Guerre en Ukraine - Entretiens avec un camarade ukrainien sur place (11-17 mars 2022)

Voici des extraits de 2 entretiens réalisés mi mars avec un camarade ukrainien. Il revient sur la situation, toujours plus complexe que ce qu’il n’y parait, et aborde pêle-mêle les pillages, les groupes d’autodéfense, la désertion, etc. Le texte complet est également disponible en brochure.

Brochure à télécharger et faire tourner  :

Entretien avec A., 11 mars 2022

Comment ça se passe depuis le début de la guerre en termes de vie quotidienne ?

Je suis originaire de Kharkiv mais j’étudie à Lviv depuis quelques années. J’ai dû quitter Lviv pour rejoindre ma famille qui évacuait Kharkiv, mais je suis à nouveau dans les territoires non occupés d’Ukraine occidentale, et je dépends essentiellement des ‘rapports’ de mes amis et parents qui sont encore à l’est, certains d’entre eux faisant partie de milices ou de l’armée régulière, ainsi que sur le large éventail d’informations publiques sur les réseaux, etc., pour comprendre ce qu’il se passe plus près de la ligne de front.

Les villes et villages qui ont été capturés jusqu’à maintenant l’ont été pendant les premiers jours du ‘blitzkrieg’ russe et de ce fait ça a causé un genre de ‘réveil dans un pays différent’. Je connais pas mal de gens qui se sont réveillés trop tard et n’ont pas eu le temps de fuir, et qui à présent ne peuvent pas évacuer : soit parce que les villes sont encore le lieu de combats ou de bombardements, soit parce que la ligne de front s’est déplacée plus en profondeur et que l’évacuation impliquerait de se déplacer à travers la ligne de front, ce qui est très dangereux – les photos et vidéos de dizaines ou peut-être centaines de voitures de civils détruites et attaquées sur les routes le confirment, si c’était nécessaire…

La situation à Kherson et dans l’oblast de Kherson est encore en évolution ; même si l’armée ukrainienne a dû quitter ces villes assez tôt (Kherson a été immédiatement abandonnée au profit d’une meilleure position défensive à Mikolaïev), la population s’est mobilisée et il y a eu plusieurs manifestations pro-ukrainiennes (‘pacifistes’ : seulement des slogans et des drapeaux pour le moment) dans les villes occupées. Ces protestations ne se sont pas éteintes même après que la Russie a fait venir davantage de police anti-émeute, mais malheureusement les tirs de sommation que les soldats ont tiré en l’air se sont transformés en vraie violence : plusieurs personnes ont déjà été tuées et des dizaines blessées dans de nombreuses villes. Je ne suis pas sûr de la façon dont ces actions pourraient se développer sur le long terme, en particulier en tenant compte du fait que l’armée russe s’installe à Kherson et en fait une base pour ses futures attaques vers l’ouest et Odessa et vers le nord et Zaporijia ; les actions de masse de civils qui ont été en mesure de ralentir l’avance russe ont clairement été temporaires et ont souvent été limitées au premier jour de confrontation (Enerhodar, Balakliya, etc.), et l’armée russe a montré son intention fascisante en n’ayant pas peur de tirer dans la foule. [...]

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Entretien avec A., 17 mars 2022

Quelle a été l’évolution des pillages et de leur répression ?

Il est vraiment difficile d’estimer à quel point les pillages se sont développés : ce qu’on voit le plus souvent ce sont les arrestations, qui sont restées courantes. La répression s’est assurément durcie depuis l’amendement à la loi sur les pillages, et j’ai vu les premiers rapports de pillards ‘trouvés morts dans leur confinement temporaire’, ce qui est horrible et probablement seulement la partie visible de l’iceberg, puisque certains sont simplement laissés nus au milieu de la rue gelée.

Des grèves ont-elles eu lieu ? D’autre part, y a-t-il des signes d’une transition de l’économie vers une économie de guerre ?

L’Ukraine dépend essentiellement des importations d’armes à présent, et les usines qui produisaient de l’armement ukrainien dans l’est ont été détruites par les bombardements russes. L’État ukrainien semble complètement impuissant face aux difficultés engendrées par la guerre, il est incapable de réguler les loyers, les prix du carburant et leur disponibilité sont aléatoires, et l’appel à un ‘retour à la normale’ dans le paisible ouest repose surtout sur des campagnes de propagande et non pas sur une quelconque contrainte au travail. Le gouvernement a cependant suspendu certaines taxes, pour essayer d’encourager les importations et inciter les gens à établir et à investir dans des entreprises pendant le temps de la guerre, et les banques ont repoussé les échéances de certaines dettes et augmenté les limites de crédit, comme un acte de fier patriotisme.

Concernant le ‘peuple en armes’, nous nous disons que la situation actuelle n’a rien à voir avec celle de l’Espagne en 1936. Qu’en est-il des groupes armés ? Quel est leur degré d’autonomie ?

La situation n’est pas comparable à l’Espagne en 1936 dans le sens où il n’y a pas de possibilité pour l’émergence d’un vaste mouvement armé de la classe ouvrière, mais je pense que l’Espagne a révélé certaines limites de l’action anarchiste : on ne peut simplement pas affronter des armées régulières d’égal à égal, nous devrions plutôt essayer de rendre le retour aux rapports capitalistes impossible, à travers la perturbation et la redistribution de masse, tout en sapant l’effort de guerre, mais on en est loin, bien sûr.

Les groupes anarchistes ukrainiens sont très petits et se battent simplement aux côtés des autres milices et formations de l’armée régulière, prenant leurs ordres de l’État. Mais il faut faire attention à ne pas généraliser à partir de ça : ça ne veut pas dire que ‘les anarchistes soutiennent [le régiment] Azov’, mais seulement que, sans organisation large, dans une situation désespérée comme celle-ci, les anarchistes n’ont pas beaucoup de choix. Puisque tu vas être conscrit de toute façon, pourquoi ne pas te battre aux côtés de tes camarades ? [...]

As-tu entendu parler de désertions ou de refus de la conscription ? Y a-t-il des réseaux d’aide aux hommes qui voudraient éviter la conscription et peut-être fuir le pays ou se cacher ?

Je pense que tout le monde essaie de survivre de son côté, il n’y a pas d’effort de masse ici. Les gens se cachent dans les villages, se cachent dans des coffres de voiture pour essayer de passer la frontière, mais ceux qui sont pris par la police sont promenés publiquement [paraded around] comme traîtres : les hommes n’ont pas le droit de quitter le pays, et refuser de rester et de se battre est considéré comme une trahison. La conscription se fait de façon aléatoire, les gens sont attrapés dans leur chambre d’hôtel au moment même où ils arrivent de l’est, les gens sont arrêtés aux checkpoints, donc certains décident de s’engager volontairement dans des milices locales pour ne pas être envoyés au front. [...]

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