Repolitiser l’espace par le conflit

Ramener du conflit dans l’espace public peut déjà être vu comme une fin en soi en ce que ça redonne à ce dernier une dimension politique qui lui avait été confisquée par le pouvoir.

Nous sommes beaucoup à espérer, à la Plaine, que le conflit présent au cœur de notre quartier depuis plusieurs semaines mène à un arrêt des travaux, et à une réelle concertation pour une rénovation rationnelle de la place Jean Jaurès, beaucoup moins coûteuse et en adéquation avec l’existant. Pour autant, il y a également une manière de voir cette situation conflictuelle quasiment comme une fin en soi ; que cela débouche sur l’arrêt des travaux ou pas, avoir fait émerger ce conflit dans l’espace public, de manière concrète et visible, et l’entretenir comme on le fait, est un objectif qu’il semble déjà bon d’avoir atteint. Voyons pourquoi.

La gentrification, l’embourgeoisement des quartiers populaires, s’accompagne presque mécaniquement d’une neutralisation politique de l’espace public. Elle est à la ville ce que plus généralement le consumérisme est à la production capitaliste des marchandises : un moyen de camoufler la violence inhérente à ce système en en lissant les conflictualités de classes sous-jacentes ; c’est-à-dire, empêcher de penser la production capitaliste de la ville comme l’expression de la violence d’une classe sociale sur une autre, et y substituer une représentation lissée où tout semble aller pour le mieux, où tout le monde a été concerté, où tout le monde est heureux car « libre » de consommer la ville à sa guise. Cette vision consumériste de la ville a comme corollaire un espace public débarrassé de tout aspect politique et dans le même temps, pour les habitant-e-s, l’impossibilité de penser leur ville autrement, hors du capitalisme.

Le conflit qu’on a amené et qu’on a entretenu sur la Plaine a pris plusieurs formes : le recours démesuré à la force policière dès le premier jour de chantier ; la pose de barrières qui sont vite tombées, d’un mur qui lui aussi a été attaqué à plusieurs endroits ; régulièrement, les tentatives de blocage du chantier et l’escorte policière des ouvriers et des machines ; etc. Tout cela pourrait sembler vain face à des dirigeant-e-s et des investisseurs qui ont la force de leur côté, et absolument aucun intérêt à ce que ce chantier ne s’arrête. Mais si le capitalisme se caractérise aujourd’hui, comme on l’a remarqué, par un lissage des conflictualités qui le prémunit contre toute remise en question profonde, alors, ramener du conflit dans l’espace public est déjà une fin en soi, en ce que ça redonne à ce dernier une dimension politique qui lui avait été confisquée par le pouvoir. C’est aussi, par ces actes d’opposition concrets, une manière, finalement, de se le réapproprier en tant qu’espace d’existence politique.

Vive la Plaine, et vive la lutte !

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