Compte rendu du procès du copain arrêté au Carnaval de la plaine

Le procès s’est tenu le 10 mai dernier et en voici un compte rendu détaillé. Celui-ci revient notamment sur les commentaires et questions hardcore de la juge et de la procureure. Cimer à tout.es les potos qui étaient présent.es en soutien !

Compte-rendu du procès de A. le 10 mai 2016 à Marseille

Résumé : A. a été arrêté pendant le carnaval de Marseille du 13 mars lors d’attaques du cortège du carnaval par énormément de flics (gazs, matraques). Il est le seul à avoir été arrêté. Les flics déclarent 3 blessés dans leurs rangs, dont un avec quelques jours d’itt (interruption temporaire de travail). A. a fait 2 jours de garde à vue à la fin de laquelle il a refusé la comparution immédiate. Il a été libéré et placé sous contrôle judiciaire et a été jugé 2 mois après. Il est finalement condamné à 4 mois de prison assortis d’un sursis total pendant 5 ans. Il est aussi condamné à effectuer un stage de citoyenneté à ses frais.

Un tribunal plutôt pro-flic, avec une morale de droite bien assumée, qui s’est permis de faire des remarques racistes ouvertement pendant le procès. Pour éviter une peine trop lourde, l’avocate, très compétente, a décortiqué le dossier du mieux qu’elle a pu, en restant sur une ligne juridique stricte, en choisissant d’éviter de partir dans des considérations politiques vu le rapport de force dans ce tribunal. On en ressort avec la nausée mais notre pote est dehors, ce qui n’était pas gagné en ces temps où la prison ferme est utilisée comme une bonne fessée aux personnes qui ne respectent pas notre merveilleux état de droit.

Compte-rendu du procès :

On est environ une dizaine de soutiens à l’intérieur du tribunal et une trentaine à l’extérieur avec une petite table avec des brochures anti-répression. À l’heure de la convocation, quelques voitures de flics devant le tribunal (à la fin plus qu’une).

On attend assez longtemps. On rentre, on sort, en attendant que ce soit son tour. Certains flics qui gardent l’entrée du tribunal sont un peu tendus. On assiste à quelques comparutions immédiates jugées ce jour. C’est le quotidien glauque de la justice française. L’avocate est confiante. Elle imagine la juge pas trop sévère, considérant que c’est elle qui l’avait libéré en mars et que peu d’éléments dans le dossier permettraient de le condamner. Vu l’ambiance en ce moment c’était plutôt "rassurant".

Au moment où A. est appelé, d’autres flics rentrent dans le tribunal pour nous surveiller et s’adressent à nous de manière crispée et autoritaire (« Mettez-vous là ! », « Ne cassez pas les tablettes ! »).

1. La juge déroule les motifs d’inculpation.

Il est accusé :

  • d’avoir résisté violemment à son interpellation,
  • d’avoir volontairement, en groupe, commis des violences ayant entraîné des blessures sans ITT sur deux flics,
  • d’avoir volontairement commis des violences sur un troisième flic cette fois-ci ayant entraîné quelques jours d’ITT.

2. L’avocate prend la parole sur la question des irrégularités de procédure :

Elle signale qu’un seul procès-verbal unique a été établi, avec seulement une heure de début (17h25 alors qu’il aurait été arrêté dans la rue à 17h05). Que ce PV comporte des irrégularités :

  • l’avis de la GAV au magistrat a été tardif selon elle ; il ne comporte pas non plus le nom du magistrat qui a été avisé de la GAV.
  • elle évoque que A. a été placé en période de dégrisement (0,4g d’alcool/litre de sang), ce qui leur a permis de différer le moment où ses droits lui ont été notifié à 00h09 ; elle note que la durée du dégrisement paraît longue par rapport au taux d’alcoolémie de A. et qu’en tout état de cause elle n’a pas été validée par un médecin comme il se doit.
  • elle parle des problèmes au moment de ses extractions pour être présenté aux magistrats.
  • elle dénonce enfin qu’il n’ait vu un médecin que le lendemain du début de la GAV à 10h alors que lorsque ses droits lui ont été notifiés à minuit, il avait déclaré avoir reçu un coup de matraque sur la hanche et a demandé à voir un médecin. Le médecin constate en effet sa blessure le lendemain.

Elle conclut en disant que les 36h de GAV ont été très longues et inutiles, vu qu’il ne s’est rien passé pendant les 20 dernières heures. Elle demande la nullité de la procédure de GAV (elle estime que les déclarations effectuées et les PV de GAV ne devraient pas être prises en compte dans le jugement). Elle argumente ses propos par une série de jurisprudences existantes.

3. La procureure fait des remarques sur ces causes de nullité.

Elle avance notamment que la jurisprudence n’impose pas tellement de formalisme dans l’avis au parquet. Elle signale que si la GAV était annulée, le dépôt de plainte des flics et l’interpellation suffiraient à juger A.

4. Ensuite, la juge reprend la parole pour parler du fond et des faits.

Elle raconte, comme si elle racontait une histoire, comment se sont déroulés les événements du 13 mars. Elle s’appuie sur les déclarations des flics et leurs dépôts de plainte.

« C’est le carnaval. Les policiers sont là pour s’assurer du bon déroulement de l’événement. Ils sont avisés que trois individus déguisés dégradent des caméras de surveillance en les taguant. La police intervient. Ils sont pris à partie par une trentaine d’individus. Ils se retrouvent au sol, encerclés par une foule qui les attaque. Ils sont tellement chahutés qu’ils sont obligés d’utiliser leurs matraques télescopiques. Ils décrivent des individus très agressifs et des insultes anti-police, ce qui est choquant dans cette période d’état d’urgence post-attentat. »

Elle continue à parler des déclarations des flics. Ceux-ci décrivent précisément les individus qui les ont agressé par leurs vêtements (des pantalons, des casquettes, des foulards de telle ou telle couleur). Ils déclarent qu’un individu est meneur et entraînent les autres à revenir à la charge. Qu’ils reçoivent des coups et des jets de projectile et qu’enfin, ils interpellent celui qu’ils ont identifié comme le meneur, en l’occurrence A. Ils décrivent qu’il résiste à son interpellation en donnant des coups de pied et qu’ils constatent ensuite son taux d’alcoolémie élevé. Qu’il est meneur « d’une foule qui s’est acharnée sur les policiers ».

Elle s’adresse ensuite à A. et lui pose des questions :
Après qu’il ait dit qu’il ne peut pas être meneur d’une trentaine d’individus vu qu’il ne connaît personne à Marseille, qu’il n’est pas d’ici.
« Pourquoi venir faire le carnaval à Marseille si on ne connaît personne ? Il n’y a pas de carnaval à Alès ? » « Vous avez déclaré "Policiers assassins !". Vous êtes un citoyen, vous êtes touché comme tous les autres français par ce qu’il s’est passé ces derniers mois. Ça va trop loin de déclarer "Policier assassins". Pourquoi se cacher le visage ? Si on a rien à se reprocher, on ne s’accroche pas à un poteau pour ne pas être interpellé. »

Elle évoque la résistance « plus ou moins violente » à une interpellation, qui est "plus ou moins" sanctionnée selon le degré de violence. Il s’agit quand même d’une rébellion.

« Et de la bière en plein après-midi ? » « C’est étrange d’être touriste au carnaval de Marseille ».

A. explique qu’il est intervenu pour s’interposer en voyant des personnes se faire taper par des flics.

Elle embraye : « Vous savez ce qu’est un régime dictatorial ? Si vous traversez la méditerranée et allez dans les pays arabes, vous verrez ce qu’est un régime dictatorial. »

Dans la salle, ça soupire un peu bruyamment. Les flics se lèvent et s’excitent en mode coup de pression. La juge dit : « Si des gens ne sont pas contents dans la salle, qu’ils dégagent ! ».

Elle continue : « D’où ça vient votre penchant anti-forces de l’ordre ? On a pourtant tous été à la même école de la république ? Pourquoi ce sentiment contre la police ? »

A. marmonne qu’il a été souvent malmené par la police dans sa jeunesse.

La juge continue : « Si vous faisiez un stage dans la police en ce moment, en cette période d’attentats, vous comprendriez que les policiers et les caméras sont là pour protéger les gens. »

Elle en vient à parler de sa personnalité.
J : « Vous habitez... Vous ne voyez plus votre famille ? Pourquoi ? Si vous avez envie de répondre ? »
A : « Je n’ai pas envie de répondre à cette question. »
J : « Vous avez échoué à votre CAP. Pourquoi ? »
A : « Je sais pas ».
J : « Et votre compagne, elle travaille ? Elle a le RSA ?... »

5. C’est au tour de l’avocate de la partie civile (les flics) de s’exprimer :

« A. a déclaré (dans le PV de GAV) que les policiers frappaient des personnes de manière arbitraire. Mais les policiers disent que lui menait une foule à les attaquer, incitait les autres à insulter et frapper. Il a été un des plus virulent à l’égard des policiers. Une trentaine d’individus les ont attaqué, dont A. Le policier qui a été blessé avec ITT ne peut pas identifier son agresseur vraiment, celui qui a jeté le projectile ayant entraîné sa blessure au crâne. A. est le meneur et l’auteur de violences sur plusieurs fonctionnaires de police. C’est sûrement lui qui a envoyé le projectile qui a blessé le policier au crâne. »

6. Intervention de la procureure :

« C’est dans l’air du temps. Il y a des manifestations plus festives que d’autres. Même si on peut vouloir exprimer des opinions, certains individus profitent d’événements, des manifestations, pour dégrader, commettre des violences, des outrages et des rébellions.
A. est un des principaux protagonistes. Il avait le bas du visage caché par un keffieh.
Il est de toutes façons co-auteur de ces violences qui sont caractérisées puisqu’il était dans ce groupe. Il est un citoyen. Il a voulu jouer au justicier, il faut qu’il assume.
Il a une haine des policiers.
Il faut respecter l’état de droit. Dans les pays du Maghreb, en Chine, en Corée du Nord, il n’y a pas de droits quand les policiers vous interpellent. J’espère que vous sortirez du tribunal avec une autre image des forces de l’ordre.
Il aurait pu aussi être inculpé d’outrage pour les insultes très violentes qu’il a proféré.
Vu que c’est un primo-délinquant, mais qu’il faut éviter la réitération et changer l’image qu’il a des forces de l’ordre, je requiers 6 mois de prison avec sursis. »

7. L’avocate de A. pour la plaidoirie de défense :

« J’ai senti une grande indignation dans le tribunal.
Il ne faut pas confondre manifestation et cortège de carnaval. Pourquoi serait-il suspect de venir au carnaval de Marseille ? C’est un événement festif et politique important dans notre ville. On la veut attractive...
Ce carnaval est une tradition, une institution. Déjà en 2014, on a interdit d’aller au bout de cette tradition en empêchant de brûler le pantin (caramentran) en fin de carnaval. Plusieurs interpellations et des condamnations lourdes. On a l’impression qu’en fait ce carnaval est attendu par les forces de l’ordre. Et qu’on peut se poser la question d’un état policier quand on voit que les forces de l’ordre sont surreprésentées dans un événement censé être festif. C’est un événement important, subversif, qui permet une critique de notre société.

A. voit des personnes (policiers en civil) rouer de coups des jeunes. Il ne comprend plus les raisons de l’encadrement policier. Il revient dans le cortège pour s’interposer.

Dans les pv on ajoute, puis on abandonne les infractions "incitation à rébellion", "incitation à la violence", "dissimulation de son visage" pendant un carnaval !

On le dit meneur d’un groupe de marginaux qui traînent souvent sur la plaine. Ne pas condamner A. parce qu’on a pas réussi, dans la confusion, à interpeller les 3 individus qu’on voulait interpeller. Ne pas lui mettre tout sur le dos.

Résistance violente ? Il s’est juste accroché à un poteau. C’est une résistance passive.

La rébellion ne doit pas être confondue avec de la violence.

Par rapport aux violences sur le flic avec ITT, aucun élément dans les 36h de GAV, pas de preuves, pas de confrontations. Confusions lors de l’interpellation de A.

Le contexte familial difficile de A. Pas d’antécédents judiciaire. Pas de résistance pendant la GAV. Ce n’est pas le casseur que vous voulez voir. »

Elle demande à ce que la partie civile soit déboutée et la relaxe de A.

8. Après suspension, rendu de la décision par la juge :

Sur les irrégularités, les policiers n’ont rien à se reprocher lors de la GAV.

A. est relaxé pour les violences ayant entraîné une ITT sur un des flics, faute d’éléments.

A. est déclaré - coupable des violences sans ITT sur les autres flics parce qu’il fait parti d’un groupe
- coupable de violences verbales
- coupable de résistance

Il est condamné à 4 mois de prison avec sursis pendant 5 ans et à effectuer un stage de citoyenneté à ses frais.

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