La collection Les précurseurs de la décroissance propose des petits recueils d’extraits de grands penseurs qui peuvent être utilisés en vue de promouvoir de nouvelles relations entre la nature et les activités humaines. Même si l’on peut questionner la réduction de ces pensées au statut de « précurseurs » d’une notion plutôt pauvre comme la décroissance, il n’empêche que plusieurs de ces recueils offrent l’occasion de redécouvrir des idées particulièrement intéressantes pour faire avancer la pensée politique actuelle.
C’est le cas de l’un des derniers titres parus, consacré à Alexandre Chayanov (1888-1937), économiste russe fusillé par le NKVD, qui présente le grand mérite de penser en pleine collectivisation stalinienne, autrement dit en plein développement de ce qui deviendra sous d’autres latitudes l’agro-industrie, une économie paysanne auto-limitée, excluant d’emblée la catégorie du salariat, et recherchant en permanence un équilibre entre les besoins d’une famille élargie et la dépense de travail nécessaire pour les combler. Au lieu de supprimer radicalement un mode de vie et une culture entière par la mise en place d’une imitation capitaliste d’État, il aurait été possible de bâtir, de bas en haut, un socialisme paysan que Chayanov pensait sur le mode d’un maillage de coopératives. Si l’on admet que Chayanov est, en un sens, mort pour la vérité, alors sa vision de la paysannerie mérite d’être réactualisée, à l’heure où de nombreux mouvements paysans tentent à l’échelle internationale de défendre des lieux et des mondes soustraits à l’emprise capitaliste. Renaud Garcia présentera ici les grandes lignes de son ouvrage sur cet économiste hétérodoxe.
Annick Stevens évoquera aussi brièvement l’opuscule de la même collection consacré à Murray Bookchin (1921-2006), l’un des premiers militants anarchistes à avoir indissolublement lié la critique radicale du productivisme, du capitalisme, des mégapoles et de l’esclavage consumériste, avec une proposition politique de municipalisme libertaire, sans laquelle il montre que toute réelle avancée écologique serait impossible. Le choix des extraits met en évidence la globalité de cette pensée dont l’ambition était de reconstruire tous les aspects de la vie pour sortir d’une misère autant éthique et culturelle qu’économique. Par ailleurs, c’est une œuvre qui suscite beaucoup de controverses par sa recherche d’une technologie émancipatrice et par son opposition à l’écologie « profonde » ou « holistique ».
Cette discussion vise donc à intégrer plus nettement dans le questionnement libertaire la question écologique, paysanne et « anti-industrielle », tout en évitant que les appels à la « décroissance » se limitent à une démarche de simplicité volontaire.
Renaud Garcia est enseignant de philosophie au lycée Artaud, Marseille 13e. Auteur du Désert de la critique (L’Échappée), de La nature de l’entraide (sur Kropotkine et les rapports entre biologie et anarchisme, ENS éditions) et de trois petits opuscules dans la collection des « précurseurs » (Tolstoï contre le fantasme de toute-puissance ; Kropotkine ou l’économie par l’entraide ; Chayanov, pour un socialisme paysan). Collaborateur occasionnel du mensuel La décroissance et de CQFD. Membre du groupe constitué à l’initiative de l’appel de Beauchastel contre l’école numérique.