Propos d’un prisonnier sur son quotidien aux Baumettes

Le texte qui suit a été écrit par Samy Miout, prisonnier au centre pénitentiaire de Marseille depuis février 2017

Fin août début septembre, Samy et sont co-détenu Abdelhalim avaient fait parlé d’eux pour s’être mis en grève de la faim afin d’alerter sur leurs conditions d’enfermement. Ce lundi 26 mars 2018, Samy passe en procès suite à des plaintes de l’administration pénitentiaire. C’est à l’occasion de son passage devant le tribunal qu’il a demandé que ce texte soit diffusé. [Les passages entre crochets sont des notes qui ont été rajoutées avec son accord par les personnes qui l’aident à le faire circuler].

En 2018 je me demande vraiment comment c’est encore possible de vivre enfermé dans une prison comme celle-ci, aussi dégradée que le sont les Baumettes historiques. Avec le temps on devient de plus en plus impatient et c’est pourquoi je vais expliquer cette incarcération qui me choque.
Le commencement c’est l’insalubrité. Les douches sont froides avec des champignons sur le sol. Les chauffages sont éteints. Les canalisations sont tellement vieilles qu’elles dégagent de mauvaises odeurs. Les chasses d’eau se cassent. Même les escaliers se sont effondrés... Il y a des trous dans les murs des cellules avec de l’humidité et des fils dénudés qui pendent. Les fenêtres sont cassées, le froid rentre. Les grillages derrière les barreaux nous maintiennent en permanence dans la pénombre ce qui à la longue provoque des problèmes de vue. [Ce sont des caillebotis, interdits par la réglementation européenne, mais la France préfère payer des amendes que de les enlever et continue d’en installer]. Les rats s’invitent partout. Des cafards pullulent jusque dans les frigos. Tout la nuit on entend le bruit des chats qui miaulent, je n’arrive pas à dormir, je n’en peux plus mais il faut faire avec...
Certains prisonniers sont enfermés à trois dans une cellule de 9m². Rien qu’à y penser cela me fait frissonner.
Dans la cour de promenade, il n’y a pas de préau, quand il pleut, on reste sous la pluie.
Depuis peu de temps, je travaille comme auxi nettoyage. Je croise des hordes de rats qui prolifèrent et n’hésiteront pas à investir la nouvelle prison, si ce n’est pas déjà fait. Il faudrait dératiser. Pour ce travail, je suis payé 1€98 de l’heure, dont une partie est prélevée pour les parties civiles.
Lorsque l’on fait des commandes auprès du service de cantine, les livraisons tardent voire n’arrivent jamais. Lorsque l’on met un drapeau à la porte pour appeler un surveillant, il faut parfois attendre plus de deux heures avant que ça soit pris en compte. Il n’y a pas d’interphone dans les cellules pour prévenir en cas de problème. Si tu as un souci de santé, il faut plus d’une heure pour aller à l’infirmerie, le temps de perdre sa vie. [L’unité de soin étant désormais située aux Baumettes 2, pour y accéder il faut prévenir un surveillant qui, si toutefois il accepte, doit ensuite escorter le prisonnier dans un long tunnel entre les deux prisons]. Les salles d’attentes de l’UCSA sont tellement pleines que l’on y est serrés comme des poulets en cage. Quand un détenu est malade ils disent que tant qu’il respire il n’y a pas d’urgence. Je suis seul dans ma cellule et j’ai déjà fait trois pneumothorax avec des risques de récidive. Une fois, ils m’ont remis dans une cellule brûlée non rénovée et, ce malgré mes problèmes de poumons, j’ai respiré les résidus de cramé.
J’ai perdu ma mère le 6 mai 2017, l’année où je suis rentré aux Baumettes. Je n’ai pas eu le droit de participer aux obsèques. Cela me choque car pourtant je leur avais donné les documents nécessaires. Ce manquement à mes droits a été avéré par le Défenseur des Droits dans un document qui m’a été envoyé.
Mon droit de correspondance, même avec mon avocat, n’est pas respecté, mes lettres ne lui parviennent pas. Des courriers qui m’ont été envoyé par des avocats et par le Défenseur des Droits, sensés être confidentiels, m’ont été donné ouverts, et ce malgré l’autocollant mentionnant la confidentialité.
J’ai été agressé par un surveillant le 1er août 2017. J’ai alors déclaré l’agression au chef du bâtiment, celui-ci a constaté que je crachais du sang et m’a promis que je pourrais aller à l’infirmerie. Le 3 août, je n’étais toujours pas allé à l’UCSA, j’ai alors pris un compte-rendu d’incident pour des dégradations commises en réaction. Ce CRI a été classé sans suite, sans doute car cela aurait trop éveillé l’attention sur l’agression que j’ai subie. Je n’ai pu me rendre que le 7 août à l’infirmerie mais les lésions n’étaient plus aussi apparentes et il n’a pas été possible de faire constater les blessures. Ma plainte, déposée le 8 août, est restée sans suite. Suite à ce dépôt de plainte, j’ai été convoqué par un brigadier qui m’a clairement dit que si je confirmais ma plainte j’en subirai les conséquences et que je vivrai un enfer. Il m’a par la suite été très difficile de récupérer les documents prouvant le dépôt de plainte, ils ont été dissimulés pendant plusieurs mois par l’administration qui a prétendu que c’était du au déménagement de prison.
Suite à la grève de la faim et de la soif que j’ai mené fin août au côté d’Abdelhalim Trazie-bi, puis de nouveau et à de nombreuses reprises, les gardiens m’ont exprimé leur énervement à propos des articles qui sont sortis dans la presse.
Alors que j’avais entamé une nouvelle grève de la faim pour faire valoir mes droits et demandé mon transfert, j’ai été de nouveau violenté par les surveillants le 15 octobre 2017. La veille, j’avais bloqué la serrure de la cellule parce que je me sentais menacé par d’autres prisonniers et par les gardiens. [Samy avait alors demandé à être placé au quartier d’isolement pour sa protection et même demandé à être enfermé au quartier disciplinaire, ce qui prouve qu’il avait vraiment le sentiment d’être en insécurité]. Ils m’accusent d’avoir dégradé ma cellule et me demandent de rembourser le matériel mais la cellule avait déjà été dégradée et je n’ai jamais signé aucun état des lieux. [Par ailleurs, il est à noter que le bâtiment A où se trouve la cellule en question a été vidé de ses occupants au début du mois et qu’il sera démoli cet été, comme le bâtiment B où se trouve actuellement Samy et les autres bâtiments des Baumettes historiques.] Ils prétendent que j’ai déclenché un incendie dans la cellule avec l’usage d’un dispositif explosif : c’est faux, j’ai utilisé un bout de drap. Après l’incendie, à mon retour de l’infirmerie, j’ai constaté que mes affaires, restées dans la cellule, m’avaient été dérobées car les surveillants avaient délibérément laissé la porte ouverte. Quand ils sont de nouveau intervenus pour me conduire au cachot, je suis tombé par terre car j’ai fait une détresse respiratoire. Ils m’ont mis des coups. J’ai fait effectuer un certificat médical le lendemain, j’ai déposé plainte contre X pour des violences commises lors de cette intervention, mais la plainte n’est jamais arrivé à destination. Aujourd’hui je suis accusé de les avoir insulté et menacé. Ils prétendent que j’ai formulé des menaces au nom de l’Islam, ce que je nie formellement, cela me paraît tout simplement inconcevable car je pense que c’est une religion de paix, incompatible avec la violence. [Dans d’autres établissements pénitentiaires également, la religion musulmane sert de véritable bouc-émissaire, sujet à tous les amalgames. Dorénavant, les surveillants qui portent plainte ou qui ont des rancœurs envers un prisonnier hésitent de moins en moins à le faire passer pour un « détenu radicalisé ».] Pour ses faits de dégradations et menaces, j’ai déjà été condamné par la commission de discipline, j’ai été placé au quartier disciplinaire, j’ai perdu 45 jours de remises de peine, et, maintenant, c’est le tribunal qui s’apprête à me pénaliser de nouveau.
Quoi qu’il en soit, quel que soit l’issue du procès, ce que j’espère c’est que je serai transféré hors des Baumettes, en espérant être incarcéré dans une prison qui respecte le règlement institué. Actuellement, même si mes rapports avec l’administration pénitentiaire se sont un peu améliorés, cela reste très dur au niveau émotionnel : le décès de ma mère, le coma de mon frère qui est encore hospitalisé, l’absence de mes enfants, etc. J’ai perdu quinze kilogrammes durant ma détention. Aucun personnel de l’état ne m’aide véritablement, je suppose que cela peut s’expliquer par la difficulté des conditions de travail et de détention dans cette prison et le réel manque de moyens qui rendent le travail difficile à exercer.
Ma dernière grève de la faim a été effectuée du 13 décembre au 9 janvier, j’ai passé les fêtes sans manger. Je n’ai été reçu par l’UCSA qu’en date du 3 janvier, treize jours après le début de la grève de la faim, ce qui a été avéré par le délégué du Défenseur des Droits. J’ai fait ça pour demander une nouvelle fois ma demande de transfert pour rapprochement familial car ici je manque de soutien.
La prison des Baumettes est tellement dure qu’on en arrive à se mutiler, à avaler des lames de rasoir, à se pendre... C’est la prison française où le taux de suicide est le plus important [chiffres de l’année 2017].
Tout ce que je viens de décrire n’est pas du tout digne d’humanité, nous sommes normalement privés de liberté mais là je comprends qu’on est en train d’enlever ma dignité. C’est pourquoi je suis révolté et le resterai jusqu’au jour où je serai libéré, afin que d’autres ne subissent pas de telles tortures psychologiques. J’espère que les nouvelles générations n’auront plus à vivre ce type d’enfermement. Suite à ses déclarations, je demande mon transfert dans l’urgence et mon placement sous protection judiciaire.

Samy Miout
numéro d’écrou 184030 / Centre Pénitentiaire de Marseille - Les Baumettes

Si vous souhaitez aider Samy à faire savoir ce qui se passe aux Baumettes : contactez-nous sur parloirlibre[at]gmail.com ou 0753131208.
Vous pouvez également aider Samy en participant à la cagnotte https://www.lepotcommun.fr/pot/5qv1ilql

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