« Ils ont fait les cowboys. Ils auraient dû le laisser passer et il n’y aurait pas eu de mort »

Le 20 septembre 2011, Serge Partouche est mort devant chez lui étouffé par des policiers.

Dans la chambre de Serge, lorsque l’on soulève un objet, le meuble a pris dessous une teinte différente, protégé à cet endroit de la lumière et du temps. Quand quelqu’un déplaçait quelque chose, même d’un millimètre, Serge le voyait et le repositionnait soigneusement. Il était autiste, avait 48 ans, vivait chez ses parents à Marseille. Il est mort le 20 septembre 2011, étouffé devant chez lui par des policiers.

Leur fils avait l’habitude de se promener seul dans les allées de Saint-Loup. Les voisins avaient tous vu grandir cet enfant « enfermé dans son monde » et connaissaient ses petites manies : arracher les feuilles des arbres, triturer les poignées des portails et rentrer chez les gens pour visiter les frigos. « Il était de nature assez peureuse, il suffisait de lui dire : « Tu sors Serge » et il sortait sans problème ». Il n’était pas violent, raconte son père. « Quand quelque chose n’allait pas, il se contentait d’agiter les mains au bout de ses bras et de rouler des yeux. ». Puis une nouvelle voisine s’est installée au milieu des années 2000. Elle ne supportait pas de voir ce garçon qu’elle trouvait trop étrange en liberté. Elle menaçait de le faire interner si les parents le laissaient sortir seul. Plusieurs voisins ont pourtant essayé de lui expliquer qu’il n’était pas dangereux.

Ce jour là, en début de matinée, elle appelle une nouvelle fois police secours, parce que le garçon actionne la poignée de son portail, fermé à clef, cadenassé avec une chaîne qui protège une toute petite maison carrée aux volets fermés derrière de lourdes grilles. Elle précise tout de même au téléphone qu’il est autiste mais le flic se contentera dans sa transmission de parler d’un « individu dangereux » essayant de s’introduire « violemment » dans une maison.

Quand l’équipage arrive, gyrophare et sirène hurlante, Serge prend sans doute peur et tente de partir en courant. Les policiers tentent de lui barrer la route, il en repousse un pour s’échapper. Plaqué au sol, un agent lui fait une « clé de cou » pendant que les deux autres lui font plier les genoux. Ils le couchent à terre sur le ventre pour le menotter, puis pendant que deux flics immobilisent ses chevilles et ses hanches, le troisième se met à genoux sur son dos, compressant ses poumons. Il poursuit la clé de cou, avec sa matraque, fracture le cartilage thyroïde du larynx. Son père arrive en courant et repousse le flic du dos de son fils. « Serge saignait par les yeux et la bouche », raconte son père. « Ils ont fait les cowboys. La demoiselle a même mis la main sur son arme. Ils auraient dû le laisser passer et il n’y aurait pas eu de mort. »

La famille a recueilli nombre d’attestations, témoignages de voisins, de médecins, sur sa gentillesse, son absence d’agressivité. Pourtant les expertises des médecins légistes ressemblent à un témoignage en faveur des policiers. Ils indiquent que « les constatations témoignent d’une lutte violente ». Serge a eu tout le visage abîmé, le larynx mais aussi plusieurs côtes cassées, les policiers ont eu entre un et quatre jours d’interruption temporaire de travail.

Selon le rapport légiste, son décès est dû à « une compression thoracique excessive, longue de 10 minutes, une période beaucoup trop longue (...) et à un étranglement (...), un geste technique de policier, qui a conduit à l’asphyxie ». La fiche technique consacrée aux menottages au sol dans les formations de la police précise que l’immobilisation ventrale doit être très brève, pour prévenir le risque d’asphyxie. Les policiers ne se souvenaient pas de cette fiche. La technique, interdite dans certains pays d’Europe, a valu à la France d’être condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme. Finalement condamnés le 4 novembre 2014, soit 4 ans plus tard, à seulement 6 mois de sursis pour avoir tué une personne, les policiers ont osé faire appel. Selon leur avocate, « [Ils] accueillent très mal cette décision. Aujourd’hui, la police ne peut plus travailler », a-t-elle lancé. Mais comment ne pas voir dans cet appel, que tout jugement éthique aurait dû leur interdire, un ultime affront à la famille avec l’allongement d’une procédure déjà interminable.

En sa mémoire, contre toutes les violences policières et contre la couverture systématique que leur offre la justice, rejoignez les appels à commémorer Zineb Redouane assassinée par la police alors qu’elle fermait les volets de son appartement il y a un an à Noailles.

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