Cette expulsion était le fruit d’une décision de justice, et le "concours de la force publique" avait été autorisé pour procéder à son application. C’est-à-dire que l’huissier, accompagné de forces de l’ordre, pouvait contraindre les locataires à quitter leur logement. C’est ce qu’il se passe généralement en cas de contentieux, d’impayés ou de résiliation du bail et que les parties en présence ne sont pas d’accord.
Selon l’expression de la plupart des médias, qui reprennent l’AFP, cette expulsion a "mal tourné". Défendre sa maison les armes à la main n’est en effet pas banal, tout du moins en France. Et nous ne sommes plus au temps des grandes grèves de loyers et des autoréductions collectives où l’on résistait farouchement aux expulsions.
Aujourd’hui, c’est plus vraisemblablement seul que l’on est expulsé. Et on est de plus en plus à être seul.
En quinze ans, le nombre d’expulsions locatives a progressé de plus de 80%, allant chercher autour des 15.000 expulsions par an (une grosse quarantaine par jour). En parallèle, une paupérisation accrue et une précarité au travail de plus en plus importante rendent l’accès au logement toujours plus complexe. Les propriétaires demandent toujours plus de garanties. Un travail en CDI, par exemple. Ce qui devient de plus en plus difficile à obtenir. Les procédures s’entassent. Et une demi-douzaine de millions de personnes sont considérées mal logées en France, tandis que pour une dizaine d’autres, tout reste très compliqué. Les taux d’endettement sont en hausse constante et le nombre de personnes à la rue explose.
Mais tout cela ne touche pas que les locataires. Le cas de l’Espagne est frappant : entre 2008 et 2015, plus de 350.000 propriétaires se sont vus saisir leurs logements par les banques du fait d’un endettement trop important. La plupart de ces logements restent par la suite vides, ce qui a conduit à des campagnes d’occupation de ces bâtiments saisis par les banques dans plusieurs villes d’Espagne.
De plus, avec le développement fulgurant de marchands de sommeil tels qu’Air B’n’B, de nombreux propriétaires préfèrent désormais récupérer leurs appartements pour y installer ces séjours temporaires bien plus rentables. Au point que dans certaines villes telles que Barcelone (ou d’autres endroits très touristiques), il devient difficile de trouver un logement à louer de façon pérenne. De fait, tous les prix augmentent en conséquence et le cycle s’en trouve renforcé.
Par ailleurs, d’autres personnes sont déjà mortes du fait d’expulsions locatives : à Villejuif en octobre 2016, à La Rochelle en octobre 2014 [1], à Vénissieux en avril 2013 [2], à Cugnaux en octobre 2010, à Istres en septembre 2008...et d’autres...
Mais ces fois-ci, les expulsions n’ont pas "mal tourné" : ces morts étaient de "simples suicides".
Cette fois, à Draguignan, le canon de l’arme était tourné dans l’autre sens. Il n’y a pas grand chose à en dire, si ce n’est que ce n’était qu’une question de temps avant que ce genre de chose ne se produise. Lorsque l’on joue et que l’on spécule sur le désespoir des gens, il n’est pas étonnant que certains se disent qu’ils n’ont plus rien à perdre.
De façon assez symptomatique, tant que le droit à la propriété primera sur celui au logement, il n’y a aucune raison que la tendance s’inverse. A moins que l’on ne croie les déclarations d’intention de Macron et de son gouvernement, il y a fort à parier que ce genre de situation se reproduira à mesure que, comme d’habitude, certains deviendront de plus en plus pauvres et d’autres de plus en plus riches. Les récentes réformes sur le droit du travail, sur la baisse des APL, sur une ’nouvelle politique du logement’ ne font pas vraiment pencher la balance dans le sens de la justice sociale.
Quand on sait que 3 millions de logements sont laissés vacants en France, il existe une solution simple : mettre de côté l’idée de propriété privée et occuper ces logements. Et le faire ensemble. Pour que les maisons soient à celles et ceux qui y habitent. Pour ne pas crever seuls à la rue ou sous les balles de la police.