En résumé, pour les policiers, le premier meurtre est gratuit...

Le 1er avril 2014 à Marseille, Morad meurt défenestré, coursé par la police. L’affaire a été classée sans suite le 10 juillet de 2014, enterrée dans la torpeur de l’été après une enquête expédiée par l’IGPN.

Il y a cinq ans, Morad chutait d’un balcon à Marseille en tentant d’échapper aux policiers. Après quatre jours de coma, l’adolescent est décédé le 5 avril 2014 à l’hôpital. L’affaire a été classée sans suite le 10 juillet de 2014, enterrée dans la torpeur de l’été après une enquête expédiée par l’IGPN. « Notre vie a basculé, le 10 juillet on a eu l’impression qu’ils avaient tué Morad une deuxième fois », dit sa mère.

Le 1er avril 2014, vers 15 heures, un équipage de la BAC, affecté ce jour-là au secteur nord, repère le ballet habituel des clients au pied de l’immeuble. Une deuxième Bac remonte du centre-ville et les sept policiers montent une opération de flagrant délit en quelques minutes. Dans la cage d’escalier, le premier policier tombe nez à nez avec Morad. Le policier connaît bien le gamin, Morad le reconnaît aussi. Il court vers un appartement au deuxième étage. Le policier à ses trousses, Morad traverse l’appartement et déboule sur le balcon à quelques 7 mètres au-dessus du sol. La suite est moins claire : Morad a-t-il sauté en espérant passer d’un balcon à l’autre ? Ou a-t-il chuté accidentellement ? Ce qui est certain, c’est que si les policiers n’étaient pas intervenus comme ils l’ont fait ce jour là, Morad serait encore en vie.

L’IGPN a été appelée suite à « la découverte d’une personne grièvement blessée » car Morad n’est pas mort sur le coup. Or, plusieurs témoins non entendus, affirment qu’entre le moment où Morad était au sol et le moment où les secours sont intervenus, il a été violemment secoué par un agent. Morad portait une sacoche. Alors que les policiers affirment qu’elle a été récupérée à l’intérieur du bâtiment, avant la poursuite, plusieurs témoins affirment que la sacoche lui a été enlevée après la chute, par le policier qui l’aurait secoué violemment. Aurait-il pu survivre à la chute s’il n’avait pas été secoué ? L’enquête se résume à peu de chose. Aucun horaire, pas d’enregistrement du trafic radio des policiers, ni de relevés téléphoniques qui auraient permis de préciser la chronologie du drame. Les enquêteurs n’ont pas non plus cherché à récupérer la vidéo réalisée par un policier avec sa caméra boutonnière, une fois Morad au sol.

Sur les lieux, un jeune de 17 ans témoignait :

J’étais au terrain de jeu quand j’ai entendu des cris. Quand j’ai rejoint le bâtiment K, j’étais choqué, Morad était au sol tandis qu’un policier lui enlevait sa sacoche en le secouant violemment. Les renforts sont arrivés très rapidement, sept voitures en tout. On ne pouvait pas s’approcher de Morad. Les pompiers ont été appelés par un habitant, pas par les policiers.

Il ajoutait aussi que

Il y a un mois, deux flics sont venus dans le bloc, ils sont venus pour frapper. Je te jure. Ils ont même mis des coups de matraque télescopique dans la tête d’un des jeunes. Franchement, ils viennent pour gazer tout le monde, ils s’en foutent complètement, ils gazent ta mère, ton frère, tous les habitants du bloc, pourtant il y a des enfants, et même des asthmatiques.

Il faut savoir que trois jours avant le décès de Morad, deux flics ont débarqué. Morad jouait sur son iPad, ils l’ont coursé, pris sa tablette, sa sacoche avec ses affaires personnelles et même les clés de son scooter !

Au sol, Morad souffre d’un grave traumatisme crânien. Un policier demande l’intervention des sapeurs-pompiers et de renforts, craignant l’émeute. Il décédera au bout de cinq jours de coma.

Sept voitures de police sont alors rapidement arrivées, bien avant les secours. A un moment où chaque seconde peut être vitale, la priorité absolue aurait dû être d’appeler les secours, pas de constituer un cordon de sécurité pour protéger les policiers d’une éventuelle émeute. Une plainte a été déposée par la mère de Morad avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges d’instruction de Marseille le 7 janvier 2015, en espérant l’ouverture d’une information judiciaire.

On veut savoir si le policier ne l’a pas mis en danger en le coursant jusqu’au balcon, comment il est tombé, s’il a été secoué quand il était par terre, combien de temps les pompiers ont mis à venir, les soins qu’ils ont faits.

Et que la mort de son fils ne soit pas réduite à un entrefilet sur un « charbonneur » dans la colonne faits divers des journaux. « Comme si ça blanchissait tout », complète la tante de Morad, qui n’en revient pas que le 9 juillet 2014, un des flics, toujours en service, ait été décoré de la médaille de bronze de la sécurité intérieure décernée par Bernard Cazeneuve, alors que l’enquête de l’IGPN. L’enquête a d’ailleurs été fermée dès le lendemain, soit le 10 juillet.

Il faut rappeler que ce n’était qu’un gamin de 16 ans. On veut nous criminaliser pour que les gens gardent confiance dans la police. Pour moi, il y a une vraie impunité policière, c’est la parole sacrée du policier contre celle du jeune. Si tu es policier et que tu comprends ça, tu fais ce que tu veux, les policiers se foutent de la gueule des jeunes de Fontvert, surtout quand ils leur lancent : « Oh les gars, attention au balcon ! ». Je croyais que la peine de mort était abolie… mais elle revient, sous d’autres formes en fait. Quand il n’y a pas de justice, c’est simple, on a envie de se rebeller. Les jeunes respectent moins les forces de l’ordre parce que la confiance est brisée. On a fait confiance à la police des polices. Quand on s’est aperçu que c’était des conneries, on n’a décidé de plus avoir peur d’eux.

Au fur et à mesure, on a moins peur de la police et on la respecte moins, franchement, ça rend service à personne. Quand je vois que pour Abdelhakim Ajimi, les policiers n’ont eu que du sursis, alors qu’il a été tué par trois policiers en plein centre ville de Grasse en 2011… en résumé, ce qu’il faut comprendre c’est que le premier meurtre pour les policiers, il est gratuit ! Voilà le message que le gouvernement nous envoie.

Le lendemain de la chute de son fils, alors que Morad se débattait encore entre la vie et la mort à l’hôpital, sa mère pour qui jamais aucun soutien psychologique n’a été mis en place, a en revanche reçu la visite de policiers venus perquisitionner son appartement. Ils sont repartis bredouilles.

Pour lui comme pour toutes les autres personnes tuées par la police ou passées entre leurs mains. Pour toutes les personnes qui subissent sa violence parce que condamnées à l’illégalité par un système qui les relègue en seconde zone. Rejoignez les appels à commémorer la mort de Zineb Redouane assassinée par un CRS le 1er décembre 2018.

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