ci servent les intérêts du Capital et travaillent avec les forces impérialistes et fascistes. Cette guerre par procuration, qui sont peut-être les premières étapes d’une troisième guerre mondiale, est d’une importance capitale pour les révolutionnaires du monde entier.

Nous critiquons sévèrement les positions réactionnaires et contre-révolutionnaires de nombreux "anti-impérialistes" socialistes et communistes qui ont soutenu Assad au nom de "l’anti-impérialisme" mais ne reconnaissent pas sa sauvagerie et sa brutalité, ni le fait qu’il ait massacré des centaines de milliers de Syriens. De plus, ils ne reconnaissent pas la connivence de Assad avec Israël, la Russie et les USA ou sa politique réactionnaire à l’encontre des Kurdes et des autres minorités en Syrie, en plus d’abandonner le soutien à la lutte du peuple palestinien. Les géôles de Syrie continuent de se remplir de milliers de nos camarades révolutionnaires à mesure que l’Etat écrase le mouvement des travailleurs. Avant même que la guerre civile syrienne n’éclate, la politique socio-économique de Assad n’était faite que de réformes d’un néo-libéralisme avancé et du démantèlement de ce qu’il restait de l’état social que son père, Hafez al-Assad, avait mis en place. Nous dénonçons ouvertement tous ceux qui soutiennent la dictature de Assad, qui ne cherche qu’à étouffer la démocratie, l’autonomie et la révolution populaire. Nous critiquons aussi ceux qui soutiennent les différentes factions religieuses et les plus petits groupes qui sont en guerre contre Assad mais qui ne font qu’incarner les forces les plus réactionnaires de la région. Nous trouvons chez le PYD, le PKK et leurs alliés les forces les plus progressistes de la zone et nous reconnaissons leur caractère fondamentalement révolutionnaire.

Le combat pour l’autonomie sociale, l’égalité de genre, la démocratie directe et le contrôle des industrie par les travailleurs est au coeur du projet du Rojava et de l’objectif d’un Kurdistan autonome. Nous nous retrouvons dans la lutte contre toutes les formes d’oppression et d’exploitation combinées et soutenons la révolution en cours dans la région. Tout comme le Chiapas, le Rojava cherche à aller au-delà du traditionnel modèle d’Etat-nation qui est au centre de la plupart des luttes de libération nationale. Le PKK et Abdullah Öcalan ont fait une auto-critique de ce besoin d’Etat-nation et ont travaillé pour le dépasser.

Nous voyons la révolution au Rojava en tant que partie d’un plus large projet révolutionnaire de l’Union des Communautés Kurdes (KCK). Nous pensons que la libération des quatre parties du Kurdistan, que ce soit sous un régime autonome ou confédéraliste démocrate, sera nécessaire pour mettre un terme au génocide des populations kurdes et des autres minorités de la région. Nous pensons également qu’une révolution qui se dresse contre le nationalisme et le chauvinisme et prend racine dans la libération des femmes, l’écologie et le communalisme, est nécessaire pour combattre la croissance du nationalisme, du fascisme et du fondamentalisme religieux. Le Rojava est un laboratoire et la première marche vers la libération de l’humanité toute entière. Voilà la base révolutionnaire sur laquelle les révolutionnaires anti-Etat et les anarchistes peuvent soutenir la cause du Rojava, qui tend actuellement à renverser ce paradigme global.

En juin 2015, différents groupes communistes ainsi qu’un groupe anarchiste de Grèce ont annoncé la création du Bataillon International de Libération pour combattre Daesh et défendre la révolution au Rojava, tout en menant la lutte pour l’internationalisme prolétarien et le socialisme révolutionnaire.

Les Forces révolutionnaires internationales de guérilla, ’International Revolutionary People’s Guerrilla Forces (IRPGF), un collectif de lutte armée horizontal, anarchiste et auto-organisé, a commencé à travailler sur le conflit et à rechercher la meilleure façon d’y contribuer. l’IRPGF est constitué de camarades de l’Est et de l’Ouest, incluant des Kurdes et d’autres qui s’identifient à diverses communautés ethniques, sexuelles et de genre. Nos membres se définissent anarchistes, anarco-communistes, anarco-syndicalistes, anarchistes sociaux, anarchistes queer, anarcha-féministes, communistes libertaires, socialistes libertaires et marxistes anti-autoritaires. Notre unité, au-delà de ça, se manifeste dans l’adhésion à des principes et des valeurs anarchistes. En tant que tels, nous reconnaissons l’importance de la lutte au Rojava ainsi que la lutte plus générale au Kurdistan, en Turquie et dans la région, ce qui nous a décidés en tant que collectif à rejoindre cette lutte et à créer une base permanente dans la région.

Depuis la déclaration publique de notre existence et de notre appartenance au Bataillon International de Libération au cours de l’été 2017, nos membres ont combattu - et continuent de se battre sous notre bannière - à la fois lors de la Bataille de Taqba et de l’offensive de Raqqa. Depuis, l’IRPGF a rejoint l’équipe de gestion du Bataillon International de Libération aux côtés du Parti Communiste Marxiste-Léniniste (MLKP), des Forces Unies de Libération (BÖG) et de l’Armée ouvrière et paysanne de libération de la Turquie (TIKKO), avec une capacité de direction et d’administration sur les plans politiques et militaires. L’antifascisme et l’internationalisme révolutionnaire continuent de nous pousser à combattre aux côtés d’autres forces de guérilla et de l’armée du peuple au sein de la lutte populaire contre le fascisme de Daesh et de l’autre ennemi qu’est l’Etat turc.

Actuellement, les camarades de l’IRPGF se trouvent à Raqqa et participent avec le Bataillon International de Libération à des opérations de combat contre Daesh. Certains ont été confrontés à de rudes combats, des embuscades et des mines, des mortiers, drones et autres attentats suicides. Nos unités ne sont pas conçues pour ne fonctionner qu’à court terme, nous nous préparons pour rester dans la région et nous déployer à l’étranger en soutien aux révolutions sociales, où qu’elles se produisent, ce qui fait pour nous partie de la solidarité révolutionnaire internationaliste. L’IRPGF, en tant qu’organisation membre du Bataillon International de Libération, est directement sous le commandement des YPG, et donc par extension du SDF, mais conserve son autonomie.

Le 24 juillet 2017, l’IRPGF a annoncé la création de l’Armée Insurrectionnelle de Libération Queer (TQILA), un sous-groupe de l’IRPGF. Les anarchistes queer de l’IRPGF ont pris l’initiative de créer ce sous-groupe, avec le soutien de l’ensemble du collectif. L’idée d’une unité spécifique de minorités sexuelles et de genre est née de la longue lutte de nombre de nos camarades queers du Moyen-Orient. Certains d’entre nous avons des racines au Kurdistan et d’autres sommes d’autres zones du Moyen-Orient. Nous connaissons très bien les luttes des minorités sexuelles et de genre en cours dans la région. Nous pensons, en tant que Queers originaires ou actuellement présents au Moyen-Orient, que l’un des actes les plus radicaux que nous pouvons réaliser est d’annoncer notre existence aux populations et aux gouvernements qui clâment que nous n’existons pas. Nous existons et nous combattons la tyrannie, l’oppression et la domination avec celles et ceux qui, en nous voyant, en sont venus à nous aimer tels que nous sommes et non plus comme un stéréotype ou quelque chose dont il faudrait avoir peur.

TQILA considère cela comme l’opportunité d’entamer une discussion critique à propos du genre et de la sexualité au sein des partis révolutionnaires et des forces de guérilla. Nombre d’entre nous sommes au Rojava depuis longtemps déjà, et nous avons été les témoins des énormes avancées de la révolution des femmes en cours dans la région. Cela fait plusieurs mois que nous combattons à Raqqa et certains d’entre nous sommes là depuis Manbij. Nous pensons que les Queers doivent avoir une place dans la bataille. Nous sommes contre l’oppression et la domination car nous les avons vécues dans nos propres vies. Nous pensons que qu’en participant à ce combat, les gens ne nous verront plus comme une simple idendité, mais comme des camarades révolutionnaires et enfin comme des personnes qui, comme eux, sont prêtes à donner leur vie pour la libération.

La franchise de nos membres et leur identité n’ont été que des sujets secondaires. En fait, alors que de nombreux amis étaient initialement un peu lointains ou se sentaient mal à l’aise, ceux-ci ont vite réalisé que nos identités de genre ne nous rend en rien différents d’eux une fois sur le champ de bataille. Nous saignons, nous transpirons, nous puons et nous pleurons lorsque nous pleurons celles et ceux que nous aimons dans les combats. Nous avons vu une transformation s’opérer à la fois dans l’armée populaire, dans la guérilla et dans la population locale. Cette transformation est lente, mais nous avons confiance en les forces révolutionnaires, et plus particulièrement en les femmes du Kurdistan, qui continuent de faire progresser la lutte de libération pour tous les genres et minorités sexuelles.

Le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) a fait de grands pas en avant sur le sujet des femmes, guidé par les théories de Abdullah Öcalan. Pour le PKK et plus spécifiquement pour les Communautés des Femmes du Kurdistan (KJK), qui fait partie de la plus large structure de l’Union des Communautés du Kurdistan (KCK), la libération des femmes est un élément essentiel et fondamental pour la révolution sociale et pour la transformation de la société au Kurdistan et au-delà. D’autres partis avec lesquels nous sommes alliés, comme le Parti Communiste Marxiste-Léniniste Turc (TKP/ML), le Parti Communiste Marxiste-Léniniste (MLKP), les Forces Unies de Libération (BÖG) et le Parti Communiste Maoïste (MKP), entre autres, ont des avancées progressistes non seulement sur la libération des femmes, mais aussi sur la thématique LGBT*QI+. Ils les encouragent même à rejoindre les groupes de guérilla dans les montagnes. Dans la société civile en Turquie, le Parti Démocratique du Peuple (HDP) a fait de la lutte LGBT une pierre miliaire de sa plate-forme pour le progrès et le changement social. Actuellement, le HDP est sous le coup d’une répression extrême, avec la plupart de ses représentants en prison et nombre de ses bureaux attaqués par des fascistes de l’AKP-MHP de Erdoğan.

Nous reconnaissons qu’une grande partie de la population de la région, sous le joug des mentalités et des idéologies réactionnaires, féodales et conservatrices, ne sont certainement pas prêtes ne seraient-ce qu’à la discussion sur les droits des femmes, sans même parler des queers. Même au sein de la guérilla, le sujet peut parfois être tabou. Il existe au sein de la société kurde un maintien des attitudes conservatrices vis-à-vis des minorités sexuelles et de genre. Cependant, il existe aussi, en particulier chez les femmes du mouvement de libération du Kurdistan, les YPG et les YJA Star, qui s’engagent dans la critique, la théorie et l’analyse de la sexualité et du genre. Par exemple, dans les cours de Jineolojî, la nouvelle science des femmes développée par le PKK inspirée des théories de Öcalan, le genre est analysé en tant que construction sociale en utilisant les théories de Judith Butler et de Michel Foucault. Le fait que ces théories soient analysées et discutées par l’un des plus importants groupes de guérilla de gauche dans le monde, le PKK, au beau milieu d’une révolution et d’une guerre, est encourageant et inspirant. Nous pensons que le Rojava est en train de devenir un endroit qui sera assez progressite pour accepter les minorités sexuelles et de genre, si la révolution parvient à survivre à la guerre qui se profile contre la Turquie.

Nous voulons dire à ceux qui nous critiquent que le temps de la passivité, du silence et de l’oppression a pris fin. L’autodéfense est un droit et un devoir pour notre communauté et pour tous ceux et celles qui subissent l’oppression, la domination et l’exploitation. En ces temps de résurgence de l’extrême-droite, du nationalisme et du fascisme, l’autodéfense est non seulement une nécessité, mais une question de vie ou de mort. Comme le disent les Kurdes, “berxwedan jiyane” : “la résistance, c’est la vie.” Abdullah Öcalan parle du "principe de la rose" à propos de la libération des femmes. Il dit que la rose est belle mais qu’elle a des épines pour se protéger. Les femmes doivent donc se protéger et se défendre elles-mêmes à la fois contre l’Etat et contre l’oppression patriarcale. Cela a mené à la constitution de groupes de guérilla uniquement composés de femmes, les YJA Star dans les montagnes, les YPJ au Rojava et lesYJŞ au Şengal. Nous pensons que ce principe s’applique également aux minorités sexuelles et de genre. Nous voulons la paix, mais si nous sommes attaqués et réprimés en permanence, comme la rose, nous avons des épines et nous riposterons. Notre autodéfense nous a donné une nouvelle force et a forgé des liens révolutionnaires qui dureront toute notre vie et continueront à nourir et à enrichir les luttes de libération.

Notre identité et notre orientation sexuelle définit une partie de nous, mais nous sommes conscients de la culture, des religions et traditions locales. Nous n’exposons pas nos identités mais c’est un fait connu que nous demandons aux autres de les respecter. Il s’agit d’une priorité, pour le simple fait que les structures d’oppression qui cherchent à éliminer les Queers sont les mêmes qui oppriment les femmes, les travailleurs, les paysans, les minorités ethniques et autres. Notre combat pour la libération est lié à celui de tous les groupes opprimés. Si l’un d’entre eux est enchaîné, alors nous le sommes tous.

La déclaration de TQILA a reçu une couverture médiatique énorme, bien au-delà de ce à quoi nous nous attendions. Cet intérêt a conduit à ce que divers médias nous fassent des demandent d’interviews et de reportages exculsifs. Nous avons adressé des communiqués à tous les médias auxquels nous avons parlé, qui correspondent à l’ensemble du texte que vous venez de lire. Cependant, les médias ont mal décrit non seulement TQILA mais aussi l’IRPGF, le Bataillon International de Libération ainsi que notre relation avec les YPG et le SDF. TQILA n’est en effet pas un bataillon ou une brigade séparée, mais bien un sous-groupe de l’IRPGF. En tant que tel, il n’est pas représenté au SDF puisque l’IRPGF fonctionne déjà au sein du Bataillon International de Libération autonome en tant que quatrième composante de l’équipe de gestion qui a précédé à la formation du SDF. La déclaration du SDF n’est pas fausse mais met en lumière la relation complexe des unités sur le terrain. Pour résumer, TQILA et l’IRPGF existent tous les deux. Des camarades de TQILA-IRPGF combattent actuellement à Raqqa tandis que d’autres s’entraînent ou travaillent au Rojava. Nous continuerons d’avoir une présence permanente au Rojava et de lutter aussi longtemps que la révolution continuera et transformera la région vers la libération.

VICTOIRE POUR LA REVOLUTION AU ROJAVA !

VICTOIRE AUX BARRICADES, L’INSURRECTION SOCIALE ET LA COMMUNE !

POUR DES COMMUNAUTES ET DES COLLECTIFS AUTO-ORGANISES, HORIZONTAUX ET MILITANTS

POUR LA REVOLUTION ET L’ANARCHISME !

International Revolutionary People’s Guerrilla Forces IRPGF
The Queer Insurrection and Liberation Army TQILA

PS :

N’oubliez pas que vous pouvez contribuer à la campagne de solidarité d’achat de pansements hémostatiques pour les combattant-e-s au Rojava.

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