Grève des cours de français à la Provence et pour leur auxiliaires policiers

Ce dimanche 05 janvier 2020 à 13h42, La Provence publiait un article intitulé Marseille : un policier tire sur le véhicule d’un fuyard. Devant l’infamie de ce texte, voici un petit cours de rattrapage pour pigistes sous influence.

Il est vrai qu’il ne vaudrait mieux pas travailler le dimanche (si tant est que le travail puisse être une institution défendable) et qu’entre midi et quatorze heures il vaudrait mieux se prélasser à la plage que de rédiger, en pleine digestion, des brèves de mauvaise qualité pour un journal miteux.
Aussi, et c’est peut être là son unique trait d’intelligence, R.C. a probablement simplement fait publier le procès verbal fourni par les policiers. Les faits se sont produits à une heure du matin et il est aussi vrai qu’il est difficile de taper des rapports en pleine nuit, que les touches des claviers sont toutes petites, surtout lorsque l’on porte des gants, et que nos chers équipages de la BAC font rarement des miracles au scrabble.

Permettons-nous alors de reprendre le texte afin de débusquer les fautes qui, si l’on omet l’absolue infection de son propos, le rendent si indigeste. En rouge les corrections grammaticales, en vert les corrections politiques, en noir la concordance des temps.

Marseille : un policier tire sur le véhicule d’un fuyard

C’est au cours d’une patrouille dans le secteur de la rue de Lyon et de l’avenue Salengro (15e) que cet (Lequel ? L’adjectif démonstratif "cet" suppose que le sujet auquel il fait référence ait été défini au préalable) équipage de la Bac nord a repéré, hier vers 1 (En lettre voyons !) heure du matin, le comportement étrange d’un groupe de jeunes, s’affairant autour de deux véhicules. Leur changement d’attitude, à la vue du véhicule sérigraphié, motivait un contrôle. (Nous sommes ici, à peine l’article ouvert, en face de son coeur : La plus pure construction policière qui veut que la nuit, tout groupe de "jeunes" constitue un amas suspect qu’il convient de contrôler. Les policiers et R.C. à leur suite omettent de préciser qu’un contôle de BAC en pleine nuit vire trop souvent au drame. Les exemples sont malheureusement légion, et quiconque de sensé tentera alors d’y échapper. Il ne faut donc voir là qu’un louable réflexe de préservation de ces "jeunes".) Mais alors que les fonctionnaires plaçaient leur véhicule en travers de la trajectoire d’une potentielle fuite et qu’ils posaient pied à terre, le conducteur au volant d’une Citroën DS3 noire allumait le moteur. Puis effectuait plusieurs marches arrières, coinçant violemment les jambes de l’un des policiers entre sa portière et l’habitacle de la voiture de fonction dans laquelle il était contraint de se réfugier.

  • Ce premier paragraphe commence au passé composé, ce qui ne serait pas un mauvais choix si ce n’était pour finir à l’imparfait. Pure hérésie en regard des faits relatés. En effet, l’imparfait permet à un récit d’exprimer la durée ou l’habitude dans le passé. Pour la description d’une succession d’actions on préfère le passé simple. Toutefois Wikipedia nous apprend que :

    L’imparfait est parfois employé dans la littérature à la place des temps de narration habituels tels que le passé simple ou le présent : c’est par exemple une des caractéristiques du style de Georges Simenon, mais aussi de Marcel Proust.

    Mais personne ne saurait prétendre mettre en rapport le style de quatre bacqueux assoiffés de sang avec celui de la crème de la littérature.

L’un des trois "baqueux", parvenu à s’extirper du véhicule avant ces percussions (Aurait-on raté un paragraphe nous informant de l’entrée en scène d’un orchestre symphonique, ou à défaut d’une batuccada ?), se positionnait (On aurait préféré ici un plus simple à manier "s’est alors positionné") alors à la hauteur de la vitre passager afin d’intimer l’ordre au conducteur de couper le contact. Pourtant, l’homme réussissait à sortir de cette ornière (Une ornière, c’est une tranchée dans la boue dans laquelle une roue une fois entrée à bien du mal à sortir. Tenter une métaphore au millieu d’un texte écrit au premier degré est une aventure qui ne peut que conduire au désastre...), à redresser son véhicule et accélérerait (Si les auteurs étaient à la recherche de l’imparfait de l’indicatif du verbe accélerer, la bonne forme était en fait "accelerait". Nous sommes là face à un conditionnel qui nous met dans un grand embarras en regard de la véracité plus que douteuse des faits relatés par les policiers) de nouveau, en fonçant (Par la surcharge, l’ajout de "en" détruit ici tout dynamisme dans le récit pourtant bien engagé grâce à l’emploi du participe présent "fonçant". Ce qui, à nouveau, rend peu crédible le danger encourru par des flics armés face à une voiture en train de faire un créneau. Dommage) sur le policier qui n’avait alors pas d’autre choix que de tirer à une reprise (Une reprise c’est quand on a déjà tiré une fois. Pour un seul coup de feu, il conviendrait mieux de dire de faire usage de son arme pour tenter d’amoindrir, par le verbe, la violence du geste et ainsi de déculpabiliser le meurtrier potentiel qu’est le bacqueux armé. ou de tenter d’abattre sur le champ et sans procès ce sale jeune pour s’approcher un peu plus de la réalité et être un minimum honnête avec les pratiques policières). Selon nos sources (Nous y voilà...), la balle aurait (La forme est ici la bonne si la volonté est d’utiliser un conditionnel, mais malheureusement le faisceau de preuves porte à croire qu’il s’agit à nouveau d’un malheureux imparfait) percé le capot de la Citroën DS3 retrouvée peu après par la police municipale.

  • Poursuivant une grande aventure au travers de l’usage des temps du récit, l’auteur commence ce dernier paragraphe avec un participe passé, un bon choix qui aurait dû l’aiguiller vers l’usage du passé simple plutôt que l’imparfait pour la suite de sa description des événements puisque c’est le temps qui permet de mettre l’action qu’il décrit au premier plan. En effet, et pour corroborer les savoirs acquis au paragraphe précédent, Wikipedia nous apprend au sujet du passé-simple :

    Les événements « non-essentiels », de second plan, exprimés à l’imparfait, au plus-que-parfait et au conditionnel, ne sont pas mentionnés rigoureusement dans leur ordre réel de succession. Employer l’imparfait, c’est mettre en toile de fond ou à l’arrière plan ce dont on parle, tandis qu’en employant le passé simple on met au premier plan ce dont on parle.
    Exemple : Dehors la tempête faisait rage, aucun voyageur ne s’aventurerait plus jusqu’ici. Il éteignit une à une toutes les lampes, rentra dans sa chambre, se déshabilla hâtivement et se glissa entre les draps. Comme il l’avait deviné, ils étaient glacés. Néanmoins, il s’endormit presque immédiatement.
    La longueur de l’action ne permet pas de distinguer le passé simple et l’imparfait : on ne peut pas dire que l’imparfait désigne des événements longs et le passé simple, des événements courts.
    Contre-exemple : À cette époque, Pierre frappait du pied (action brève) tout ce qui se présentait devant lui et passait ses journées à se promener dans le parc de la ville. Las de cette monotonie, il entreprit d’occuper autrement ses vacances et construisit un bateau (construire prend du temps) l’été durant.
    On ne peut pas dire non plus que le passé simple concerne des événements ponctuels et l’imparfait, des actions régulières.
    En d’autres termes, l’imparfait s’utilise pour décrire une action, considérée comme secondaire, tandis que le passé simple s’utilise pour l’action qui en coupe une autre, qui est digne d’intérêt et qui est le sujet central de la phrase.

Les trois fuyards sont eux toujours recherchés. Si cette voiture faisait l’objet d’une déclaration de vol, peut-être que le trio avait quelque chose de plus gênant à cacher : une ou des armes, une certaine quantité de drogue, des fiches de recherches à leurs noms ? Les enquêteurs de la sûreté départementale ont été chargés de retrouver ces hommes. (Si ici il n’y a pas grand chose à dire sur la grammaire, avouons que nous ne sommes pas encore vraiment face à Baudelaire. Mais l’absence de faute révèle peut-être un autre fait. S’agirait-il là du seul ajout du mystérieux R.C. puisque l’on change de registre en passant de la pure description policière à quelque chose de plus expectatif pour ce qui est du fond, ce changement est probablement l’élément qui élève la publication de cet article au rang de la pure ignominie. En effet, cette piètre tentative narrative ne nous dit rien de la réalité des faits puisqu’elle ne se base que sur un croisement de spéculations policières et journalistiques de bas-étage dans le seul but de donner quelques frissons aux lecteurs et lectrices qui auront eu le courage d’aller jusque là. En sus, cette sortie aventureuse va à l’encontre de toute forme de déontologie journalistique qui devrait confiner l’auteur à la simple description des faits et se garder de toute prise de partie dans la manière dont il rapporte des faits.)

Conclusions

Si on interprête alors ne serait-ce qu’à peine les éléments qui se dégagent de l’étude liminaire de ce ramassis d’ordures, il est fait preuve une nouvelle fois d’une collusion tristement équivoque entre ce que l’on ose à peine nommer des journalistes et leurs auxiliaires policiers, qui se refilent les papiers dans un mouvement de cooptation perpétuel. Le fait que jamais l’un ne questionne la pratique de l’autre permet alors à chacune des deux institution de s’autovalider en se fournissant le grain qu’elle ont besoin de moudre.

PS :

Note de la modération : si nous ne boudons pas notre plaisir de corriger des policier.es et autres journaleux sans scrupules, nous n’accordons pas la même importance à l’orthographe et la grammaire quand il s’agit de récits de luttes ou toute autre prose écrite sans uniforme bleu sur le dos, évidemment !

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