Un petit décryptage de brève - ou comment la presse locale raconta un viol au conditionnel

"La Provence", mastodonte de la presse quotidienne locale, titre ce 19 novembre au matin sur son site internet "Marseille : un policier accusé de viol pendant une perquisition". Un petit décryptage de ce qui, dans l’article, nous a fait grincer les dents, et renvoie encore une fois à l’invisibilisation des victimes d’agressions sexuelles, et à la mise en doute de leur parole.

Le 19 novembre, la version web de la Provence propose à ces lectrices et lecteurs cette "Une"...

Mon regard est attiré par l’article, ce n’est pas tous les jours qu’un flic accusé de viol est inquiété par la justice. Ce n’est pas non plus tous les jours qu’il est fait mention dans la presse quotidienne régionale des violences commises sur les femmes par les "personnes dépositaires de l’autorité publique", violences dont le récit ne dépasse souvent pas les murs de la garde à vue.

Alors regardons ça d’un peu plus près.

Tout d’abord, l’article est positionné dans la rubrique "faits divers". Cela sonne un peu comme "ok, bon, mais c’est un cas isolé". Un fait divers est défini comme " un événement plus ou moins important qui ne relève ni de l’actualité mondiale, ni de la politique, ni de l’économie". Donc, le viol commis par un flic sur une femme, pendant une garde à vue, n’est, selon La Provence, pas un fait politique. Tout juste un fait divers, entre les concours d’aïoli et les inaugurations de supermarchés.

Ensuite, le corps de l’article, tentons un petit décryptage :

"Un enfant serait né de cette relation", dit le sous-titre. Tiens, dès le sous-titre, apparition du conditionnel, le mode du doute, de la suspicion, de l’éventualité du mensonge.

Ce mode sera utilisé quinze fois dans l’article qui ne fait pourtant que quelques paragraphes.

Certes, la presse n’a pas le droit d’affirmer là où une enquête est en cours. Mais la répétition du mode conditionnel donne à l’ensemble de l’article, notamment à tout ce qui concerne la victime, un petit air de récit, d’invention. ("Les faits se seraient déroulés en novembre 2010, mais la victime, âgée de 25 ans, n’aurait dénoncé les faits que tardivement. Vivant jusqu’à il y a peu en couple, elle aurait longtemps hésité, avant de s’y résoudre récemment, après la séparation d’avec son compagnon.") .

L’utilisation du conditionnel, qui semble ici si chère à La Provence, n’est pas toujours une habitude du journal. Par exemple, lorsqu’il s’agit de parler d’une fusillade, le journal décrit le plus souvent "un auteur connu des services de police", et lors des fermetures de mosquées au début de l’Etat d’urgence, la prétendue "radicalisation" n’avait, elle non plus, pas le droit au conditionnel. Pas plus de conditionnel pour "qui sont les casseurs ?" pendant le mouvement contre la loi travail.

Et puis reprenons cette dernière phrase. Pourquoi parle-t-on de sa séparation d’avec son compagnon ? Qu’est-ce que cela a à voir avec l’agression ? Le renvoi systématique des affaires de dénonciation de viol et d’agressions sexuelles à des troubles, des passages dépressifs, ou à la tristesse de la solitude, est un classique de la mise en doute des paroles de dominées.
Dans l’article, ce qui est sous-entendu, c’est que si elle était restée en couple, et donc, nécessairement, "heureuse", elle n’aurait pas eu besoin de dénoncer. La dénonciation des agressions sexuelles n’est ici plus qu’un dérivatif à la solitude, un moyen d’exister médiatiquement, d’attirer l’attention.

Ensuite, il est dit que "la justice a pris l’affaire au sérieux". Oui, merci la justice ! La justice veut-elle une médaille pour son immense considération ? On parle du grand nombre d’acquittement de policiers accusés de meurtres ? On parle du nombre de femmes ou de personnes trans ayant subi une violence immense en venant porter plainte pour viol, sans être écoutées par le flic qui les reçoit ?

La suite de l’article est globalement faite du même bois. Jusqu’à l’avant-dernier paragraphe, où il est dit "qu’un enfant serait né de cette relation éphémère". Un viol est ici qualifié de "relation éphémère", l’expression est belle, elle porte avec elle son lot de romantisme, "d’amant d’un soir". On le rappelle ici encore, un viol n’est pas une "relation éphémère", c’est une agression, une relation sexuelle non consentie.

L’article se clôt sur la promesse que des tests de paternité devraient ôter tout le "flou" de cette affaire, tant il est sûr que la grande science permet d’établir la grande "vérité". Là où la parole des femmes agressées est toujours au conditionnel.

Allez La Provence, cette fois-ci, franchement, je vais, m’en tenir à votre horoscope et à la météo.

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