La 31ème Rencontre des Femmes s’est donc déroulée du 8 au 10 octobre 2016, dans la ville de Rosario, ville dans laquelle avait grandit le petit Ernesto Guevara quelques dizaines d’années plus tôt.
Pourquoi ces rencontres ?
Plus de 300 ateliers s’y sont tenus, abordant des thématiques très variées ayant à voir avec la vie des femmes dans l’Argentine d’aujourd’hui : 69 sujets ont en effet été traités dans ces ateliers, dont les principaux - ou tout du moins ceux qui sont considérés les plus urgents - étaient la lutte contre la violence de genre, l’accès au travail et à l’éducation, l’égalité des chances ainsi que la volonté de mener une nouvelle campagne nationale pour le droit à l’avortement.
- Contre la violence de genre, parce qu’en 2008 et 2015, 2094 femmes ont été tuées ainsi, selon l’Observatoire des Féminicides "Adriana Marisel Zambrano" [1], association indépendante qui recense ces cas de violence puisqu’il n’existe aucun organisme officiel assumant cette tâche. L’Argentine a d’ailleurs été incapable de fournir des informations à une opération internationale de l’ONU visant à prévenir ces violences, malgré le fait qu’une loi oblige le pays à tenir des statistiques et à agir contre.
Mais en 2015, ce sont 286 femmes qui perdent leurs vies. Et si ces chiffres ne sont malheureusement pas encore clos pour l’année 2016, il n’y a que peu de chances que la moyenne de près de 300 femmes tuées par an ne soit pas atteinte (3 tous les 4 jours). Ces derniers jours, une jeune adolescente a encore perdu la vie à Mar del Plata.
Si le thème de la violence est un thème d’autant plus urgent, c’est que ces chiffres ne concernent que les cas où ces femmes décèdent. Ils ne parlent pas de toutes celles qui subissent de nombreuses violences sans en mourir mais qui n’en sont que plus répandues, comme le rappellent l’association et de nombreux organismes ou collectifs de défense des femmes.
Un des mots d’ordre : "Ni una menos", pas une de moins.
- Pour le droit à l’avortement, parce que l’Argentine a des lois particulièrement restrictives en ce qui concerne l’accès à l’IVG, comme c’est le cas de presque toute l’Amérique Latine (voir carte dans les notes) [2]. Or comme on le sait, les lois restrictives contre l’avortement ne font jamais baisser le nombre d’avortements, elles ne font que rendre plus dangereux les avortements qui sont pratiqués dans des conditions directement dépendantes du degré général de répression et des ressources économiques et sociales des femmes concernées.
En Argentine, où plusieurs dizaines de femmes meurent chaque année lors d’avortement illégaux (estimés à près de 500.000 par an), la loi n’autorise en effet l’interruption volontaire de grossesse que dans certains cas très spécifiques : si celle-ci se pratique afin de remédier à un risque pour la vie ou la santé, ou que la grossesse soit le fruit d’un viol ou d’une "atteinte à la pudeur" sur la personne d’une femme idiote ou démente, selon le code pénal argentin. Ce n’est qu’en 2012 que l’ensemble des cas de viols (constaté par les autorités sanitaires) rentreront dans le cadre des avortements "non répréhensibles".
Pour les autres, il faut payer. Ce qui fait ressurgir d’autres différences sociales abyssales. En effet, les riches voyagent ou ont accès à des cliniques privées plus ou moins clandestines, les autres se retrouvant donc dans des situations entre le pas terrible et le comble de l’horreur, proportionnellement à leurs revenus. Certains pilules peuvent être trouvées au marché noir, mais là encore, il faut payer et avoir des contacts. Quelques réseaux de solidarité existent, mais ceux-ci sont loin de pouvoir être à la mesure de la situation. [3]
La manifestation du week-end.
Toutes ces rencontres (nationales ou intercontinentales) donnent lieu à de grandes manifestations. Cette année n’a pas échappé à la règle, avec plus de 70.000 femmes qui se sont élancées depuis la place San Martín, dans le centre-ville, pour crier dans publiquement dans la rue ce qui s’était échangé et travaillé lors des ateliers de la rencontre, dans le but d’atteindre encore plus de monde et de poser une nouvelle visibilité politique sur ces luttes.
C’est autour de 22 heures que les affrontements avec la police ont commencé, aux abords de la cathédrale, où les militantes chantaient "Eglise, ordure, c’est toi la dictature" face à un groupe de catholiques en train de prier pour "les âmes" des foetus et des avorteuses.
La police a par la suite fait usage de flashballs et de gaz lacrymogènes à l’encontre de la manifestation, ce qui a déclenché les hostilités.
Des barricades ont alors été levées puis enflammées afin de réduire les effets des gaz lacrymogènes et tous les objets disponibles jetés sur la police, afin de les tenir à distance. Certains journaux reportent également des tirs d’arme à feu au cours des affrontements, tandis que des cocktails molotov ont aussi été utilisés par les manifestantes.
Autour de 23 heures, les affrontements ont pris fin. Dès les jours suivants, les condamnations diverses et variées n’ont pas cesser de pleuvoir dans les médias à l’encontre des féministes combatives (que la presse et la police qualifient de groupe anarchiste), y compris à l’intérieur de l’organisation de la marche (y compris les accusations absurdes de quelques personnes qui disent qu’ils s’agissaient de "groupes patriarcaux qui étaient contre la rencontre") quand bien même beaucoup ont pointé du doigt la répression par la police.
Une chose assez certaine est qu’une forme de fracture s’est opérée dans ce mouvement, et la conférence de presse en est dans une certaine mesure l’écho, comme pour tous les mouvements larges qui sont confrontés aux pratiques de l’action directe par certaines de ses composantes.
Une vingtaines de manifestantes ont été arrêtées et la police visionne les bandes des caméras de vidéo-surveillance pour tenter d’identifier d’autres personnes.
Espérons qu’aucune de plus de ces camarades combatives ne soient arrêtées, et qu’elles remportent les luttes dans lesquelles elles sont engagées.
Pour un avortement libre, sûr et gratuit, en Argentine comme ailleurs !
Pour la fin des violences de genre !
Viva el feminismo callejero, libertad para todxs lxs presxs !