« Tant qu’il est vivant moi j’interviens pas » : voici la déclaration qu’a faite le médecin « objecteur de conscience » avant de laisser mourir Valentina et les deux jumeaux dont elle était enceinte de cinq mois. L’un des deux foetus avait des difficultés de respiration et au lieu d’intervenir et de provoquer ainsi l’avortement spontané, ce médecin a préféré laisser mourir la mère (et ses deux foetus avec).
Ça se passe le 15 octobre 2016 à Catane. En Italie, la possibilité « d’objection de conscience » pour les gynécologues invalide dans les faits le droit à l’avortement obtenu avec la loi de 1978 suite aux luttes féministes. Un pourcentage de sept gynécologues sur dix dans le pays refusent de pratiquer des avortements. Dans certaines villes et même des régions entières, il est à peu près impossible d’avorter : en Molise le taux d’objection de conscience est de 93,3 %, en Basilicata de 90 %, dans la région de Rome de 80 %… et ainsi de suite.
Cela est du aussi à la pression que les lobbies ultra-catholiques exercent dans les hiérarchies hospitalières : souvent, le choix de l’objection de conscience est aussi un choix d’intérêt pour les médecins afin de s’assurer la progression de leur carrière.
Mais dans le cas du médecin de Catane responsable de la mort de Valentina, l’objection de conscience se traduit à proprement parler par un féminicide. Soit à un meurtre perpétré par la violence de genre qui régit le système néo-libéral et qui en Italie (mais pas que) n’arrête pas de gagner en intensité ces dernières années. Le même jour que celui de la mort de Valentina, Stefania est tuée par son ex-mari violent qui n’acceptait pas leur séparation. Depuis le début de l’année, plus de soixante-dix femmes ont été tuées en Italie par leur partenaire ou ex-partenaire, 157 depuis janvier 2015 et 1742 pendant les dix dernières années. Et cela ne prend pas en compte toutes les violences qui n’aboutissent pas à un meurtre, ni les suicides dus au slut-shaming, ni les violences ou les suicides dus à l’homophobie et à la transphobie.
La restructuration libérale masquée de crise économique, avec l’augmentation de la précarité, de la pauvreté et de l’incertitude, met de plus en plus en crise la construction sociale des rôles genrés. La violence machiste et patriarcale, qui se déchaîne encore plus quand les femmes se manifestent librement à travers leur choix d’arrêter une relation, d’avorter, de vivre leur sexualité pleinement.. en ressort encore plus fortifiée. D’autant plus que la montée des politiques d’austérité va de pair avec la montée des politiques manifestement sexistes et patriarcales, avec même un retour au vieux sens patriarcal fasciste.
C’est ce qu’a récemment prouvé la trouvaille géniale du ministère de la santé guidée par Beatrice Lorenzin avec la campagne du fertility day, dans laquelle le sexisme s’est triomphalement uni une fois de plus au racisme et au mépris de classe. Sur la base du souci démographique du à la chute de natalité des italo-italiens, le ministère de la santé avait lancé pour le 22 septembre dernier un #fertility day. À partir du premier jour, la campagne a été durement contestée et a vite du être retirée. Les affiches de la campagne et leur slogans n’ont pas besoin de commentaires : « la beauté n’a pas d’âge la fertilité oui », « La fertilité est un bien commun », « Parents jeunes : la meilleur façon d’être créatifs » « La fertilité masculine est beaucoup plus vulnérable de ce qu’elle ne semble » « dépêche-toi, n’attends pas la cigogne ! » ..
Parmi les meilleurs détournements produits par les contre-campagnes, on signale notamment : « j’ai ôté les batterie de mon horloge biologique pour les mettre dans mon vibrateur ».
Mais le génie du ministère de la santé ne s’est pas arrêté là, car après avoir retiré les premières affiches suite à la contestation, un nouveau concentré de racisme et de sexisme est apparu. Dans une affiche divisée en deux, la partie haute montre quatre jeunes blancs qui sourient devant la mer, accompagnés par la didascalie « les bonnes habitudes à suivre », tandis que dans la partie basse des jeunes noirs fument et se droguent accompagnés par la didascalie « les mauvais compagnons à abandonner ».
Cette énième affiche n’a évidemment fait que contribuer à alimenter la contestation, et c’est là que la ministre Lorenzin a mis le coup de grâce : un appel à tous les jeunes graphistes à collaborer gratuitement avec le ministère pour produire une meilleure campagne.
Dans ce cadre qui se prête au désespoir, il y a par contre une bonne nouvelle : la résistance s’organise !
Le 8 octobre dernier, une assemblée de plus de 500 femmes a eu lieu à Rome pour organiser une manifestation le 26 novembre, dont le mot d’ordre #non una di meno s’inspire du #ni una menos argentin. L’assemblée a considéré la violence de genre comme un phénomène complexe et structurel, alors que les institutions et leurs médias ne la traitent que comme une question d’urgence et de sécurité. « Les femmes ne veulent plus être représentées comme des victimes et elle veulent traverser et déterminer l’espace public et politique en pleine autonomie » peut-on lire dans le compte rendu de l’assemblée, où afin de rendre visibles les sujets en lutte plutôt que les organisations, elles invitent aussi à éviter les drapeaux et les symboles identitaires. « Contre le système social, économique, politique et culturel qui produit la violence sous les formes du sexisme, de la transomophobie et du racisme dans tous les cadres de nos vies, la manifestation que nous organisons est une manifestation des femmes, mais qui est ouverte à toustes celleux qui assument la violence de genre comme un problème prioritaire dans les processus de transformation de l’existant » : avec ces mots, la manifestation se propose d’être un point de départ et non pas un point d’arrivée.
Avec le corps en France, l’esprit en Italie et le cœur en Argentine #ni una menos #nosotras paramos #non una di meno !