Au bout de trois jours, le nombre de départs est en dessous des prévisions. Les journalistes les plus zélés ne sont soudain pas bienvenus, le HCR se retire du hangar de « tri » en signe de protestation, de même, MSF quitte le terrain, et pendant ce temps-là, la jungle flambe miraculeusement.
L’opération est un succès, la préfète exulte.
Mais si à en croire les reportages de France Info, l’ambiance dans les bus était du genre départ en colo, les nouvelles qui nous parviennent depuis les CAO sont moins rassurantes que les cartes postales qu’on vous faisait écrire à la chaine en centres de vacances, quand vous aviez 10 ans. Nombreuses et nombreux sont celles et ceux qui ne sont pas dupes de cette opération avant tout médiatique, mais l’on manque parfois de faits précis pour étayer cette conviction. Voici quelques morceaux choisis susceptibles de fissurer la communication calibrée par les autorités.
- A l’arrivée à Feuguerolles, dans l’Eure, le nouveau logement des 45 exilés, montés dans le bus dès le lundi 24 octobre, n’a rien à voir avec ce qui leur a été promis. Des lits de camp dans un immense hangar sans fenêtre avec pour tout accueil un gobelet de thé et un rouleau de PQ. Faîtes comme chez vous.
- A la fin du démantèlement, un jeune homme afghan suivi pour de graves troubles psychiatriques n’a pas eu de place dans un bus. Arrêté en gare, contrôle au faciès oblige, il est placé en CRA sans suivi, ni son traitement. Il comparait quelques jours plus tard devant le juge des libertés. Son avocat commis d’office n’a pas fait les démarches pour obtenir son dossier médical et est trop occupé à discuter avec son collègue représentant de la préfecture pour le défendre. La présence d’amis et d’associatifs, ainsi que sa détresse psychologique manifeste, incitent malgré tout le juge à libérer cet homme. Pour autant, c’est une association qui le logera et un bénévole qui se chargera de le conduire à des centaines de kilomètres de Calais, dans un CAO dit pour « personnes vulnérables » à proximité d’une unité de santé mentale. Hors caméra, la mise à l’abri ne relève donc plus de la préfecture.
- Les 1800 mineurs isolés étant réticents à s’éloigner de leur projet d’Angleterre pour aller s’enterrer dans des trous paumés aux quatre coins de la France, la préfecture a trouvé la parade : mettre des Anglais dans les bus pour faire monter les gamins dedans ! Prétendument du Home Office (l’instance chargée de statuer sur le regroupement familial au Royaume-Uni), on sait que dans au moins deux bus, ces britanniques n’étaient que des figurants embauchés pour appâter les mineurs et ont disparu à l’arrivée dans les CAO. Certains mineurs, trop malins pour se faire rouler, se sont carapatés en chemin. Si bien qu’à l’arrivée à Marseille, il ne restait plus qu’un mineur dans le bus. La préfecture s’est défendue, arguant que les autres avaient été déposés en Isère. Le CAO avait-il donc été prévu pour n’héberger qu’un seul enfant ?
- Drôle de coïncidence, tous les départements vers lesquels sont conduits les mineurs sont connus pour être particulièrement sévères dans l’évaluation de la minorité, et pour préférer les tests osseux à l’évaluation sociale. Cette première méthode très prisée, présente une marge d’erreur de dix-huit mois.
- 35 mineures isolées hébergée à Lacaune (Tarn), qui ont accepté de quitter Calais sur la promesse de pouvoir gagner l’Angleterre, découvrent l’ampleur de la mascarade le 16 novembre. Elles devront passer un entretien avec le Home Office et remplir un certain nombre de critères. Avoir un ami ou un cousin là-bas ne suffit pas. Toutes n’iront pas au « UK ». On leur a menti. La discussion devient houleuse. Larmes de rage et de désespoir mais la détermination est intacte. Elles ont déjà prévenu qu’elles repartiraient. Re-tenter le passage, à Norrent-Fontes ou ailleurs, encore et encore. Seules.
- Les grèves de la faim se multiplient dans les CAO en réaction au mauvais traitement et au manque d’accompagnement juridique. A Talence (Gironde), trois mineurs afghans ont arrêté de se nourrir pour protester contre la lenteur de la procédure qui doit leur permettre de rejoindre leur famille au Royaume-Uni. Entretiens expéditifs, papiers perdus par le Home Office, l’administration les balade et repart sans donner de nouvelles. De même à Beaucé (Ille-et-Villaine), ou encore à Rennes où des Erythréens, des Somaliens et des Soudanais sont en grève et se sont vu refuser une rencontre avec une avocate et une traductrice par l’association Coallia, gestionnaire du centre.
- Au CAO de Laon (Aisne), la colère des exilées s’est manifestée pour des raisons qui ne sont pas précisées par les soutiens sur place. Une personne suite à ce mouvement de révolte a été placée en garde à vue pour “menaces physiques proférées contre une éducatrice”.
- Pendant ce temps-là sur le littoral, la préfecture poursuit l’objectif de « zéro migrants à Calais » et exige de l’hôpital les dates de sortie des patients en situation irrégulière. L’administration s’exécute.
- Dans le camp parisien, ouvert en grandes pompes à Porte de La Chapelle, l’accueil des exilés se fait dans des conditions tout aussi sympathiques que l’évaluation de la minorité pratiquée pour l’expulsion de la jungle. Celle-ci était faite au faciès en un quart de seconde sur des critères dont seul Pierre Henry, président de France Terre d’Asile, avait le secret. A Paris, la situation des nouveaux venus est soumise au jugement d’experts dont personne n’a été à même de nous préciser le domaine d’expertise. Ces charmantes personnes sont chargées de discerner les vrais des faux couples, les deux parties étant entendues séparément afin de pouvoir confronter les versions, et les vrais des faux mineurs. Si l’expert a un doute, le candidat sera présenté au DEMIE (80% de non reconnaissance de la minorité). La mission de l’expert est de déterminer qui est éligible à l’asile, et donc au camp. Etrange méthode puisque l’instance chargée de trancher sur la protection d’asile ne peut être que l’OFPRA. Qu’importe, il faut écrémer alors si l’on est « dubliné », débouté ou depuis « trop longtemps en France » ou que l’on vient « d’un pays francophone » ou d’un « pays où ce n’est pas la guerre », on ne relève pas de l’asile et donc pas du camp, des dires du patron d’Utopia56, association co- gestionnaire avec Emmaüs. Ça va être vite vu.
- L’air de rien, la préfète du Pas-de-Calais vient d’obtenir des laisser-passer pour le Soudan, afin d’y déporter deux jeunes hommes arrêtés en gare de Calais le 25 octobre, alors que se déroulait la fameuse opération de « mise à l’abri ». Jusqu’à présent, la France avait tout de même quelques scrupules à expulser vers le Darfour. Là, le vol serait programmé pour mardi. L’avocat commis d’office, lui, ne savait même pas ce qu’est un laisser-passer.
Certes, ces faits peuvent sembler anecdotiques mais énumérés de la sorte, ils donnent la mesure du carnage. Mesure d’autant plus difficile à saisir que Calais ne cristallise plus toutes les tensions et que les migrants sont disséminés sur tout le territoire. Par conséquent, invisibilisés. L’opération est bien un succès.