17 avril : Journée Internationale des Luttes Paysannes

En solidarité avec tous.tes les travailleurs.euses agricoles, nous republions un article sur le sort des travailleurs.euses saisonniers.ères étrangers.ères dans le monde agro-industriel, écrit en 2013 par P. Herman. Il est suivi d’infos de luttes actuelles qui lui font échos et donne un contre-point savalteur face la situation de crise actuelle et les appels à volontaire dans l’agriculture.

Cet article est initialement paru dans le monde diplomatique de février 2013. Patrick Herman, paysan-journaliste et membre fondateur du CODETRAS (Collectif de défense des travailleur.euses agricoles saisonnier.ères), est décédé récemment.

Travailleurs saisonniers, la ronde infernale

Longtemps venus du Maroc et de la Tunisie, les saisonniers agricoles n’ont commencé que récemment à réclamer justice pour les abus dont ils ont été victimes en France. Mais la « migration circulaire de travail » prônée par l’Union européenne change la donne. Transitant par l’Espagne, les travailleurs temporaires latino-américains remplacent peu à peu la main-d’œuvre maghrébine.

« Monsieur Leydier, le dossier que j’ai entre les mains est accablant de preuves contre vous ! Je vous donne l’occasion de retrouver un peu de dignité et de cesser de vous comporter comme un voyou. Je vous demande une dernière fois de répondre à ma question : maintenez-vous que Mme Naïma Es-Salah ne travaillait pas chez vous comme employée de maison ? » En ce 12 décembre 2012, le tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence résonne des paroles cinglantes de la présidente.

L’arboriculteur de Grans (Bouches-du-Rhône) baisse la tête et garde le silence. Son ancienne salariée marocaine, déclarée comme « ouvrière agricole », attendait ce moment depuis le dépôt de sa plainte au pénal, en septembre 2003. Dès 2001, elle avait osé dénoncer à la télévision le sort fait à ceux que l’on nommait alors les « contrats OMI », les travailleurs saisonniers.

Ce mercredi, à quoi pense-t-elle ? A ses douze à quinze heures de travail par jour, huit mois par an, pendant dix ans ? A l’interdiction de sortir et de parler aux voisins ? Aux menaces de mort ? Le verdict tombe : un an de prison avec sursis et 1 euro symbolique de dommages et intérêts pour « faux et usage de faux » et « travail dissimulé ».

« La drogue dure des producteurs méditerranéens » : il y a trente ans déjà, M. Jean-Pierre Berlan, directeur de recherche honoraire à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), qualifiait ainsi le recours systématique à l’emploi de saisonniers étrangers dans le sud de la France. L’implantation de cultures primeurs intensives à partir des années 1960-1970 va y faire exploser le nombre de ces contrats. Pour la plupart marocains et tunisiens, ces travailleurs vont représenter un véritable « plan Marshall » pour l’agriculture provençale. Pas pour très longtemps, cependant : l’entrée de l’Espagne dans l’Europe agricole puis la libre circulation des produits imposée par les accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) mettent en concurrence les bassins de production du monde entier. Le saisonnier devient la variable d’ajustement pour les employeurs, qui cherchent à réduire leurs coûts de production. Les Bouches-du-Rhône, où le syndicat agricole majoritaire fait la loi, s’affirment comme le laboratoire d’une relance de l’immigration économique qui ne dit pas son nom.

Salve de condamnations en justice

Ailleurs, cette réalité demeure invisible. Jusqu’au jour où la parole de Mme Es-Salah se fait entendre. Dès lors, la peur commence à refluer. A Saint-Martin-de-Crau, la grève des deux cent cinquante saisonniers de la Sedac, en juillet 2005, révèle leurs conditions d’hébergement indignes. En février 2010, la Cour de cassation confirme le jugement d’appel : trois mois de prison avec sursis, assortis d’amendes, pour l’employeur, M. Laurent Comte. Devant le tribunal administratif, un autre ouvrier agricole, M. Baloua Aït Baloua, mène bataille contre le préfet des Bouches-du-Rhône. En mai 2010, le Conseil d’Etat condamne l’Etat à délivrer une carte de séjour à cet ancien « saisonnier marocain », en fait travailleur permanent pendant vingt-trois ans sur une exploitation où il a fourni gratuitement l’équivalent de près de trois ans de travail à temps plein.

Dans la plaine de Berre, vingt-quatre salariés abusivement licenciés se voient reconnaître leurs droits après sept ans de procédure aux prud’hommes. En décembre 2008, les deux exploitations concernées sont condamnées à leur verser plus de 1 million d’euros au titre de rappels de salaires, heures supplémentaires, travail dissimulé, licenciement abusif, etc. Jugement confirmé par la cour d’appel d’Aix-en-Provence en janvier 2011.

En décembre 2008, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) condamne à son tour les pratiques de certaines exploitations des Bouches-du-Rhône. Un désaveu cinglant pour la préfecture, qui, confrontée depuis 2007 à des vagues successives de demandes de cartes de séjour « salarié » soutenues par un collectif d’avocats, avait misé sur l’enlisement des procédures. Plus d’un millier de cartes de séjour seront attribuées.

Colombiens, Péruviens et Boliviens affluent

Tout cela fait réfléchir les exploitants, non sur le sort réservé à leurs ouvriers, mais sur le moyen d’adapter leur système de main-d’œuvre. L’heure a sonné pour les entreprises de travail temporaire (ETT), car l’Union européenne parle désormais de « migration circulaire de travail » et de « partenariat pour la mobilité ». Nombre de ces entreprises spécialisées dans le travail en agriculture ont leur siège en Espagne : AgroEmpleo, Agroprogres, Emagri, et surtout Terra Fecundis, qui va devenir rapidement dominante dans le détachement transnational de travailleurs temporaires extracommunautaires. Notamment vers la France. Dès 2009, dans les Bouches-du-Rhône, un millier d’Equatoriens remplacent près d’un tiers des anciens contrats OMI. Comme les fraisiculteurs andalous de la région de Huelva, les employeurs de la Crau vont mettre en concurrence la main-d’œuvre en fonction de son origine et segmenter ainsi le marché du travail.

Colombiens, Péruviens et Boliviens affluent désormais. Les derniers arrivants, plus malléables, sont privilégiés. Assignés à résidence sur l’exploitation, ne parlant pas français, ne sachant même pas où ils se trouvent, ils peuvent être mis à la porte du jour au lendemain. L’opacité est de mise sur la rémunération effective des salariés ou leur couverture médicale. Comment l’inspection du travail pourrait-elle faire respecter les règles minimales en matière de droit du travail ? Un tiers seulement des déclarations initiales obligatoires sont effectives…

Et cette nouvelle forme de contournement du droit du travail prospère dans les autres régions françaises, notamment dans les Landes, pour la récolte des asperges. Les rares collectifs de soutien (entres autres le CODETRAS) ne semblent avoir d’autre perspective que de faire pression sur les institutions garantes de l’Etat de droit pour les contraindre à fonctionner. Il y faut de la patience et de l’acharnement. M. Leydier vient de faire appel de sa condamnation. Mme Es-Salah devra attendre quelques mois de plus…

Patrick Herman


NB : A la fin de l’été 2018, presque vingt ans après avoir entamé cette affaire, la juge départitrice des Purd’hommes d’Aix-en-provence à rétabli Naima Es-Salah dans ses droits. Malgré les rebondissements et l’extrème lenteur judiciaire, M. Leydier s’est vu condamné à verser plus de 25 000 euros à Naïma Es Salah en vertu du non paiement de certaines de ses heures suplémentaires et congés payés et de son licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Maintenant, içi et là, des travailleurs.euses luttent pour leurs droits

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