Leurs profits, nos morts

La Grèce est en ébullition depuis le premier mars.
Suite à la collision de deux trains circulant sur la même voie près de Larissa provoquant la mort d’au moins 57 personnes et des dizaines de blessés, l’heure est à la colère.

La Grèce est en ébullition depuis le 1er mars.
Suite à la collision de deux trains circulant sur la même voie près de Larissa, provoquant la mort d’au moins 57 personnes et des dizaines de blessés, l’heure est à la colère.
« Drame », « tragédie » et autres « erreur humaine » peuplent le discours dominant des media mainstream. Mais la population et les manifestations massives et quotidiennes depuis l’événement dénoncent avec justesse un crime de l’état et du capital parmi tant d’autres.

Dénonciation du niveau de vétusté par les syndicats à maintes reprises ces dernières années, interdiction de grève, vente du réseau ferroviaire à une entreprise italienne pour un morceau de pain en 2017 sous la pression de l’Union Européenne, subventions alourdissant la dette grecque pour financer des rénovations et réparations jamais mises en œuvres, la liste est longue… Tous les jours, de nouvelles révélations ne font qu’accentuer la colère contre le gouvernement, Hellenic Train et le système capitaliste dans son ensemble.

Au moment où nous apprenons qu’Hellenic Train est protégée par un décret récent l’exonérant du paiement de toute compensation financière en cas d’accident, les manifestants, eux, sont violemment réprimés dans les rues d’Athènes.

La rage mythique de la population grecque, progressivement anéantie depuis les années 2010 à coup de baisse des salaires, des retraites, de répression violente des mouvements de contestations et des squats, de fausse parenthèse de gauche au gouvernement et d’hystérie pandémique, semble renaître de ses cendres en cette période préélectorale (https://lundi.am/Un-marathon-des-luttes-en-Grece).
Ce meurtre de masse fait souffler un ouragan sur des braises déjà brûlantes.

CE N’EST PAS UN DEUIL NATIONAL
C’EST UNE GUERRE DE CLASSE

Plus bas, la traduction du témoignage d’une camarade voyageant dans le train mortellement symbolique, publié sur son compte Facebook et reprise dans des blogs militants.

Voyage en rame IC62 : Rappel que l’État et le Capital assassinent

Texte d’une camarade-passagère de la rame fatale IC62.

Avril 2022 : Démission du président des travaux d’installation du système de signalisation ferroviaire et responsable de la sécurité des trajets, par laquelle il dénonce l’insuffisance en termes de sécurité du réseau de transport.

Automne 2022 : Dépôt de plainte de la part du Syndicat Grec des Conducteurs de Train (Panellinia Enosi Prosopikou Elxis) dénonçant l’état des infrastructures ferroviaires ayant eu pour résultat les accidents suivants :

  • 1er août 2022 : déraillement 1521 à Tithorea
  • 10 octobre 2022 : déraillement du train de banlieue à Lianokladi
  • 21 octobre 2022 : déraillement 882 dans la région de Tithorea

Février 2023 : L’Union Syndicale Démocratique des Cheminots dénonce deux accidents sur le réseau ferroviaire dus au manque de mesures de protection et met en garde le gouvernement concernant les accidents à venir.
Il va de soi que ces gens n’étaient pas des prophètes, ni des illuminés. Ils connaissaient simplement l’absence d’entretien, le fonctionnement en sous-effectif de la compagnie HELLENIC TRAIN, ses négligences criminelles, les dangers encourus pendant leurs heures de travail et le danger qui plane sur les centaines de voyageurs quotidiens.

C’est ainsi que, le soir du lundi 28 février 2023, le train passager IC62 démarre d’Athènes, à destination de Thessalonique avec 350 passagers (sachant que le train méridien du même jour avait été annulé en raison d’un problème technique sur le réseau électrique) et s’écrase sur un train commercial venant à contre-sens. J’étais présente dans ce train, comme des centaines de camarades étudiants, revenant d’un week-end prolongé, de la ville où je travaille à la ville où j’étudie. Je ne décrirai pas l’horreur que nous avons vécue, la presse jaune ayant déjà profité de l’affaire pour créer des images lucratives à partir des pertes humaines, du deuil maternel, paternel, familial…

Le lendemain du drame, avant même de connaître le bilan humain de l’accident, le Premier ministre du pays tente d’attribuer la responsabilité à une erreur humaine, cherchant un bouc émissaire en la personne d’un simple employé. Son allié éternel, les média, absolvent HELLENIC TRAIN de toute responsabilité. Cette dernière a été subventionnée à hauteur de plusieurs dizaines de millions, durant la période de privatisation d’OSE (équivalent SNCF), notamment pour financer l’entretien et la rénovation du réseau ferroviaire afin de servir à la population, des subventions qui, comme nous pouvions naturellement l’attendre, n’ont profité qu’à l’entreprise…

Cela fait des années que les employés crient et avertissent à propos de l’accident criminel à venir. Mais qui les écoute, ces syndicalistes folkloriques ? Qui s’intéresse aux corps de métiers qui risquent leur vie et celle de tant d’autres personnes quand on peut s’intéresser à la lucrativité d’une compagnie ? Et pour élargir ce spectre : nous vivons dans une société dans laquelle l’exploitation des classes inférieures et la vie humaine ne fait pas le poids face aux profits. Les morts ne constituent qu’un chiffre, une statistique, un record. Un chiffre qui ne mérite pas même d’être déclaré avec précision.

La responsabilité de ces morts est intemporelle et incombe à chaque gouvernement récent. Celle du gouvernement actuel atteint des sommets, de par son soutien éhonté aux intérêts d’une élite économique et par sa répression violente des rassemblements de contestation devant les bureaux d’une entreprise meurtrière le lendemain de la mort de dizaines de personnes. Ce gouvernement n’a pas hésité récemment à réprimer d’autres rassemblements dénonçant la mort d’un jeune rom de 15 ans par la police, des affaires de viol, ou la loi instituant la présence policière dans les universités…

Les pensées de tous les employés, des étudiants, de toute la partie de la société qui est en trop et qui est vue comme consommable, vont aux personnes disparues, aux personnes blessées, aux familles, aux collègues, aux camarades et compagnons de ces personnes. Pour nous, les survivants, il va de notre devoir éthique et politique, humain et social, de dénoncer les principaux responsables de cette tragédie, HELLENIC TRAIN et le gouvernement grec, qui main dans la main ont ôté des dizaines de vies. Il va de notre devoir de transformer notre peur et notre deuil en lutte.

PS. Deux lignes semblent indispensables pour rappeler que durant ces moments d’horreur, la solidarité entre les passagers a éclairé un instant notre peur noire. Deux lignes, pour ces filles et ces garçons qui se sont donné la main, qui ont offert à leur prochain les vivres et les soins élémentaires et refusaient de monter dans les ambulances pour sauver les plus grièvement blessés.

Chara -Eirini Ananiadou, passagère du train IC62