Alibi humanitaire et mensonge d’État – un point sur les CAO

Cet article est une synthèse de ce qui s’est dit lors de l’émission Libre Débat du 7 décembre 2016, sur les ondes de la radio libre marseillaise Radio Galère. L’animatrice avait invité trois membres du Manba, collectif qui soutient les réfugiés passant par Marseille, ou s’y installant. Au long d’un passionnant dialogue d’une heure et demie, les trois intervenantes, membres du groupe de travail du Manba sur les Centres d’accueil et d’orientation, ont présenté les réalités méconnues de ce nouveau dispositif, avant d’en détailler les enjeux. Le compte-rendu qui suit est forcément parcellaire – celles et ceux qui désirent en savoir plus ont tout intérêt à se reporter au podcast de l’émission, mis en ligne le 8 décembre 2016 sur le site de Radio Galère.

« Les Centres d’accueil et d’orientation (CAO) sont des structures d’accueil des réfugiéEs réparties sur tout le territoire français, pour la plupart dans des zones rurales. On en compte aujourd’hui 450, toutes financées par l’État, officiellement à hauteur de 25 euros par jour et par personne. Elles sont gérées par des associations qui ont répondu à un appel d’offre – par exemple, les cinq CAO marseillais sont tenus par les assos Adoma et Sara.

Ces centres ont été créés par une circulaire du 9 novembre 2015, signée du ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve. Leur création répondait à un objectif ouvertement affiché : vider la (dite) jungle de Calais. Dès la fin de l’année 2015, ses habitantEs ont ainsi été incitéEs à la quitter, pour rejoindre les premiers CAO. Un mouvement d’abord discret, avant d’être mis en lumière lors de l’évacuation proprement dite, conduite sous les objectifs des caméras en octobre 2016. C’est en effet à ce moment que ces centres ont réellement été mis en avant dans les médias mainstream et portés à la connaissance du grand public : ils étaient alors présentés comme une solution humanitaire d’accueil à taille humaine. Le discours tenu à leur propos se résumait à cette vague idée. Et il faut reconnaître que, même aujourd’hui, on n’en sait pas beaucoup plus. C’est compliqué d’obtenir des infos sur ce qui se passe à l’intérieur de ces structures – il y règne une vraie opacité, certaines associations interdisant l’entrée aux gens extérieurs ou recommandant aux migrantEs de ne pas parler. Et c’est aussi difficile de porter un regard global sur ce dispositif, notamment parce que la dispersion des CAO sur le territoire entraîne un isolement des personnes réfugiées.

Pour dissiper ce flou, il importe de reprendre les éléments de discours relayés par les médias en octobre 2016. Parce qu’ils permettent de mieux comprendre la fonction des CAO. Le versant humaniste de ce discours s’appuyait en effet sur l’affirmation que la ’’jungle’’ de Calais était devenu un insupportable bidonville à ciel ouvert. En découlait l’idée que ses occupantEs ne pourraient que mieux vivre dans ces structures de petite taille. À en croire les médias et l’État, illes y seraient accompagnéEs juridiquement, socialement et administrativement par des associations. Et illes auraient soi-disant la possibilité de réfléchir à ce qui était appelé leur ’’projet migratoire’’. Une grossière manipulation : le projet des migrantEs vivant à Calais était de gagner l’Angleterre, non de se retrouver au fin fond de la campagne française...

L’un des autres enjeux entourant la création des CAO tient à la question du ’’dublinage’’. Le mot renvoie au règlement de Dublin, texte normatif de l’Union européenne qui prévoit les conditions du droit d’asile. Il stipule qu’unE migrantE doit déposer sa demande d’asile dans le premier pays de l’UE qu’ille a traversé. UnE migrantE entrant en Europe par la Grèce avant de gagner la France n’est ainsi pas autoriséE à effectuer une demande d’asile chez nous. Ille ne pourra le faire qu’en Grèce. Et s’ille est arrêtéE en France, ille sera ’’transféréE’’ (terme utilisé pour ne pas dire ’’expulséE’’) dans ce pays, même s’il n’y a ni soutien ni famille. Le règlement de Dublin est ainsi le moyen pour des pays comme la France ou l’Allemagne de se soustraire à leur obligation d’accueillir les demandeur-EUSEs d’asile – c’est une évidence géographique, les migrantEs arrivant dans l’hexagone sont (presque) forcément passéEs par un autre pays européen avant...

Quel rapport avec les CAO ? Simple : l’État français avait promis que les migrantEs acceptant de quitter la ’’jungle’’ pour rejoindre des Centres d’accueil ne se verraient pas appliquer le règlement de Dublin. Dit autrement : illes pourraient déposer une demande d’asile en France.
Mais cette promesse n’a pas été tenue. Pas plus que n’a été respectée celle d’un accompagnement social et administratif. Dans la réalité, les réfugiéEs se retrouvent complètement isoléEs dans des centres d’accueil paumés en pleine campagne. Illes n’ont droit à aucun accompagnement (sauf rare exception). Et quand illes veulent déposer une demande d’asile, on leur oppose très souvent le règlement de Dublin, puis on les assigne à résidence en attendant leur ’’transfert’’. C’est-à-dire qu’on les contraint à demeurer dans les CAO – l’État s’était pourtant engagé à ce qu’aucune mesure coercitive n’ait cours dans ces structures.
Attention : ce n’est pas le cas partout. En pratique, la levée du règlement de Dublin dépend du bon vouloir des préfectures. Dans certains départements, les migrantEs logeant dans des CAO peuvent déposer des demandes d’asiles. Dans d’autres, non. D’où une évidente discrimination, en totale contradiction avec le droit français.

Ce n’est bien sûr pas la seule négation du droit constatée. La pire est sans doute que des migrantEs vivant en CAO y soient assignéEs à résidence hors de tout cadre juridique. Même dans les Centre de rétention, des avocatEs peuvent intervenir - par exemple, pour faire annuler des procédures irrégulières. Rien de tel dans les CAO, où règne le flou juridique le plus complet. Bref, c’est un pas supplémentaire dans l’arbitraire.

Au fond, la création des CAO ne répond qu’à une seule logique, très éloignée des discours d’accueil médiatiques de l’État et malgré les promesses d’accueil faites dans la ’’jungle’’. Soit une volonté de répression et de dispersion. Voilà le but des CAO : remettre les habitantEs de la ’’jungle’’ sur les routes. Et casser les formes d’organisation et de solidarité qu’illes avaient pu mettre en place à Calais. Ainsi que les couper des réseaux d’entraide et de soutien. C’est justement cette logique d’isolement et de dispersion que le Manba, à l’image de beaucoup d’autres collectifs en France, essaye de casser – en accompagnant les migrantEs et en informant sur le véritable visage de ces structures. »

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