La pharmacopée sauvera-t-elle le Gabon du coronavirus ?

En décembre dernier, la Chine révèle au monde les prémices d’une catastrophe sanitaire : le Covid-19, maladie infectieuse causée par le dernier coronavirus qui a été découvert. Comment les scientifiques gabonais tentent-ils d’endiguer cette pandémie ? Le système médical est-il prêt à faire face à un afflux de patients ? La pharmacopée fait-elle partie des solutions de cette équation ?

La pharmacopée est un programme de développement favorisant l’utilisation des ressources locales pour la préparation des médicaments à base de plantes. Bien que le Gabon ne soit qu’au début de cette pandémie, dont le premier cas nous a été apporté d’un compatriote revenant de France, nous sommes malheureusement tous autorisés à faire ce constat macabre : le Covid-19 tue ! Les « meilleurs modèles » de santé publique aujourd’hui semblent déjà épuisés, à la limite de la rupture. France, Chine, Etats-Unis, Espagne et surtout la malheureuse Italie : aucunes de ces présumées superpuissances à la pointe de la technologie n’arrivent à vaincre cet ennemi microscopique.

Au vu de notre dépendance pharmaceutique à ces pays, n’ayons pas honte de le dire, ça n’est pas une bonne nouvelle. Et ce n’est pas notre président de la République qui va me contredire, lui-même se faisant régulièrement soigner en Europe. Pas plus tard qu’en novembre 2018 à la suite d’un accident vasculaire cardiaque (AVC), Ali Bongo avait reçu les soins d’un hôpital londonien, après avoir été premièrement accueilli au Maroc…

« Nous avons malheureusement enregistré le décès d’un compatriote »

Libreville, 20 mars 2020. Trois jours avant la commémoration de la mort de Martine Oulabou, activiste assassinée en 1992. Le docteur Guy Patrick Obiang Ndong, porte-parole du comité de pilotage contre le coronavirus, apparaît le visage fermé lors de son point de presse : « nous avons malheureusement enregistré le décès d’un compatriote » . Celui qui se présentait il y a encore si peu de temps comme agent pathogène étranger avait franchi les frontières gabonaises. Le virus qui a tué cet homme d’une cinquantaine d’années avait déjà été détecté quelques jours plus tôt sur un jeune étudiant rentrant tout fraîchement de Bordeaux.

La chercheuse et activiste Laurence Ndong affirme que la capacité d’accueil en réanimation comprend moins d’une cinquantaine de lits pour une population de près de 2 millions d’habitants. Pour en être certain, j’ai contacté le ministère de la Santé publique, ce dernier n’a donné suite. On dénombre à ce jour 18 cas testés positifs au coronavirus. Un seul centre de dépistage est fonctionnel : il est situé à Franceville, soit à 740 kilomètres de la capitale.

Dans ce contexte, serait-ce un péché de se demander si la pharmacopée fait partie des plans du comité de pilotage ? Soyons clair : est-ce qu’il va falloir attendre que la France approuve la fameuse chloroquine du professeur Didier Raoult, ou le Gabon va-t-il envisager de recourir à sa pharmacopée ? On sait qu’à toute situation d’urgence, un esprit d’adaptation est une ressource. Et les ressources, nous les avons. Par les plantes.

« Il n’y a pas aujourd’hui une passerelle légale entre la phytothérapie et le monde clinique »

L’institut de Pharmacopée et de Médecine Traditionnelle (IPHAMETRA) a été créé en 1976, placé sous la tutelle du ministère de la Recherche scientifique et celui de la Santé publique. Ce n’est pas tout. Le Centre National de la Recherche Scientifique (CENAREST), organe de coordination et d’application de la pharmacopée au Gabon, voit le jour la même année. Alors pourquoi notre modèle de soin n’est-il pas construit à proprement dit sur cette pharmacopée, ou du moins partiellement ?

A cette question, le docteur Guy Stéphane Padzys, chercheur à l’université des Sciences et Techniques de Masuku (USTM) sur les plantes thérapeutiques, nous donne ses éléments de réponse :

 « Le problème est simple, c’est que notre pays au sortir des indépendances et jusqu’à nos jours n’a jamais défini son propre système scientifique. Les chercheurs et médecins gabonais n’ont pas une autonomie de raisonnement et c’est bien dommage. Il n’y a pas aujourd’hui une passerelle légale entre la phytothérapie et le monde clinique. En 2005, l’inauguration des nouveaux locaux de l’IPHAMETRA avait pour but d’introduire la médecine par les plantes dans un domaine clinique. Mais malheureusement aujourd’hui encore, aucun médicament sorti de cet institut n’est prescrit en milieu hospitalier. » 

Sur les réseaux sociaux, une pléiade de supposés remèdes

En clair, le gouvernement a créé il y a près de cinq décennies les infrastructures qui permettraient d’intégrer la phytothérapie aux politiques publiques. Et si ça n’est pas le cas aujourd’hui, c’est qu’il y a un manque de volonté institutionnelle, pour ne pas dire une contradiction. Disons-le nous, sans se regarder en chien de faïence.

Si nous ne disposons pas de données suffisantes pour évaluer l’accès à la phytothérapie pour la population gabonaise, une pléiade de supposés remèdes se répandent sur les réseaux sociaux. On y trouve des concoctions en tout genre à base de plantes comme le Ndolé ou le Nkougoubouloulou. A ce sujet, le docteur Padzys insiste sur les dangers de l’automédication : « les médicaments traditionnels sont vendus dans la pharmacopée gabonaise avec des indications, mais très peu de contre-indications. Donc il est risqué d’en consommer sans l’avis d’un spécialiste ».

Un Gabonais averti en vaut mille ! Même si répondre à la panique immédiatement par des outils à notre portée est totalement humain, surtout en ces temps troubles. Seulement, un mauvais usage peut aussi conduire à 1,50 mètre sous terre... Face à un ennemi invisible, en l’occurrence un virus microscopique, l’automédication gabonaise est le syndrome d’une réalité : un désert de solution face à la pandémie. Et sans pour autant dire que ce soit une bonne nouvelle, le Gabon n’est pas seul dans ce cas.

L’OMS alerte sur les conséquences potentiellement dévastatrices en Afrique

Porteurs ou porteuses sain.es, gel hydroalcoolique, gestes barrières, confinement et lavages de mains élémentaires. Les populations s’habituent au fur et à mesure à ce champ lexical, mais pour combien de temps encore ? Aucune âme qui vive ne le sait. Près de soixante ans après avoir marché sur la lune, l’ignorance est donc la chose la mieux partagée par les Hommes. Le savoir est donc l’objet d’une coalition, du tradithérapeute à l’épidémiologiste.

Pour le docteur Padzys, « le Gabon n’aura pas vraiment le choix de répondre par des méthodes internes aux questions qui minent la société. C’est le cas en médecine. Il faudra un jour développer son industrie pharmaceutique locale pour avoir une autonomie en matière de gestion sanitaire. A savoir que l’indépendance d’un pays est étroitement liée à l’indépendance scientifique, donc à une autonomie de raisonnement et d’action des hommes et femmes de science ».

Nous sommes dans l’attente d’une validation d’un antidote par l’Organisation Mondiale de la Santé, et cette dernière attire une attention particulière sur les conséquences dévastatrices qui pourraient frapper l’Afrique. Dans ce contexte, il est plus qu’urgent de s’autoriser une réflexion sur notre patrimoine médical par la pharmacopée. Seule cette posture permettra au Gabon d’anticiper seul, sans être tributaire des essais médicamenteux opérés ailleurs dans le monde.

Mickôlô

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