ADN de l’état, ses flics et sa justice

« Pourquoi donner son ADN est dangereux et pourquoi nous serons devant le tribunal de grande instance de Dijon le 18 octobre 2019 à 13h30. » Un article publié sur Dijoncter.info rappelle comment le fichage ADN s’est progressivement généralisé, et la nécessité d’y résister.

Chronologie

Comme pour la mise en place massive de la vidéosurveillance, c’est depuis l’Angleterre (National DNA Database) que provient l’inscription de l’usage du fichage ADN dans les procédures pénales françaises à partir des années 90. Mais à la différence de l’installation des premières caméras de vidéo-surveillance, la création du fichage génétique par le Parti Socialiste en 1998 ne crée pas la controverse.

A l’origine, le fichage ADN est ordonné « uniquement » pour les mises en cause de délits et crimes sexuels. La maîtrise de la « technologie ADN » n’en est alors qu’à ses début et le grand public ne saisit pas vraiment tout ce qu’implique le nouvel outil répressif : on nous promet que cela permettra d’arrêter et de mettre en prison plus rapidement les violeurs et les pédophiles. En pleine fin des années 90 - marquées par les affaires Guy Georges/Marc Dutroux et portée plus largement par les associations de victimes de crimes sexuels - la création de ce fichier passe comme une lettre à la poste.

Cinq ans après son instauration, en 2003, le fichier compte déjà 2000 empreintes ADN. Et ce qui pourrait déjà paraître énorme ne l’est pas encore assez pour les flics et le gouvernement : trop peu d’affaires sont résolues grâce au Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques (FNAEG). La conclusion est simple : il faut plus d’ADN. Les fichiers (numériques, biométriques, génétiques…) portent en eux-mêmes la nécessité de leur extension. On ouvre alors le fichier à quasi toutes les mises en cause de crimes et délits - mis à part les délits financiers et routiers.

Cette fois-ci, l’opposition est un peu plus vive et la CNIL assistée par la gauche institutionnelle font ce qu’ils savent faire le mieux en pareil cas : s’indigner et s’émouvoir. A la mi-octobre 2004, près de 40 000 profils sont dans le fichier (environ 24 000 condamnés, 13000 suspects et 2400 traces non identifiées, enregistrées sur les lieux de crimes et délits).

Cette extension des catégories de crimes et délits permettant le prélèvement ADN ne donne pas pour autant plus d’informations sur le fichage en lui-même. On affirme que ne seront relevés que les marqueurs « non-codant », mis à part le sexe. Donc à priori uniquement des informations qui serviront à l’identification mais qui ne pourront pas permettre de définir l’origine ethnique ou géographique d’une personne ou sa prédisposition à certaines maladies.

A partir de 2007, Sarkozy et l’UMP passeront des années à dire tout et n’importe quoi pour faire passer cette technologie et son fichier comme utile et révolutionnaire.

En 2018, un nouveau cap est passé par la Macronie : les marqueurs « codants » de l’ADN sont désormais exploitables. Présenté comme une évidence scientifique et une nécessité pour s’adapter aux innovations futures, il devient aujourd’hui possible de révéler les caractéristiques héréditaires ou acquises des personnes fichées.

A cette heure, le FNAEG compterait entre 2 ,5 millions et 4,5 millions d’empreintes ADN (le chiffrage est différent selon la CNIL ou les flics). Et il augmente de 400 000 personnes chaque années.

La justice

Le 22 juin 2017, la Cour Européenne des Droits de l’Homme condamne l’État Français dans une décision cinglante : le fichage « constitue une ingérence », que les informations génétiques soient utilisées ou non par la suite. Elle balaye ainsi la défense classique faisant du fichage un procédé indolore aux personnes n’ayant rien à se reprocher : parce qu’il pré-constitue les personnes fichées en suspects potentiels de toutes les enquêtes menées chaque année, il porte, par essence, atteinte à leurs droits.

L’arrêt est sans appel : la France a violé le droit de la Convention Européenne des Droits de l’Homme en refusant de tirer les conséquences d’une décision du Conseil constitutionnel du 16 septembre 2010 (proportionner la durée de conservation des empreintes à la gravité des faits et ouvrir une voie d’effacement effective).

Partant de cette décision, la condamnation pour refus de prélèvement constitue, pour la CEDH, « une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et ne peut passer pour nécessaire dans une société démocratique ».

Aujourd’hui certains tribunaux français continuent malgré cette décision de sanctionner le refus de fichage ADN. Et si les condamnations ne sont pas les plus lourdes qui existent, elles permettent légalement aux flics d’obliger les personnes condamnées pour refus de prélèvement ADN à donner à nouveau leur ADN, enclenchant de nouveaux refus, de nouvelles condamnations et transformant alors tout individu en récidiviste. Et ces mêmes tribunaux n’ordonnent toujours pas automatiquement l’effacement des empreintes ADN pour les personnes relaxées.

Le Syndicat de la Magistrature déclarait déjà en 2009 : « personne ne prône le fichage généralisé mais, de fait, on est en train de l’effectuer. » Pourtant aujourd’hui trop peu d’avocats présents en garde à vue donnent à leur client le conseil de ne pas se soumettre au prélèvement ADN.

Les juges, les procureurs, les avocats sont feignants et surtout peu intéressés par les procès des petits gens : la haine de classe dégueule de leur réquisitoire et les feux de la rampe que leur apportent le droit de juger un Balkany ou un Tapie sont évidement plus bénéfiques à leur carrière. Quand ils jugent alors le commun des mortels, il faut que ça aille vite : ils croient fermement ce qu’on leur a rabâché depuis 20 ans, que la « preuve ADN » valait vérité. C’est un outil qui leur est devenu agréable.

Aujourd’hui nous devons considérer la justice comme complice du fichage généralisé des populations et du remplissage démentiel du FNAEG, entre autre.

L’État et ses flics

J’inclinerais, pour ma part, à penser qu’on naît pédophile, et c’est d’ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie. Il y a 1 200 ou 1 300 jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n’est pas parce que leurs parents s’en sont mal occupés ! Mais parce que, génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable.

Dans un monde où la menace terroriste est réelle et présente, dans des sociétés où l’affirmation du droit à la sécurité quotidienne est un enjeu majeur, le développement de la police technique et scientifique est un impératif absolu.

On ne peut pas accepter que l’État laisse dans la nature, sans aucun contrôle, de véritables bombes humaines aux pulsions monstrueuses

Ces types de phrases matraquées aux débuts des années 2000 pour faire accepter le fichage ADN, que veulent elles dire aujourd’hui, vers quoi nous ont-elles fait tendre ?

Il faut d’abord bien saisir qu’aujourd’hui plus que jamais, pour l’État, chaque individu peut-être une menace. Le fichage, ADN ou autre, fonctionne alors comme un outil pour distiller la peur et donc participe au maintien de l’ordre. Car une personne qui se sait fichée - à qui l’on affirme que l’on a les moyens de savoir quand elle se rend à des manifestations ou des blocages - a logiquement une appréhension qui pourra « l’aider » à faire le choix de ne pas bouger. Et si le fichage ne suffit pas il y les armes, la violence des flics.

Le fichage ADN, s’il est un maillon essentiel de la chaîne de la surveillance, n’est complètement efficace que s’il arrive à englober une somme importante d’individus. Aujourd’hui, pour rendre légitime une telle folie, émettre l’idée qu’un pédophile sommeille en chacun est idiot alors on nous recrache cette vieille idée « d’ennemi intérieur », ce « terroriste dormant » qui peut être n’importe lequel de nos voisins, de nos amis, « des bombes humaines aux pulsions monstrueuses » qui s’ignorent, mais qui se radicalisent plus vite que l’éclair en regardant une vidéo de Daesh ou des Gilets Jaunes...

Les grands criminels commencent généralement par commettre de petites infractions

En développant cet argumentaire pour amener l’idée qu’une société sous surveillance est nécessaire, l’État fait aussi le choix d’une « vérité biologique » : certains porteraient le crime en eux comme un virus. Et peut-être que leur familles sont aussi radicalisés d’ailleurs… En prison il faut les isoler pour ne pas qu’ils contaminent les autres.

L’État fait mine d’ignorer que la responsabilité de ses systèmes sociaux, culturels ou de productions dans tout les actes de délinquance ou de terrorisme est énorme : les inégalités et les faveurs qui se créent depuis le berceau jusqu’à la retraite, et qu’on retrouve à l’école, dans le logement, dans l’accès au travail, dans la pénibilité du travail, dans les loisirs, dans l’alimentation, dans l’accès à la culture… n’ont pas rien à voir dans le fait qu’une personne se rende coupable ou solidaire de délit. Il est certain qu’on retrouvera peu d’enfants de notables entrain de voler un homard à carrefour ou de trancher la gorge de ses collègues de travail.

Il est même logique que cette violence accumulée se retourne un jour contre ceux qui participent à la faire subir. Et si le geste difficile de choisir entre une vie révolutionnaire plutôt que réactionnaire est important, il n’est qu’un détail pour ce qui nous intéresse ici.

Passer tout cela sous silence, investir toujours plus dans le seul progrès numérique et biologique, c’est aussi marcher sur une route dangereuse où l’on penserait que tout ce qui constitue l’homme et donc la marche du monde est inné : à partir de là les pires scénarios sont possibles pour le futur.

Mais nous n’avons pas forcément envie ici d’imaginer le futur moche qu’on nous réserve. Trouver plutôt de la joie dans les possibilités de le combattre nous motive plus. Nous pensons qu’il est important de résister maintenant et de ne pas alimenter les fichiers qui permettront de bâtir ce monde.

En nous opposant au fichage ADN, nous voulons questionner le « progrès » et la place centrale occupée par la fabrication de profits sur tous les aspects de nos vies, qui fait vendre des armes plutôt que combattre la faim.

En nous opposant au fichage ADN, nous voulons questionner le fait que pour lutter contre « l’insécurité » on investit toujours plus dans les moyens de répression et de surveillance, plutôt que de tenter de désamorcer avec humanité, responsabilité et exigence les problèmes immenses dont les États occidentaux sont pour bonne partie responsables.

Lucie Aubrac avait pour habitude de dire - quand elle parlait du fichage ADN - que si un fichier de ce type avait existé dans les années 1930, aucun juif n’aurait pu être sauvé.

Cette résistante « juste parmi les justes » qui est décédée sans que son avertissement soit entendu, serait-elle d’accord aujourd’hui pour affirmer que la combinaison d’un fichier tel que le FNAEG aux moyens de surveillance actuels qui le complètent (drone, caméra à reconnaissance faciale, géolocalisation…) aurait permis d’écrasé sans problème n’importe quel maquis résistant contre les nazis ?

C’est la société à laquelle le fichage ADN nous conduit - sous couvert de « sécurité » - une société où les foyers de résistance seront impossibles. Nous voulons humblement nous opposer à tout ça.

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