Marseille, 1720 : quand la priorité donnée à l’économie déclenchait une épidémie de peste

Alors que le gouvernement Castex s’acharne à faire passer les considérations économiques avant les considérations sanitaires [1], retour sur le déclenchement de l’épidémie de peste qui a touché Marseille en 1720, quand les notables locaux faisaient passer leurs intérêts économiques avant le respect des gestes barrières.

25 mai 1720. Le Grand-Saint-Antoine, un trois-mâts commandé par Jean-Baptiste Chataud, rentre à Marseille après un voyage de près d’un an. Il a notamment fait escale à Seyde, un port ottoman dans lequel les négociants marseillais bénéficient de privilèges commerciaux. Pendant le trajet du retour, un passager turc, quatre matelots et le chirurgien de bord meurent successivement. À Livourne, où le navire a fait escale le 17 mai, les autorités refusent l’entrée du navire dans le port à cause de la mortalité à bord ; le lendemain de l’arrivée du Grand-Saint-Antoine sur la côte italienne — il a mis l’ancre dans une crique gardée par des soldats —, trois nouveaux décès ont lieu.

Malgré les suspicions sur l’état de santé à bord du trois-mâts, la quarantaine qui s’impose normalement aux navires qui arrivent à Marseille en provenance du Proche-Orient va être spectaculairement raccourcie. Comme le prévoit la procédure, le Grand-Saint-Antoine aborde sur l’île de Pomègues, dans l’archipel du Frioul, et son capitaine se rend au bureau de santé, qui fixe la durée de quarantaine qui s’impose aux hommes, aux navires et aux marchandises. Le bureau de santé décide d’abord d’envoyer le bateau à l’île de Jarre, au sud de la rade ; c’est là que les navires sont mis en quarantaine lorsque la peste est avérée. Mais une seconde délibération fixe la quarantaine à Pomègues. Et alors qu’un nouveau matelot est mort deux jours après l’arrivée à Marseille, le 27 mai, le navire obtient l’autorisation de faire débarquer sa cargaison dans les infirmeries situées au nord de la Joliette.

Le Grand-Saint-Antoine transporte un précieux chargement d’étoffes de soie et de balles de coton, pour une valeur de 300 000 livres [2]. Une partie de ces marchandises est destinée à être vendue à la foire de Beaucaire, qui se tient en juillet. La mise en quarantaine stricte du navire et de sa cargaison pour la période la plus longue pourrait donc nuire aux intérêts commerciaux des armateurs du navire, parmi lesquels figure Jean-Baptiste Estelle, le premier échevin de la ville. Ce dernier a une infuence directe sur le bureau de santé, qui est renouvelé chaque année par le conseil de ville ; les intendants du bureau de santé sont d’ailleurs choisis parmi les négociants, les marchands et les anciens capitaines de vaisseau. Autant de notables susceptibles de compatir aux difficultés que feraient naître une quarantaine trop stricte imposée au Grand-Saint-Antoine.

Des marchandises sorties en fraude des infirmeries vont propager la peste dans toute la ville. Progressivement, tous les quartiers seront touchés, et l’épidémie fera jusqu’à 1 000 morts par jour. En septembre 1720, un blocus de Marseille est ordonné, mais la peste s’est déjà répandue dans les terres. Elle touchera toute la Provence et le Languedoc, provoquant 100 000 décès jusqu’à son éradication en janvier 1723.

Notes :

[1Refusant par exemple d’imposer la mise en place du télétravail.

[2Environ 2,5 millions d’euros. Voir http://convertisseur-monnaie-ancienne.fr.

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