Retour sur 8 mois de legal team

Ce texte se veut une sorte de bilan de l’expérience de la legal team de Marseille sur les 8 derniers mois afin de transmettre des infos utiles à une réflexion collective pour faire face à la répression.

Pendant l’été, la legal team a fait une pause...

Les raisons en sont multiples :

  • la fatigue et le manque d’effectif pour prendre en charge les actes de solidarité (répondre au téléphone, accompagner les proches, aider à préparer les dossiers de Comparutions Immédiates et de demande de libération, être présent au procès, envoyer des mandats aux prisonnier.e.s, trouver de l’argent…) ;
  • les reproches de quelques personnes face aux impasses provoquées par l’urgence de la situation ;
  • l’autocritique autour des avantages et des inconvénients de la spécialisation de l’anti-répression.

Il nous paraît donc important de diffuser ce texte, sorte de bilan de l’expérience de la legal team sur 8 mois afin de transmettre des infos utiles à une réflexion collective pour faire face à la répression.

Car si la solidarité est notre meilleur arme. Il n’en demeure pas moins que s’y préparer collectivement en s’aménageant des temps de discussion est aussi le meilleur moyen pour éviter la spécialisation. Ainsi, les groupes en lutte élaborent, eux-mêmes, des stratégies communes pour faire face aux pratiques policières et judiciaires.

Échanger des expériences, envisager ces situations, discuter ensemble en amont, c’est déjà se préparer à réagir au mieux.

Tout d’abord, c’est quoi la legal team ?

La legal team de Marseille a d’abord été crée pour répondre collectivement à la répression de la lutte contre les politiques de la ville qui mettent tout en place pour faire plus belle la vie aux riches en écrasant les pauvres (pourrissement des logement à Noailles, gentrification à la Plaine ...).

Pour empêcher que ces mouvements ne s’organisent, la mairie ne tarde pas à réprimer (interpellations, violences policières, procès) pour isoler, dissuader et couper court à la lutte. Il s’agit donc d’accompagner toute personne visée par la répression de la lutte. Il s’agit aussi de rassembler les fonds levés indépendamment par des initiatives de soutien pour payer les frais de justice des inculpé.es. Quand une personne passe en procès, c’est tout le mouvement qui est inculpé...

Début décembre, les manifestations contre les politiques urbaine rejoignent celles des gilets jaunes, des lycéen.nes, avec quelques émeutes à la clé. Là encore, la réponse judiciaire est au service de la volonté de stopper le mouvement social.

La legal team prend alors en charge la solidarité des manifestants arrêtés pendant les manifestations qui ont lieu à Marseille.

Bilan de la répression - Marseille

La répression du mouvement des gilets jaunes est à la hauteur de la menace qu’il représente. Certaines des personnes de la legal team, ayant déjà pris part à d’autres collectif de soutien, ont pu observer comment la répression a changé en quelques mois, en termes de lourdeur des peines, facilité par un arsenal juridique mis en place depuis plusieurs années.

La répression est différente selon les villes, en fonction de l’importance de la mobilisation... mais on retrouve globalement des traits communs : violences policières, arrestations massives, beaucoup de peines de prison distribuées à l’issu de procès aux chefs d’inculpations lourds et aux dossiers vides…

Deux mots sur la situation nationale.

La police s’est perfectionnée : nouvelles armes, nouvelles tactiques, avec la mutilation systématisée. Les blessés signalés sont plusieurs milliers et Zineb Redouane a été tuée à sa fenêtre par un tir de gaz lacrymogène. Pour ce qui est des mutilations définitives, on dénombre au moins : 286 blessures à la tête, 24 personnes ayant perdu l’usage d’un œil, 5 personnes qui ont eu la main arrachée et 1 personne qui a perdu l’audition.

Au niveau judiciaire , selon certaines sources en date du mois de mai dans toute la France depuis le mois de novembre : 8700 gardes à vue, 2000 procès dont 1500 comparutions immédiates, près de 40% de peines de prison fermes, plus de 400 mandats de dépôt.

Des mois d’incarcération pour une insulte ou pour un palet de lacrymo renvoyé à son expéditeur, encore mieux pour « violences » envers des policiers « avec usage et menace d’une arme » - à savoir son fauteuil roulant - et « entrave volontaire à l’arrivée des secours » - qui ne seraient autre que le canon à eau de la police. Et depuis peu, avec la loi « anticasseurs », des manifestants ont déjà pris du sursis et une amende pour dissimulation du visage.

Le message est claire, fermez vos gueules, rentrez chez vous et allez trimer !

Sur Marseille, on peut tenter ici de faire une sorte de « bilan ». Il est tout d’abord à noter que ces informations sont très partielles, pour plusieurs raisons :

  • Le mouvement des gilets jaunes ne se concentre pas dans les villes, il y a eu de nombreuses arrestations à des ronds points, à des péages, en dehors de Marseille (notamment beaucoup à La Ciotat, ou dans le Var). La legal team a été tardivement en contact avec certains groupes, mais n’a pas pu effectuer de travail de recensement des interpellations.
  • Souvent, le contact avec la legal team a eu lieu pour les passages en procès, et donc les personnes qui ont été convoquées à la gendarmerie, ou qui sont sorties de garde à vue sans suite n’ont pas contacté la legal team. Il manque donc beaucoup de monde.
  • En novembre et en décembre, la répression est tombée sur les manifs, et à Marseille, à ce moment-là, les manifs concernaient La Plaine (manifs contre les travaux de « rénovation » et donc d’expulsion des pauvres du quartier), Noailles (suite aux effondrements provoqués par la gestion du logement par la mairie), et le mouvement lycéen. Les personnes ayant été interpellées à ce moment-là n’ont sûrement pas été comptées dans les chiffres officiels des interpellées du mouvement gilets jaunes. Pourtant, les peines ont été très lourdes, certaines personnes ayant pris plusieurs mois à un an de prison ferme avec un mandat de dépôt.

Malgré ça, on peut tenter une sorte de bilan chiffré :

  • Depuis décembre, la legal a été contactée ou a rencontré des proches/des personnes interpellées dans une centaine de procès (de 100 à 120 personnes sont passées en comparution immédiate)
  • Il y a eu plus de 200 gardes à vue recensées par la legal team. A ceci, il faudrait ajouter les convocations en « audition libre » (au moins une centaine).
  • Une quarantaine de personnes ont été placées sous mandat de dépôt (soit en préventive, soit en ayant été condamnées).
  • Il y a une cinquantaine de procès à venir entre septembre 2019 et mars 2020, pour le moment.
  • En comptant l’aide au paiement des avocat.e.s, les mandats, la legal team a fait sortir près de 30.000 euros depuis novembre. L’ensemble de cet argent provient d’événements de soutiens ou de collectes diverses.

Sur le fond :

  • Beaucoup de détentions provisoires malgré de bonnes garanties de représentation (cf chapitre à ce sujet).
  • Au début du mouvement, les comparutions immédiates ont été souvent acceptées ( les avocat.e.s poussant leurs client.e.s à ce choix). Puis, la pratique du refus de CI s’est diffusé très efficacement pendant le mouvement.
  • Des poursuites judiciaires pour outrage sur son compte Facebook : on entend« nik les keufs » sur un live Facebook, la justice poursuit pour « incitation à la haine », une personne en GAV pendant 48h puis compa immédiate ----- l’affaire est louche ---- c’est un délit de presse qui se fait pénaliser… ?
  • Les poursuites pour dissimulation du visage sont arrivées à Marseille en juin.

Bilan de l’anti-répression

Pour nous, la legalteam a pour but de ne laisser personne du mouvement social seule face à la répression, de partager un maximum d’info, d’outils, et de techniques de débrouilles.

Pour cela on met des outils en place :

  • Diffuser de l’info en manif : comment fonctionne la répression ? Comment réagir face aux keufs ? C’est-à-dire diffuser des infos en amont, pour éviter les erreurs, notamment les aveux en garde à vue et face à la justice.
  • Diffuser aussi le numéro d’urgence qui nous sert à accompagner les proches, leur donner un maximum d’info sur le déroulement de la suite, les aider à constituer les dossiers de garanties de représentation, faire des appels a témoignages en vue de préparer les procès, faire le lien entre les avocat.e.s et les proches, etc.
  • Chercher de l’argent et la récupérer pour que la répression ne soit pas prise en charge individuellement mais collectivement. Les frais sont multiples : avocats, mandats des prisonniers, etc.
  • On fait le décompte des interpellations (même si la préfecture sort un chiffre le lendemain) pour vérifier qu’il ne manque personne.

Quels retours critiques sur les outils mis en place ?

A propos des GAV, avocat.e.s et stratégies policières

  • Alors qu’on conseillait dans le passé, notamment pour des raisons économiques, de « ne pas demandez un avocat conseillé par la LT en GAV », on réfléchit à trouver mieux. Beaucoup d’erreurs sont commises en GAV.
  • Le droit au silence : se taire en garde à vue est non seulement un droit à faire valoir mais aussi une façon de ne pas s’emmêler les pinceaux et de ne pas se faire piéger pendant les interrogatoire (aussi bien pour soi mais aussi pour éviter par maladresse d’inculper d’autres personnes). Pendant ce mouvement, un bon nombre d’avocats ont eu la fâcheuse tendance d’oublier ce droit de leur client.
  • Attention, il y a eu des GAV où la police a mis la pression sur les personnes interpellées, en invoquant des images de caméras. Nous notons que la reconnaissance sur les caméras n’étant pas toujours évidente, cet argument sert avant tout de moyen de pression pour obtenir des aveux. (surtout dans le cas des péages).

Sur la comparution immédiate

L’institution judiciaire répond aux mêmes exigences de rentabilité que les entreprises, la CI (comparution immédiate) s’apparente alors à une procédure d’abatage contre les pauvres, dont l’issue se solde la plupart du temps par de la prison ferme.

Hors mouvement social, à Marseille des études ont montré que 77% des personnes jugées dans le cadre d’un CI sont condamnés à de la prison ferme, et dans 69% des cas avec mandat de dépôt. En cas de refus, la plupart du temps la détention provisoire est prononcée.

Dans le cadre du mouvement des gilets jaunes, le profil des personnes jugées en CI était inhabituel : personnes peu habituées à la répression, qui ont un travail, une famille... Le curseur de dangerosité s’est déplacé, le rôle de la justice n’est plus de réprimer les plus pauvres mais de stopper la contestation, peu lui importe que la personne soit insérée ou pas.

Il est toujours difficile d’énoncer des vérités générales dans le cadre des procès, mais force est de constater qu’il vaut mieux refuser la CI. La plupart du temps lors les audiences en renvoi, à dossier équivalent, la sentence est souvent plus « clémente » qu’en comparution immédiate, même si la relaxe est rare par rapport à d’autres contextes hors mouvement social (alors que les dossiers le permettraient) ; et même si bien sûr, la justice continue son travail d’éradication du mouvement.

Refuser la CI : c’est se donner les moyens de préparer sa défense. Et même s’il y a de la détention provisoire, il y a possibilité de faire appel et de sortir avant son procès.

Sur les garanties de représentation 

C’est toute sorte de document qui va servir à donner des garanties qui prouvent qu’on est « inséré », le type de document à fournir peut être de toute nature : contrat de travail ou promesse d’embauche, convention de stage, fiches de paie, justificatif de domicile, certificat d’employeur ou de professeur, carte d’étudiant, diplômes...

Concrètement, ça sert à éviter la détention provisoire (en cas de refus de comparution immédiate par exemple), et parfois à alléger une peine ou certaines mesures d’un contrôle judiciaire. Ça sert à convaincre les juges et le procureur qu’on ne va pas récidiver illico en sortant du tribunal, ni disparaître dans la nature pour se soustraire à la justice. C’est aussi une manière pour le juge de s’assurer qu’il ne condamne pas un membre de sa classe sociale.

La plupart du temps, ces pièces sont rassemblées par les personnes à l’extérieur. Il est plus pratique de s’organiser en amont, en préparant son dossier à l’avance qui sera transmis à l’avocat en cas d’urgence. Si on n’a pas le temps de les réunir pour la comparution immédiate, ces pièces pourront servir, soit pour le recours contre la détention provisoire, soit pour le procès s’il y a report.

Le mouvement des gilets a montré que les garanties de représentation ne suffisaient pas à éviter la prison, maintenant c’est plus le danger de réitération que la classe sociale qui compte. Dans les prochaines semaines, il va falloir réfléchir à la défense collective…

Sur la relation les avocat.es conseillées et les avocat.es commis d’office 

La relation entre la LegalTeam et les avocat.es est avant tout basée sur une relation de client/conseil ainsi on constate régulièrement avec plusieurs avocats des soucis concernant la question de l’argent. Il faut toujours demander à l’avocat.e d’être clair sur le tarif.

Mais un accord de principe a été décidée avec les avocat.e.s que nous conseillons, c’est sur cette base que nous travaillons et que nous vous conseillons des avocat.e.s.

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