Logements insalubres : quand l’évacuation vire à l’expulsion

Depuis le 5 novembre, plus de 1100 personnes [1400 au 26 novembre] ont été évacuées de leur logement à Marseille. Les services de la ville et les pompiers, craignant le scandale public, répondent à toute insalubrité constatée par une évacuation préventive. A toute heure du jour et de la nuit. Ainsi, certaines évacuations (rue Saint-Pierre par exemple) se font sous escorte policière, à 21 h, sans possibilité laissée aux habitant.e.s de récupérer des affaires.

Les habitants sont provisoirement relogés dans des hôtels parfois très éloignés de leur quotidien, de l’école des enfants, de la famille, des amis. Pour les repas, généralement froids, ils se déroulent dans des « restaurants » municipaux tristes à mourir. Quant à l’avenir, il reste flou, puisque les personnes évacué.e.s n’ont aucune réponse sur les solutions de relogement.

Sur internet où dans les rues, les témoignages se multiplient : expulsions nocturnes en pyjama, impossibilité d’aller récupérer des affaires (médicaments, fournitures scolaires, etc.), experts envoyés par la ville alors qu’ils ne sont pas habilités à mettre l’immeuble sous arrêté de péril imminent, omniprésence de la police, flics qui filment et photographient les personnes qui s’opposent à l’évacuation, etc. Ambiance.

Il va sans dire que la situation est complexe : beaucoup d’immeubles sont insalubres, dans un état de délabrement avancé. Pour autant, la multiplication de ces scènes de mise à la rue en pleine nuit semble autoriser une autre lecture : ce qui se joue en ce moment irait bien au-delà de la réponse politique au logement insalubre.

La grande évacuation, un prétexte pour une gentrification accélérée ?

S’il est difficile d’avoir un avis tranché sur la question, la méfiance vis-à-vis des agissements de la Mairie et de la Soléam est de mise. L’implantation de concept stores ultra chers et branchés dans le bas de la rue d’Aubagne a, par exemple, été grandement facilitée par le « plan de préemption renforcée » sur le centre-ville que la Mairie a adopté en juin 2017. Avec ce plan, elle devient prioritaire pour le rachat de tous les locaux commerciaux ayant baissé rideau pour des raisons économiques. Son intention affichée noir sur blanc à Noailles : en finir avec les snack-kebabs, les taxiphones, les épiceries de destockage et les bazars.

En matière d’habitat, il s’agit pour les édiles de jouer le pourrissement – quitte à laisser l’insalubrité gagné du terrain –, pour ensuite mieux « revaloriser », embourgeoiser, et modifier la population du quartier. Cela passe également par des projets coûteux et imposés, dont la liste ne cesse de s’allonger : « requalification » de la Plaine à coup de millions d’euros, de matraques et de murs de béton ; écoles laissées à l’abandon avant de filer les chantiers de leur rénovation aux multinationales du béton grâce aux « partenariats public privé » ; hôtel Mercure 4 étoiles sur l’îlot des Feuillants comme déclaration de guerre à Noailles ; multiples projets à touristes en centre-ville alors que des dizaines de quartiers pauvres sont totalement délaissés ailleurs dans la ville.

#balancetontaudis ou #balancetagentrification ?

A quel rythme les « évacuations » vont-elles continuer ? Que se passera-t-il lorsque l’insalubrité marseillaise ne sera plus sous le feu des projecteurs ? Où les personnes évacuées seront-elles relogées ? Dans des hôtels miteux ? Dans d’autres taudis ? La rénovation des immeubles évacués, lorsqu’elle sera un jour effective, se traduira-t-elle par une augmentation des loyers ? Tant de questions, si peu de réponses…

Ce qui est sûr, pourtant, c’est que la dénonciation de l’insalubrité ne suffit pas. Le journal La Marseillaise a lancé depuis quelques semaines une salutaire campagne sur l’insalubrité marseillaise et ses liens avec les magouilles des élus. Si le hashtag #balancetontaudis est nécessaire, le revers de la médaille s’avère douloureux. Les évacuations semblent ne plus devoir s’arrêter alors même que rien ne garantit le retour des concernés dans leur logement ou à défaut dans leur quartier. Rien ne garantit non plus que la lutte contre l’insalubrité ne booste pas, à moyen terme, le prix des loyers.

Ce qu’il faut exiger ?

Deux choses. Primo, de la thune pour que les logements de tous les habitants soient décents. Secundo, l’arrêt des projets coûteux visant à gentrifier les quartiers. Pour faire entendre cette revendication, il est nécessaire de construire un rapport de force avec la Mairie, la Métropole et la Soléam. Et de s’organiser en assemblées de quartier, en assemblée des personnes évacuées et en collectifs de locataires. Autre piste : réquisitionner les immeubles vides du centre-ville pour un relogement immédiat des expulsé.e.s. Avis au motivé.e.s...

PS :

Article publié dans le journal papier Massdrovia diffusé à plusieurs milliers d’exemplaires lors de la manifestation contre le mur de la Plaine, le 24 novembre 2018.

A lire aussi...