Insalubrité, gentrification : même combat !

De Noailles à la Plaine, en passant par la Belle-de-Mai et Belsunce, c’est toujours le même plan que la mairie de Marseille et la Soléam imposent : laisser pourrir les quartiers des pauvres pour pouvoir, ensuite, mieux les "valoriser", les "rentabiliser", les gentrifier...

Depuis deux jours, l’effondrement des immeubles de la rue d’Aubagne a suscité nombre de réactions. Au deuil et à l’attente de l’avancée des recherches des personnes disparues sous les décombres, s’est ajoutée, chez beaucoup d’habitant.e.s de Noailles, et du centre-ville, la colère. Si Gaudin et les responsables tiennent la pluie pour responsable de l’écroulement, beaucoup font le lien entre le drame de Noailles et la politique de la ville, menée par la Soléam, qui consiste à injecter des dizaines de millions d’euros dans des projets tape-à-l’oeil - la nouvelle tour "la Marseillaise", le centre commercial et la rénovation du Vélodrome, le projet de "montée en gamme" de la Plaine etc.

Pourrissement puis "valorisation" : le jeu de la mairie pour que les riches s’en mettent plein les poches

Revenons sur ce lien entre le fait de jouer le pourrissement des quartiers populaires et le phénomène de gentrification - de "valorisation" comme ils disent - qui s’en suit. Ceci n’est pas propre à Marseille. On le retrouve dans toutes les villes du monde. Mais, le fait est qu’à Marseille, cela se fait depuis des dizaines d’années de manière crue et brutale : on se rappelle évidemment du Panier il y a une bonne quinzaine d’années maintenant, de la rue de la République vendue au fond de pension américain Lehman Brothers, de la Joliette, etc.

Depuis 20 ans, le grand projet de la mairie de Marseille et de Gaudin est, comme chacun.e sait, de "reconquérir" le centre-ville, d’en faire un centre-ville propre et riche qui pourrait faire rentrer la ville dans la longue liste des "métropoles européennes qui comptent". En bref, de virer les pauvres du centre.
Pour se faire, les édiles se sont dotés de plusieurs outils : les officines d’aménagement urbain Euromed (pour la zone Arenc - La Joliette - Belle-de-Mai) et Soléam (pour le centre-ville notamment), les opérations comme "Marseille capitale européenne de la culture" (en 2013) ou "Ambition centre-ville". On retrouve évidemment bon nombre d’élus et d’adjoints à la mairie dans les organigrammes de ces structures. Et tous les moyens sont bons pour parvenir à l’objectif visé : demander de l’argent à l’Etat, à la région, à la métropole, voire même vendre des quartiers entier à des entreprises (Lehman Brothers par exemple) ; booster l’industrie culturelle pour ramener hipsters et touristes ; élaborer un plan de "préemption renforcée" ultra agressif (nous y reviendrons plus loin)...

Et en attendant, il s’agit de laisser pourrir les immeubles et les infrastructures collectives (les écoles par exemple) et, de fait, les laisser se "dévaloriser" tout en préparant la "revalorisation" à venir. Il s’agira aussi de se poser en "grands sauveurs du quartier abandonné" quand les élus commenceront leur plan de com sur le projet qu’ils auront concocté.

La requalification de la Plaine en est une parfaite illustration : 1) la mairie laisse pourrir la place pendant plus de 5 ans alors que les habitant.e.s lui réclament la réparation des lampadaires, le vidage des ordures comme il se doit, l’installation de toilettes etc. ; 2) la mairie se pointe avec son mirobolant projet à 20 millions, "montée en gamme", "sécurisation" et "place façade de la ville" ; 3) elle se pose en grande bienfaitrice du quartier auprès des habitant.e.s les plus riches et de ceux qui en ont ras-le-bol du délabrement de la place ; 4) elle refuse toute concertation et impose de force un chantier de 3 ans aux habitant.e.s et commerçant.e.s, à coup de CRS, de tronçonneuse et d’enceinte de béton.

Moins visible que les chantiers imposés à coup de millions et de matraques, la "préemption renforcée" tient plus de la "guerre de basse intensité" avec ses "frappes chirurgicales".

"Préemption renforcée" sur tout le centre-ville : la gentrification soft...

En juin 2017, le conseil municipal adopte un plan de préemption renforcée pour le centre-ville. Kézako ? La mairie devient prioritaire pour le rachat de tous les fonds de commerces et artisanaux : les locaux ayant dû baisser rideau pour des raisons économiques (ou autre) sont immédiatement convoités par la mairie sans autre forme de concurrence possible. Si la mairie décide d’acheter tel local laissé vacant, elle passera devant tous les autres repreneurs potentiels.

Ça lui permettra, comme le dit littéralement l’arrêté, de changer les types de commerces de Noailles : en finir avec les snack-kebabs, les taxiphones, les épiceries de destockage et les bazars,en finir finalement avec tout ce qui fonctionne bien à Noailles car bon marché (voir l’article du journal CQFD, Guerre au kebab). Mais, l’objectif affiché est également d’implanter, à la place, d’autres commerces, plus cultureux ou branchés, des concepts store, comme ceux qui se sont implantés en bas de la rue d’Aubagne par exemple, ou comme le Couvent Levat à la Belle-de-Mai. De la bonne vieille colonisation du terrain !!

Insalubrité, gentrification : même combat !

Face aux projets des Gaudin, Chenoz, Lotta, face aux aménageurs d’Euromed et de la Soléam (et à leurs amis bétonneurs), il faut résister et se battre. Exiger leurs démissions. Exiger un relogement immédiat, pérenne des personnes évacuées suite au drame de la rue d’Aubagne. Exiger un logement décent pour tou.te.s maintenant. Exiger l’arrêt des grands travaux inutiles et du chantier sur la Plaine. Exiger la fin du plan de préemtion renforcée. Organiser de grandes manifestations de tous les quartiers du centre-ville pour exprimer notre ras-le-bol et notre colère tou.te.s ensemble. Organiser des assemblées de lutte dans chaque quartier. S’organiser dans des collectifs de locataires contre les propriétaires véreux, qu’ils soient privés, publics ou bien mafieux. S’organiser collectivement, de manière coordonée, contre la gentrification de nos quartiers et la recrudessence de hipsters et de touristes. Liste à compléter...

PS :

« Les élus locaux sont les plus grands alliés des promoteurs immobiliers »

En bonus, voici quelques extraits d’un petit ouvrage intitulé "Travail et logement dans la société capitaliste" qui revient, dans un de ses chapitres, sur la logique capitaliste à l’oeuvre dans les villes, et insiste sur le lien entre quartiers laissé à l’abandon et gentrification...

Sur un marché immobilier en déclin, les maisons en excellent état ne sont pas louées parce que ce ne serait pas rentable. Les propriétaires ne peuvent maintenir leurs loyers que s’ils dépensent moins dans l’entretien de leurs biens. Les bâtiments se détériorent. La ville dépense moins pour l’entretien des infrastructures. Quand le marché touche le fond, la ville met la main sur des propriétés abandonnées ou dont les propriétaires ne sont pas en règle avec leurs impôts, et les promoteurs immobiliers achètent des terrains pour trois fois rien et se les gardent sous le coude. Les banques refusent de prêter de l’argent à qui que ce soit pour acheter une maison dans ce quartier. Les problèmes de drogue et de criminalité s’aggravent jusqu’à ce que les personnes restées dans le quartier mendient une quelconque forme de sauvetage. Alors les promoteurs immobiliers peuvent s’installer et commencer leur éternel « recyclage du quartier ».

Il arrive [...] souvent que certains projets de développement immobilier aient lieu dans des quartiers déjà existants. Dans ce cas, si l’on veut promouvoir l’usage le plus rentable possible de l’immobilier, il faut transformer des quartiers dont les logements sont abordables en quartiers où les logements sont destinés aux riches. Pour ce faire, on retire les habitants pour les remplacer par des gens qui peuvent se permettre de payer un loyer plus élevé. Le développement immobilier devient une
lutte dans la totalité du quartier.
Dans ce combat, les élus locaux sont les plus grands alliés des promoteurs immobiliers. Le budget de la ville provient souvent des taxes foncières, donc une hausse du prix des terrains entraîne une hausse des revenus de la ville. À mesure que les promoteurs achètent les terrains d’un quartier, la municipalité augmente la valeur estimée des autres terrains du quartier et augmente les taxes foncières en conséquence. Cela donne une impulsion aux autres propriétaires du quartier, leur permettant de passer à des loyers plus élevés. Les choix de la ville concernant les transports en commun peuvent aussi permettre une autre impulsion. Les transports entre des quartiers en développement et l’aéroport ou le centre-ville se développent. Une nouvelle autoroute vient séparer le quartier en développement du bidonville d’à côté. Et bien sûr, il y a la police. Des patrouilles agressives sont déployées en nombre, et sdf et mendiants se font bousculer et arrêter.

Le développement immobilier rapide, spéculatif, est une attaque évidente contre nous. Les bars, les cafés, les épiceries du coin où nous avions l’habitude d’aller faire nos courses sont remplacés par des versions plus chères des mêmes choses. On ne peut pas passer à côté des nouvelles voitures de luxe, ni de l’augmentation de la présence policière. Plus flagrant encore : les loyers augmentent. Nous devons travailler plus pour payer le loyer, ou bien il nous faudra déménager vers un autre quartier, et par conséquent mettre plus de temps pour aller au travail. Habiter dans un quartier ciblé par les promoteurs immobiliers est quelque chose d’étrange. Nous pouvons presque sentir que les hypothèses faites sur les prix des terrains sont fondées sur la certitude que nous allons quitter ce quartier. Cette attente implicite crée de la résistance. Nous allons rayer une Porsche garée dans une allée, jeter un pavé à travers la fenêtre d’un nouveau restaurant huppé, ou toiser ou harceler les nouveaux habitants d’un immeuble de luxe et essayer de faire en sorte qu’ils se sentent le moins bienvenus possible. Nous savons qu’ils attendent juste que nous quittions le quartier pour parler d’une renaissance.

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