Désertion, instrumentalisation du social et business du caritatif : la cogestion de la crise covid-19 par les pouvoirs publics à Marseille

Ces derniers temps, des associations subventionnées comme le NOGA ou Coco Velten, lancent des appels à bénévoles et à soutien auprès de collectifs militants marseillais (5 novembre, El Manba). Coco Velten et le Noga font pourtant partie des rares associations qui reçoivent des aides par la préfecture pour assurer une solidarité minimum en ces temps de crise. Alors pourquoi ce besoin en main d’œuvre bénévole ou militante pour soutenir les actions de solidarité coordonnées par les politiques publique ? Retour sur les mécanismes de la cogestion du social caritatif à Marseille, entre désintérêt et récupération.

Tout d’abord, rappelons que la préfecture de Marseille n’a commencé à s’intéresser aux problèmes des effets du confinement sur les populations fragiles qu’à partir du 31 mars, soit 15 jours après le début du confinement. Elle fait alors appel à ses partenaires privilégiés : le Diocèse, la Caravelle, Logisol, le Samu Social et la Métropole, pour organiser une « chaîne logistique ». Le principe : des tickets service d’un montant de 20 000 euros pour l’achat de denrées alimentaires. 20 000 euros de bouffe pour les plus précaires de Marseille. 20 000 euros à l’échelle de toute la ville. Une « solidarité » au rabais donc… Ces 20 000 euros, la pref’ entend les distribuer à des associations qui s’occuperont du reste du boulot. La Fondation abbé Pierre, Sara Logisol, l’Amicale du Nid, Médecins du Monde, l’Ampil et encore Logisol sont mis sur le coup. Or, ça n’est pas suffisant. A force de pressuriser le travail social à coups d’appels à projet et de réduction budgétaire, il n’y a plus tant de monde que ça pour s’occuper de la « fin de la chaîne logistique » : le travail de terrain quoi ! C’est alors que les associations vont elle-même faire appel à leurs « partenaires » : Vendredi 13, le Noga, Coco Velten, qui récupèrent le bébé et recrutent à leur tour auprès de cercles toujours plus militants (5 Novembre, El Manba…).

Manifestement, faire appel à des militants bénévoles, qui ne sont ni travailleurs sociaux, ni indemnisés pour faire ce boulot de terrain, ça ne leur pose pas de problème. Les réflexions autour de l’instrumentalisation des travailleurs associatifs qui pallient à la mise à sac du service public, ça ne les concerne manifestement pas ! Pas plus que le respect des pratiques militantes, puisqu’ils n’hésitent pas une seconde à s’adresser -au nom de leur partenaire préfecture- à des gens qui passent pourtant quotidiennement leur temps à s’opposer aux mesures répressives des « partenaires » en question sur les populations les plus fragiles.

Bon an mal an, la « chaîne logistique » se met en place, complexifiant à outrance un système qui s’était déjà créé sans eux. Grâce à la mise en place de la chaîne logistique labellisée préfecture, les colis cessent d’être distribués directement aux familles. Désormais, il faudra passer par des référents chargés d’estimer si les familles sont vraiment dans le besoin, avant de redistribuer les colis. La préfecture renvoie également vers des « appels à projets de la Fondation de France », les structures qui proposent à présent leur aide. Et désormais, les structures tel que Vendredi 13 doivent déclarer leurs maraudes à la préfecture, là où jamais on ne le leur avait demandé avant.

La préfecture ne fait donc non seulement rien pour aider les populations les plus démunies, mais elle entend accroître un contrôle sur la solidarité autogérée qui se met en place sans son aide… Comme quoi, pas si facile de se reconvertir, même pour l’État. La preuve, en pleine période de confinement, et alors que notre cher président a repoussé la fin de la trêve hivernale, la pref’ continue d’expulser à tour de bras. Ils ont qu’à se confiner dehors les pauvres aussi !

Sans doute est-ce cette logique de solidarité à coups de matraque, qui a poussé la flicaille a intervenir et distribuer amendes et menaces lors du marché gratuit du Manba, vendredi 10 avril. Non contente de ne pas apporter de réponses conséquentes face aux problèmes de distribution de l’aide alimentaire aux plus démunis, dans cette période de confinement où certaines débrouilles pour obtenir de quoi se nourrir sont devenues impossibles, la pref’ préfère encore une fois réprimer ce qu’elle ne contrôle pas. Fût-il s’agit de structures qui font juste le boulot qu’elle devrait se taper !

Dans la même veine de solidarité à coup de crosse, la préfète est allée jusqu’à demander des renseignements sur le « statut d’occupation » du local qui sert au stockage de l’aide alimentaire du collectif de Maison Blanche. Dès le début du confinement, les habitants de Maison Blanche ont mis en place un réseau autogéré d’entraide. Avec ce réseau, ils et elles distribuent plus de 200 paniers repas par jour aux habitants les plus précaires de la cité. Ce qui n’est pas sans irriter la préfète, qui envoie des mails de menaces à peine déguisés, aux informateurs qu’elle possède sur place. Informé de ces menaces via une boucle de mails, le collectif de Maison Blanche publie l’info sur leur Facebook.
Une fois encore, la pref’ semble plus encline à traquer d’hypothétiques squatteurs, qu’à soutenir un projet de solidarité qui pallie à leur incapacité !

Devant tant d’inconséquence, la préfète finit tout de même par faire volte-face, promettant au collectif des habitants une aide de 208 repas par semaine, soit moins que ce qu’ils distribuent par jour ! Effet de la diffusion publique de ce mail ou tentative de reprendre la main sur les dispositifs d’entraide autogérée du quartier, à l’heure où la presse nationale leur donne tribune, visibilisant de ce fait l’absence de l’aide publique dans ces territoires relégués. Quoi qu’il en soit, on peut saluer le coup de main d’une utilité… contestable ! A l’image de l’inefficacité de la Métropole, qui se propose depuis le 10 avril, d’ouvrir 30 places d’hébergement à la Friche Belle de Mai, en partenariat avec SOS. 30 places d’hébergement à la Friche, tandis que des centaines de bâtiments appartenant à la mairie restent vides… A quand la réquisition du patrimoine immobilier de la bourgeoisie marseillaise, dont le capital augmente chaque année à coup de spéculation ?

Quoi qu’il en soit, aux vues de l’inefficacité meurtrière des pouvoirs publics, heureusement qu’on ne les attend pas pour se mettre à l’abri dans des squats ou monter des équipes de maraudes et des réseaux de distribution de bouffe autogérés !

Même constat du côté du centre ville avec les distributions de repas organisées par Coco Velten. Contrairement aux maraudes autogérées de Belsunce, qui n’ont pas attendu une demande de la préfecture pour s’organiser, Coco Velten est arrivé tard sur le terrain. Pour augmenter les effectifs de leurs équipes de maraudes et prendre les reines de la distribution alimentaire sur le quartier, ils recrutent de la main d’œuvre bénévole auprès d’équipes autogérées déjà constituées, récupérant ainsi les fruits d’initiatives de base.

Cela n’a rien d’étonnant, quand on sait que Coco Velten est un projet labellisé « Yes We camp », partenaire privilégié des pouvoirs publics quand il s’agit de stratégies de gentrification à coup d’ « initiatives innovantes, sociales et solidaires ». A Marseille, Coco Velten a ainsi récupéré l’usage de 4000 mètres carrés de locaux à Belsunce, appartenant à l’Etat, dont ils bénéficient gratuitement, en en attendant la vente à la mairie de Marseille. Dans ces locaux, Coco Velten propose des projets « solidaires » à des précaires triés sur le volets, afin de créer cette « hybridité », ou « mixité sociale consentie » et donner un aspect un peu plus « écolo-bobo » au programme urbanistique d’une mairie qui s’attache à détruire tout ce qu’il y a de populaire à Belsunce. Des bobos pour occuper des bâtiments sur lesquels les pouvoirs publics spéculent, afin d‘en empêcher l’occupation par des squatteurs ou des collectifs d’habitants de quartiers, voilà le vrai visage des acteurs de Coco Velten : Coco Velten par Yes we Camp. La médiation nouvelle est arrivée. Plus attachés à soigner leur image qu’à s’intéresser aux politiques de la ville ou à la mise à sac du service public, les équipes de Coco Velten s’affirment encore une fois en partenaires d’une politique de gestion de la misère entre désintérêt public et profits.

Déserter le terrain et revenir tirer profit des initiatives qui se se sont mises en place en exploitant les ressources d’auto-organisation, voilà la stratégie de la préfecture dans cette gestion de l’aide aux plus démunis face à la crise du covid-19. Rien besoin de dépenser pour mettre en place des dispositifs et faire croire ensuite qu’on est à l’initiative de ces projets en les reprenant à notre compte dans les communications institutionnelles, une stratégie vraiment tout bénéf pour la pref’, qui a, à ce propos, mis en ligne une superbe plateforme qui récense les initiatives locales. Et oui, ces mêmes initiatives qu’elle réprime allégrement !

Pendant ce temps, l’Ofii continue de couper l’ADA des demandeurs d’asiles, la pref continue de produire des OQTF et de remplir les CRA. Elle continue à expulser allégrement des squats et des ZAD, à Marseille ou ailleurs... En bref, vive le bénévolat qui pallie aux carences de l’État !

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