« Pour votre confort et votre sécurité »

En Grèce, la chasse aux personnes exilées comme fond de carte postale.

« Asile en Grèce : prison, mort, peur, exclusion. Vivez votre mythe grecque. »
Photo de N. Richen.

On est toustes bien assis⸱es dans l’avion et l’hôtesse nous explique qu’elle est là « pour notre confort et notre sécurité ». Au même moment, un passager avec un billet est arrêté par les flics et enfermée dans une cellule située dans l’aéroport.

On survole les eaux turquoises de la Grèce et je me dis que des milliers de personnes ont dû s’y prendre à 10 fois avant de voir la même chose que moi depuis cet avion. D’autres n’y sont toujours pas arrivés. C’est non seulement à cause de l’argent, du temps qu’il faut bouger, circuler, "voyager" mais aussi à cause d’un autre bout de papier : le visa, le passeport, la carte d’identité, etc.

Combien se sont épuisées à perdre de l’argent, du temps, de l’énergie à tenter et retenter de sortir de ce pays, combien sont mort⸱es d’épuisement et de désespoir...

Les kilomètres qui défilent sous mes yeux et mon hublot, combien les ont parcourus en bus ou en train pour rejoindre le port d’Igoumenitsa ou encore la frontière terrestre entre le nord de la Grèce et la Macédoine ou l’Albanie. Combien de tentatives de traverser ces frontières pour essayer de (s’en) sortir.

Dans chaque aéroport, ouvrez l’œil. Fini les selfies et le monde fantasmatique des "vacances". Faites attention aux autres, à celleux qui ne peuvent s’échapper.
Moi je n’ai pas eu le courage de hurler mon refus de ce refoulement, de réunir des gens et de faire barrage. J’ai eu peur. Si on est ensemble pour repérer ces refoulements, pour s’opposer aux politiques migratoires violentes et aux pratiques "d’auxiliaires de la Police aux frontières (PAF)", alors on pourra agiter-bousculer-détruire cette normalité platonique, encamisolée et tellement violente, meurtrière. On saura à côté de qui l’on souhaite se tenir. Les vies invisibilisées seront au centre.

*

Recap’ des faits :

Dans la "salle d’attente" du vol vers Paris avec la compagnie Transavia. La file d’attente pour passer les dernières vérifications de billet est encore longue. Je vois quelqu’un mis de côté au niveau du comptoir d’embarquement. Cette personne, elle est sapée assez classe et elle est racisée. Elle attend pendant au moins 20 min d’un air interrogateur mais sans aucun retour de regard de l’hôtesse qui l’a mis au ban. Cette dernière prend toujours plus de temps avec les personnes qui ont des pièces d’identité hors UE, consignes obligent je suppose. L’hôtesse devient auxiliaire de la PAF. Je me demande si cette personne n’est pas dans la même situation que certain.es ami.es, sans statut administratif "régulier" pour voyager, tentant pour la énième fois de prendre un avion vers la France. J’hésite à aller le voir, je me dis "il va mal le prendre s’il se trouve qu’il n’est pas exilé en galère de papiers".

Puis tout le monde se lève pour monter dans l’avion. Je m’approche de la personne, un simple cordon nous sépare. Immédiatement, l’hôtesse m’ordonne d’embarquer. Puis elle me demande si je connais cette personne, si on est ensemble. Tout est fait pour m’écarter, pour nous séparer. Je demande à cette personne : « English ou français ? ». « Français », me répond-elle.

J’apprendrais par la suite qu’elle a fui le Congo. Qu’il est un colonel des Forces armées de la république démocratique du Congo. Qu’il a perdu sa mère, ses enfants et sa femme. Il me dit ne connaître personne à Athènes. Je prends son numéro et le mets en relation avec des équipes solidaires de soutien juridique pour les exilées. Je m’en vais retourner à "ma place".

Ça a duré le temps d’une minute, durant laquelle l’hôtesse m’ordonne d’aller prendre mon vol, tout en faisant passer les "bons" passagers.

Une fois à l’entrée de l’avion je demande à l’équipage, qu’est-ce qu’il va se passer pour ce passager ?
« Il n’a sûrement pas de papiers.
On ne peut rien faire, c’est l’équipage de sol qui s’occupe de ça. On ne les connait pas et on ne descend jamais au sol. »

Fragmenter les responsabilités, déposséder du pouvoir pour agir, diviser et isoler les travailleur⸱euses d’une même entreprise. Être cliente, c’est simplement fermer sa gueule et apprécier, ou au pire, se plaindre mais dans la limite du contrat commercial. Même si tu payes, du moment où tu te places contre le business des frontières et des visas, alors tu ne vaux pas mieux que les victimes-survivantes de ce système foncièrement violent, profondément raciste et mortifère.

Je ne connaissais pas ce passager empêché. Dans ce papier, je ne le défends pas "lui". Je brûle, ici, pour défendre la liberté de circulation, pour une lutte anticapitaliste qui rejoigne celles antiracistes, antifascistes et décoloniales.

FEU AUX FRONTIÈRES DE FRONTEX
FEU AUX VISAS ET AUX PRISONS

"Je ne souhaite pas que cela m’arrive. Je préfère me suicider que d’aller en prison j’ai tout perdu j’ai plus personne, la vie n’a plus sens pour moi."
Message de ce passager empêché, de cet enfermé illégitimement, avant son transfert à Amygdaleza.

PS :

* "In March 2014, the state’s legal council allows the detention for periods exceeding 18 months, calling the detention now a “restraining order of freedom”, a legal wordplay, since any detention exceeding 18 months without a conviction is illegal. From then on, detention could exceed the 18-month limit and people could be imprisoned for 22, 24, or 26 months, while others are already in their second 18-month period."
Source : https://athens.indymedia.org/post/1614385/

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