Rencontres Zapatiste 2025 : face à la tempête qui approche, construire un nouvel internationalisme

Retour sur la Rencontre des résistances et des rébellions "quelques-unes des parties du tout" organisée par les zapatistes en août 2025 au Chiapas, avec une focale sur l’internationalisme à construire.

Ces derniers temps et malgré un État du Chiapas en proie aux conflits entre cartels, paramilitaires, l’armée mexicaine et des communautés paysannes qui ont parfois organisé leur propre autodéfense, les zapatistes ont été relativement prolifiques. Ainsi, du 13 au 19 avril, ils ont organisé la rencontre Art, rébellion et résistance vers le jour d’après dans les Caracols Jacinto Canek et Oventik ainsi qu’au CIDECI à San Cristóbal de Las Casas, au Chiapas, Mexique.

Dans la foulée de ce premier événement, l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN), mais aussi les nouvelles institutions autonomes que sont les Gouvernements Autonomes Locaux (GAL), le Collectif des Gouvernements Autonomes Zapatistes (CGAZ), les Assemblées des Collectifs de Gouvernement Autonome (ACGAZ) et l’Interzona, ont invité à la venue d’un autre événement. Celui-ci fut d’ailleurs l’occasion de présenter ces nouvelles institutions et le travail d’autocritique qui a menés les zapatistes à reconnaître que les communautés ne sont pas hermétiques aux tendances socio-économiques globales. Ils ont par exemple reconnu des problèmes de corruption de certaines autorités communautaires ainsi que des problèmes logistiques et d’éloignement géographique qui entravent le bon fonctionnement de certaines assemblées. Les zapatistes nous ont encore montré que les formes d’organisation (autonomes) n’ont pas à être figées, et qu’elles peuvent changer autant de fois que nécessaire, et que cela fait entièrement partie de la lutte pour une vie digne.

Mais revenons sur ce second événement organisé entre le 2 et le 17 août de cette année. Pour les zapatistes, la « tempête approche » et il faut renforcer les liens concrets de solidarité. Ces rencontres s’inscrivaient clairement dans le cycle historique qui s’ouvre devant nos yeux et dans lequel l’internationalisme redevient central. Ces rencontres se sont déroulées au Semillero Comandanta Ramona (Pépinière Commandante Ramona), dans le Caracol de Morelia, Chiapas, une structure collective immense et fruit du travail collectif, et qui ferait rêver plus d’un.e autonome !

Une fois encore, les zapatistes ont surpris par un nouveau format pour cette Rencontre des résistances et des rébellions "quelques-unes des parties du tout". C’est la première fois qu’ils organisent un événement sur deux semaines entières et qu’ils proposaient à chaque collectif de parler de leur lutte sur un créneau d’une heure. L’invitation était dirigée à tous les collectifs et organisations sociales amies du Mexique et du monde entier, afin de venir parler de leurs luttes actuelles, « avec des mots simples ». En effet, si la dimension internationale est toujours présente dans les événements zapatistes, celui-ci avait aussi une dimension de formation politique pour la base paysanne zapatiste. Près de mille « compas », originaires de tout le territoire zapatiste, se sont relayés pour suivre les exposés et prendre des notes pour ensuite faire des comptes rendus auprès de leurs communautés respectives.

Le titre comme le format de cet événement reflètent bien l’intention de nommer les multiples et innombrables manières dont le capitalisme opprime et détruit nos moyens de subsistance, mais aussi de reconnaître les formes tout aussi nombreuses et diverses par lesquelles la résistance et l’organisation se concrétisent dans le monde entier, contre une des têtes de l’Hydre capitaliste. Chaque personne, collectif ou organisation présente à cette rencontre a ainsi montré qu’elle était bien une partie du tout.

L’insistance des zapatistes à éviter les grands discours théoriques et de plutôt miser sur une « écoute collective, attentive et respectueuse » est à analyser comme une volonté d’échanger d’égal à égal, comme le précisait l’appel de ces rencontres : « Il ne s’agit pas d’exposer théoriquement les horreurs que fait le système capitaliste, mais de partager ce qu’on fait pour résister et se rebeller, c’est-à-dire lutter contre ça. On ne vous invite pas à faire des cours. On n’est ni vos élèves, ni vos apprentis ; on n’est pas non plus vos maîtres ou tuteurs. On est des parties, avec vous, d’un tout qui s’oppose à un système. Donnant-donnant. Vous nous racontez vos expériences, et nous, les peuples zapatistes, les nôtres. »

L’espace des rencontres a ainsi été organisé pour mettre en avant les expériences concrètes de résistance, les formes d’organisation de chaque collectif ou individu en tant que « quelques parties du tout », afin de favoriser la compréhension des pratiques quotidiennes de lutte dans leurs géographies spécifiques. Il n’y a pas eu de conférences magistrales, ni de cours pour apprendre à détruire le capitalisme, seulement des partages d’expériences de ce que chacun.e fait depuis sa géographie, avec les moyens qu’il a à sa portée. Cependant, les grands thèmes proposés et abordés ont été :
• Como mujeres que somos « En tant que femmes que nous sommes »
• Destruction de la nature
• Attaques contre la différence sous toutes ses formes
• Destruction des identités, des peuples et des communautés
• Résistance et rébellion dans l’art et la culture
• Migration, racisme et ségrégation
• Les guerres et la destruction de la vie
• Un espace libre pour des sujets divers, ou “Le thème que chacun•e décide”
• “Le tout ou les parties de ces thèmes”

Lors de la rencontre, ont convergé près de 2800 personnes et des organisations de 45 pays, Mexique inclus. On notera la présence de Palestinien.nes et de Kurdes, mais aussi d’autres « peuples originaires » comme des mapuches du Chili. On y retrouva un grand éventail de tendances politiques, des organisations marxiste-léninistes mexicaines aux anarchistes squatteurs de Santiago du Chili, des association civiles pour la défense des droits de l’homme comme le Frayba et quelques représentation syndicales européennes comme Sud Solidaire. Il y eut parfois des exposés surprenants, comme celui réalisé par deux jeunes travailleur.euses du aussi très jeune Syndicat Intégral italien, organisation qui promeut un « mutuellisme conflictuel » et qui vise ainsi à dépasser le supposé dilemme entre travailler à son autonomie interne (dans leurs cas, l’autogestion ouvrière en coopérative) ou orienter toute son énergie dans une perspective révolutionnaire (dans leurs cas, multiplier les reprises d’entreprises pour se réapproprier les moyens de productions et pouvoir intensifier la conflictualité avec le patronat). On notera aussi la présence de collectifs comme Les peuples veulent qui promeuvent un nouvel internationalisme par le bas et qui ont déjà établi des réseaux entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique Latine : prochaine étape en Asie ! Bref, les échanges étaient agréables de diversités, même si on peut toujours être surpris par la présence d’individualités dont les interventions sont imprégnées de libéralisme existentiel… symptôme de notre époque de l’ego où règne l’individualisme.

Imaginer et construire le commun : “le jour d’après le capitalisme”

Les premiers jours ont été ponctués de plusieurs pièces de théâtre à taille réelle sur l’esplanade central, ce qui révèle le dynamisme culturel et la formation politique qu’ont mis en place les zapatistes. Comme acte d’ouverture, les zapatistes signalèrent que la pyramide est une métaphore efficace pour montrer que dans le capitalisme, nous sommes nombreux à être à la base, soutenant les élites qui veulent tout pour elles et leurs descendants, resserrant chaque jour un peu plus le nœud qu’elles nous ont mis autour du coup, avec leurs attaques directes contre notre capacité à continuer d’exister et à mener une vie digne. Étant pris dans les fondations de cette pyramide, il nous faut apprendre à bouger tous.tes en même temps, depuis la position que nous occupons, pour espérer un jour faire tomber ceux d’en haut et renverser les structures qui ne nous servent plus, et en construire d’autres.

Photos récupérées de Radio Pozol et desinformemonos.org, août 2025.

On retiendra aussi cette scène de théâtre pleine d’émotion et d’un humour propre à la culture mexicaine, dans laquelle une assemblée de morts, ainsi qu’une autre assemblée de « non-né.es », questionnent la communauté des vivants : pourquoi n’en faites-vous pas plus pour lutter contre ce monde de mort et pour détruire la pyramide ? Nous, vivants, ils nous incombent donc de lutter pour la vie, la nôtre et celles des autres à venir !

Photo récupéré de desinformemonos.org, août 2025.
Après avoir entendu parler de la diversification et de l’intensification des violences qui nous arrachent notre dignité (disparition forcée, esclavage, génocide…), les zapatistes ont aussi rappelé ce qui est non négociable : la défense de la vie digne et des moyens de la vie. C’est pour cela qu’un des fils rouges de la rencontre a été la dénonciation du génocide du peuple et de la spoliation du territoire Palestinien, ce qui fut mis en parallèle avec la lutte des familles et des mères des plus de 130 000 disparu.es au Mexique. La défense du territoire est donc une lutte pour la vie, et la défense historique de « la terre pour qui la travaille », devient plus pertinente que jamais si on considère l’avancée des groupes du crime organisé mais aussi des projets agroindustriels, des firmes pharmaceutiques, des énergies vertes, des complexes touristiques qui polluent, nous dépouillent et nous excluent. Il est donc plus que nécessaire de renverser la pyramide !

Les rencontres ont aussi été l’occasion pour plusieurs dizaines de militants de participer à des ateliers de confection artisanale de sucre de canne, de construction de paillotes (palapas), mais aussi d’aller visiter le chantier de la clinique chirurgicale (el quirófano). Sur ce point, les zapatistes ont d’ailleurs précisé qu’il ne s’agissait pas d’une clinique pour les zapatistes, mais d’un outil commun, qui servirait à soigner quiconque en a besoin dans la région. C’est donc un objectif commun et tout le monde et donc invité à aider le projet, en envoyant des médecins formateurs, du matériel médical ou des sous pour terminer de le construire.

Photo des auteur.es
Quant à la fin des rencontres, elles nous ont surprises sous plusieurs aspects. Tout d’abord, la pré-clôture des rencontres fut une séance de questions-réponses entre le public étranger et le Sous-commandant Moisés et plusieurs délégués de l’assemblée interzone. Si quelques questions techniques sur les nouvelles formes d’organisation des institutions autonomes avaient leurs pertinence, nous avons été surpris du nombre de questions « idéalistes », pour ne pas dire naïves, presque toujours posées par des personnes venues des villes ou de pays occidentaux, et dont les profils oscillent entre le hippie et le touriste-militant (quelqu’un qui ne sait pas vraiment où il met les pieds). C’est ainsi qu’après des commentaires élogieux se succédaient généralement des questions cherchant à découvrir le secret des zapatistes : quelle est LA solution ? Comment avez-vous réussi à faire tout ça ? Que penses vos grands-mères de vos réussites ? Comment conscientiser efficacement les jeunes ? Le sous-commandant Moisés a souvent fait la même réponse, de manière sérieuse ou plutôt humoristique quand il voulait dissimuler son agacement, mais qui en substance était toujours la même réponse : n’idéalisez pas nos communautés, ce qui est nécessaire c’est l’organisation !

Nous nous permettons ici une analyse propre, non seulement car elle se rapproche de la position zapatiste de critique des enfermements idéologiques qui brident la convergence effectives des luttes, mais aussi car nous sommes convaincus, qu’en occident principalement, mais en réalité partout où s’est imposée la modernité capitaliste, s’est installé un libéralisme existentiel comme forme d’être au monde, une attitude qui s’appuie sur un idéalisme méthodologique (une façon de construire les raisonnements). Cette méthode de pensée, non assumée comme telle, amène à fétichiser ses idées, à surestimer leur rôle dans le changement social (l’idée viendrait d’abord, puis nous agirions). Cet idéalisme latent invite à croire qu’une bonne éducation est la clé d’une société malade ou qu’une idée magique peut servir de modèle pour renverser le système capitaliste ou d’autres formes d’oppression. Pourtant, une bonne idée anticapitaliste ne fleurit pas parce qu’elle est ingénieuse, ni se s’impose parce qu’elle est logiquement bonne. Les idées ne suffisent d’ailleurs jamais, il faut des gens pour les incarner, pour les rendre pratiques, pour les diffuser. Les idées doivent donc être replacées à leur juste statut : elles sont des connaissances qui servent à éclaircir le monde et en ceci elles doivent orienter la pratique révolutionnaire, et non réduire cette dernière à un combat d’idées ! C’est le mirage démocratique, proposition idéaliste et libérale, qui nous a fait croire que la liberté d’expression est un droit suprême et que les idées peuvent sauver le monde.

Quant au discours de clôture, il fut si émouvant et enthousiaste qu’il laissa l’amertume idéaliste derrière nous, rappelant l’évidence : il faut apprendre à faire ensemble, laissons les grands discours derrière nous. En ce sens, il est évident que la solidarité avec Gaza ne peut être que matérielle, et le sous-commandant Moisés insista alors sur le fait que nous tous.tes devions chercher dans les mois à venir comment envoyer de la nourriture en Palestine. Ce qui se passe à Gaza doit nous rappeler que la crise est mondiale et que la barbarie est proche. Pour les zapatistes, la tormenta (la tempête) désigne la catastrophe capitaliste à venir, que ce soit une 4ème guerre mondiale, un système fasciste globalisé ou qu’elle prenne une forme inattendue, elle approche. L’internationalisme n’est donc pas un caprice militant, une « idée intéressante », mais une nécessité pour faire face à ce qui vient, ce qui appelle à sa mise en pratique. Au boulot !

Monica & Renaud (México & Caen)

PS :

PS : alors que nous terminions d’écrire ces lignes, nous apprenions que début octobre, des personnes accompagnés par l’armée mexicaine, donc soutenu par le gouvernement de « gauche » de la 4T, sont venus reprendre 43 hectares de terres aux zapatistes. Nous attendons d’en savoir plus mais c’est une attaque sans précédent qui n’augure rien de bon…

A lire aussi...