Une pluie d’APP ? Mettons la justice sous l’eau !

Ce jeudi 2 octobre s’est tenue une nouvelle journée de mobilisation s’inscrivant dans la continuité du mouvement initié le 10 septembre. Après une manifestation syndicale partie du Vieux Port en fin de matinée, un rassemblement est annoncé à La Rose en début d’après-midi. À proximité d’Eurolinks, une entreprise maintes fois dénoncée pour produire des éléments d’armement à destination d’Israël, ce rassemblement est très rapidement contenu et nassé par un important dispositif policier constitué de CRS et de la BAC.

S’en suivent plus d’une centaine d’interpellations et de gardes à vue, remplissant les geôles des commissariats de toute la métropole, d’Aix-en-Provence à la Ciotat, en passant par Aubagne, l’aéroport de Marignane et bien sûr Marseille. Alors même que la flotille en route pour briser le blocus à Gaza est interceptée par les forces israéliennes, ces arrestations massives surviennent après plusieurs blocages matériels visant le site industriel génocidaire de la Rose.

Après une répression physique intense sur un rassemblement de soutien à des camarades enfermé.es le 10 septembre, c’est une répression judiciaire massive qui tente tant bien que mal de briser le mouvement en cours les 18 septembre et 2 octobre à Marseille. Comme toujours, la répression cherche, en provoquant des blessé.es et des inculpé.es, à nous faire peur et à nous isoler. Ces interpellations de masse se retournant contre elle – les flics dépassés par le nombre produisent des dossiers d’une faiblesse atterrante –, la justice tente d’utiliser son nouveau joujou répressif : l’avertissement pénal probatoire (APP), qui vient remplacer et durcir depuis le 1er janvier 2023 le rappel à la loi.

Après avoir été largement employée à Paris et à Nantes ces dernières semaines, cette mesure s’abat désormais massivement sur la mobilisation marseillaise. Au total, ce sont 112 personnes qui sortent de garde à vue (GAV) avec une convocation à paraître devant le procureur dans le cadre de cette procédure. Par ailleurs, trois personnes font l’objet d’une composition pénale et cinq autres sont poursuivies.

L’APP, ou comment juger sans juge

Quel est donc ce nouvel outil répressif ? L’APP fait partie de ces « mesures alternatives aux poursuites » pensées dans un but d’optimisation de la justice – désengorgement des tribunaux, expédition des procédures et condamnations rapides –, au même titre que la composition et l’ordonnance pénale. Initialement mises en place pour sanctionner rapidement des infractions de faible ou moyenne gravité, en particulier des délits routiers, ces mesures sont rapidement élargies à un ensemble plus vaste de situations et frappent désormais de plein fouet les mouvements sociaux.

À la manière des comparutions immédiates pendant les Gilets jaunes, ces mesures visent à freiner les mouvements en poursuivant un maximum de personnes à moindre coût pour l’État. Cependant, là où les premières assurent encore la tenue d’un débat contradictoire avec la possibilité de se défendre, les alternatives aux poursuites permettent la mise en œuvre de restrictions de liberté et de sanctions en évitant la tenue d’un procès en bonne et due forme. Elles consacrent ainsi un élargissement du pouvoir judiciaire, en initiant des poursuites à l’encontre de faits ou de dossiers qui, auparavant, n’en auraient pas nécessairement fait l’objet.

Parmi celles-ci, l’APP se distingue par le fait qu’elle n’implique pas une validation par un.e juge de la décision du.de la procureur.e. Elle ne peut être mise en place qu’à condition que l’infraction reprochée soit un délit ou une contravention, qu’il ne s’agisse pas de faits de violences à l’encontre de personnes ou de délits contre une personne dépositaire de l’autorité publique, et que l’inculpé.e n’ait pas d’antécédents judiciaires.

Concrètement, à la fin d’une garde à vue, une convocation est remise à l’interpellé.e pour se présenter devant un.e procureur.e ou l’un.e de ses délégué.es. À la condition de la reconnaissance de sa culpabilité, la personne prévenue peut bénéficier d’un classement sous conditions, c’est-à-dire de la garantie de ne pas voir figurer les faits reconnus à son casier dès lors qu’elle accepte de se soumettre à une période probatoire d’un an dans le cas d’une contravention, ou de deux ans dans le cas d’un délit, durant laquelle elle ne doit pas être de nouveau arrêtée au risque d’une révocation de l’APP et d’une relance par le parquet des poursuites initiales. Il ne s’agit pas de récidive au sens pénal strict, dans la mesure où toute nouvelle infraction, en lien ou non avec le délit initial - vol, usage ou détention de stupéfiant, participation à un rassemblement interdit, etc. -, commise pendant la période probatoire peut entraîner la révocation de l’APP et le retour à des poursuites pour les faits initiaux.

Étant donné que la signature de l’APP est conditionnée par la reconnaissance des faits, il devient plus difficile de se défendre en cas de non-respect de la période probatoire. En plus d’acter la culpabilité de l’interpellé.e, et donc d’empêcher toute contradiction sur ce point, y compris en cas de relance des poursuites, cette période probatoire peut s’accompagner d’autres peines : stage de citoyenneté, travaux d’intérêt général, interdiction de séjour ou de paraître, interdiction de contact, contribution citoyenne, etc.

Poussant à outrance la logique de justice expéditive, le gouvernement a donc désormais mis en place un dispositif permettant de juger sans juge, et parfois sans magistrat – les délégué.es du.de la procureur.e pouvant être issu.es de la société civile. La condamnation est ainsi prononcée sur la base d’un dossier constitué principalement sur l’appréciation des policier.ères.

Quelles stratégies pour s’en défendre ?

En premier lieu, il est essentiel de ne rien déclarer en garde à vue. Ne rien dire est un droit et la meilleure stratégie à adopter face aux manœuvre policières. Contrairement à ce qu’ils peuvent affirmer, parler ne fait pas sortir de garde à vue plus vite – cette décision revient à un.e procureur.e ou juge d’instruction.

Dans le cadre d’arrestations massives comme ces derniers jours, l’un des moyens les plus efficaces pour les flics et la justice d’aboutir à des condamnations est d’obtenir des aveux. Or, reconnaître sa culpabilité entraîne fréquemment la mise en œuvre de procédures accélérées, telles que l’avertissement pénal probatoire (APP) ou encore la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Reconnaître les faits réduit considérablement les marges de manœuvre pour élaborer sa défense.

Devant la police et la justice, ne jamais avouer, ne rien déclarer !

Quoiqu’il se soit passé durant l’interpellation et la garde à vue (GAV), même si tu as reconnu les faits et signé le procès verbal de GAV, rien n’oblige à se présenter à l’audience ni à signer l’APP.

À la sortie de la garde à vue, lorsque la convocation à comparaître devant un.e procureur.e ou l’un.e de ses délégué.es est remise, il est préférable de refuser l’accord proposé par le parquet (en ne signant pas la convocation et en ne s’y présentant pas malgré les pressions exercées par la police), dans le but d’amener la justice à engager des poursuites dans le cadre d’un procès pénal ou de les abandonner.

Cette stratégie, d’autant plus percutante si elle est généralisée, présente deux avantages :

  • Au-delà de l’appréhension que peut susciter une audience au tribunal, il est toujours plus favorable de se défendre lors d’un procès. Il permet un débat contradictoire et de mettre en évidence la faiblesse des procédures expéditives et bâclées de la police. Les vices de procédure sont fréquents, d’autant plus lors d’arrestations massives. Se défendre en procès permet d’obtenir la relaxe et l’acquittement alors qu’une « mesure d’alternative aux poursuites » (composition pénale, CRPC, ordonnance pénale, APP) assure une sanction peu importe la fragilité du dossier.
  • S’opposer à l’accélération des procédures et à la réduction des coûts de la justice, c’est participer à la lutte contre le renforcement de la répression et l’élargissement du champ répressif. Adopter cette stratégie, c’est pousser l’État à raréfier le recours à l’APP, voire à abandonner les poursuites devant l’engorgement des tribunaux, le coût de la multiplications des procédures et les relaxes que les inculpé.es sont susceptibles d’obtenir lors de leurs comparutions.

De plus, dans le cadre de cette procédure, il est toujours préférable de se saisir du droit d’être assisté.e par un.e avocat.e. Si nul n’est censé ignorer la loi, le droit reste dans les faits un domaine complexe, pratiqué par des figures d’autorité susceptibles de nous faire changer de stratégie de défense, jamais à notre avantage. Le.a procureur.e et ses délégué.es se montreront très persuasifs et convaincront les inculpé.es que signer et reconnaître leur culpabilité est un moindre mal et leur permettra de se sortir d’affaires plus rapidement (spoiler : c’est faux).

Face à la multiplication des procédures expéditives et l’extension du champ répressif, il est indispensable d’élaborer et de mettre en œuvre des stratégies collectives de défense. Si les institutions juridiques et policières présentent l’avertissement pénal probatoire comme une alternative enviable à la tenue d’un procès pénal, il constitue une procédure perfide pouvant être utilisée afin de briser la combativité des mouvements sociaux et de sanctionner rapidement ses participant.es. C’est également un aveu de faiblesse de la part de la police et de la chaine pénale qui, désireuses d’éteindre les mouvements sociaux, se dotent d’un arsenal bancal en réponse à un épuisement généralisé de leur système.

Opposons-nous collectivement à cela ! Mettons sous l’eau la justice et la préfecture en refusant massivement la mise en place de ces procédures expéditives et en surchargeant leurs tribunaux. Si nous considérons le terrain juridique comme un espace de combat politique, nous devons nous y défendre collectivement sans trêve.

Briser l’isolement face à la répression

Cagnard est un groupe public et autonome. Nous luttons contre la répression en intervenant dans la rue et au tribunal, en participant à la défense des actions et des manifestations ainsi qu’à celle des inculpé.es des mouvements sociaux.

Devant la massification des procédures judiciaires et extrajudiciaires, nous conseillons vivement de ne pas prendre de décision de manière isolée. En cas de convocation au commissariat ou au tribunal, n’hésite pas à nous contacter par mail ou par téléphone (de préférence par Signal) afin de discuter collectivement de la stratégie à adopter et de développer une compréhension détaillée de la situation, de ce qui t’es reproché et des suites envisageables. Ne mentionne aucun élément qui pourrait t’identifier ou t’incriminer, nous conviendrons d’une rencontre pour discuter de la situation.

  • Par mail : cagnard@riseup.net
  • Par téléphone : 06 05 91 98 75

GLOSSAIRE

Avertissement pénal probatoire (APP) : L’APP fait partie de ces "mesures alternatives aux poursuites" pensées dans un but de désengorgement des tribunaux et d’expédition des procédures. Appliqué dans le cadre d’infraction et de délit de faible gravité, l’APP permet de sanctionner rapidement des personnes tout en actant leur culpabilité. Sa signature est conditionnée par la reconnaissance des faits et ouvre une période probatoire d’un ou deux ans, durant laquelle l’auteur.ice des faits ne doit pas être arrêté.e au risque d’une relance des poursuites initiales par le.a procureur.e.

Comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) : Procédure simplifiée proposée par le procureur de la République à une personne qui reconnaît les faits qui lui sont reprochés. Si ce dernier la présente comme l’occasion d’éviter un procès classique, elle assure une sanction rapide et généralement lourde. Il est préférable de refuser ce dispositif lorsqu’il nous est proposé.

Composition pénale : Procédure alternative aux poursuites. Elle est destinée à répondre à un délit par l’acceptation et l’exécution volontaire de mesures proposées à l’auteurice par la.e procureur.e ou son.sa délégué.e et validée par le juge. Elle est conditionnée par la reconnaissance des faits.

Contribution citoyenne : Versement de fonds de la part de l’auteur.ice de l’infraction à une association d’aide aux victimes. Le montant de la contribution citoyenne est fixé par le.la procureur.e en fonction de la gravité de l’infraction, mais aussi en regard des ressources et charges de l’auteur.rice. Il convient de noter qu’il ne peut excéder 3 000 euros, montant maximum des contraventions.

Mesure alternative aux poursuites : Dispositifs juridiques permettant au.à la procureur.e de la République de traiter certaines infractions sans engager un procès pénal. Visant à "responsabiliser l’auteur·ice" de l’infraction, elles servent surtout à l’élargissement du champ répressif, à sanctionner rapidement les personnes tout en désengorgeant les tribunaux, et ce malgré la faiblesse des dossiers. Il en existe de plusieurs types : avertissement pénal probatoire, ordonnance et composition pénale, etc.

Ordonnance pénale : Procédure simplifiée utilisée pour traiter certaines affaires pénales simples et de faible gravité. Elle permet de juger la.le prévenu.e rapidement, sans audience, donc sans possibilité de se défendre dans le cadre d’un débat contradictoire. La personne inculpée dispose d’un délai d’opposition de 30 à 35 jours selon qu’il s’agisse d’une contravention ou d’un délit.

Procureur.e (et substitut du.de la procureur.e) : Le.la procureur.e et ses substituts représentent le ministère public (les intérêts de l’État) auprès du tribunal. C’est lui ou elle qui décide des poursuites suite à l’interpellation de quelqu’un.e.

Délégué.e du procureur : Citoyen.ne (ou une association) habilité.e par le.a procureur.e de la République pour participer à la mise en œuvre de la politique pénale. Il ne rend pas lui-même de décision de justice mais exécute différentes missions à la demande et sous le contrôle du le·a procureur·e. Il a notamment pour fonction de mettre en œuvre des mesures alternatives aux poursuites. Celles-ci sont décidées par le parquet en cas d’infractions de faible gravité reconnues par leurs auteur.ices.

A lire aussi...