Retour sur la mobilisation des AED

Cette article du journal La casse revient sur la mobilisation des AED a cours de cette année à Marseille et en France.

Dans les dernières années, on a assisté en France à un cycle de mobilisations politiques qui a visé le régime néo-libéral au pouvoir, soit pendant la présidence Hollande, soit dans les dernières trois années sous Macron ; ces mobilisations ont commencé en s’opposant à une loi particulière mais ont fini pour contester une précarisation générale de la vie. Loi Travail, Réforme des retraites, taxe sur les produits énergétiques, loi sécurité globale, etc., sont des lois qui visaient des domaines spécifiques, mais qui ont déchainé des mobilisations (GJ, manifestations, réactions syndicales...) qui ont contesté toute une manière de vivre, tout un système social, politique et évidemment économique.
Dans ce sens, la mobilisation qui a pris forme dans les derniers mois au sein de l’Education Nationale répond à la même logique. C’est à dire que d’un côté c’est une réaction à un tournant répressif de l’Etat, qui cherche à utiliser la crise sanitaire pour appliquer un contrôle resserré et disciplinaire sur le système scolaire ; et de l’autre côté c’est une contestation non seulement des conditions de travail des élèves et des adultes à l’intérieur de l’école, mais de toute une structure productive et sociale qui fait en sorte que l’école soit devenue un apprentissage de compétences techniques qui adapte la formation des jeunes selon les demandes du marché de travail.

À Marseille, la catégorie la plus active dans ces mobilisations pendant les derniers mois a sans doute été celle des AED, (les surveillant.e.s) qui ont été les premiers à se mobiliser de façon spontanée (c’est à dire sans qu’un appel syndical ait été prononcé avant). Plusieurs dates de grèves ont été fortement suivies cet hiver, avec des vies scolaires souvent entièrement fermées. Le collectif AED 13 s’est formé à partir de luttes dans des établissements marseillais, vite rejoint par des AED de tout le département, puis par des dates de grèves nationales, notamment le 1er décembre.

Probablement les AED se sont mobilisés aussi à cause d’un statut plus précaire que d’autres, soit d’un point de vue du capitale symbolique (reconnaissance sociale, visibilité publique...) soit économique (smic, CDD d’un an renouvelable pour 6 ans maximum, etc.). Si d’autres catégories publiques, notamment les profs - mais aussi dans les secteurs de la santé -, peuvent se sentir protégé.e.s par leurs statuts, qui leur garantit encore (au moins jusqu’à l’explosion de la crise économique qui est en train de murir) une position sociale et économique, les AED sont des travailleur.euses qui ont beaucoup moins à perdre en se positionnant contre le discours et les pratiques du pouvoir.

Au contraire, les AED ont beaucoup à gagner en s’organisant et en se mobilisant, et leurs revendications sont ambitieuses mais réalistes. Encore plus si on les insère dans une réforme générale de l’éducation nationale, ce qui semble de plus en plus nécessaire depuis que la crise sanitaire a révélé les fortes inégalités déjà existantes dans le secteur éducatif républicain ; en particulier, la crise a rendu plus évidente l’importance du travail de soin de l’autre et de soi-même, qui est au centre de l’activité des AED.

En tant que AED, nous avons pu voir notre charge de travail augmenter, devenir beaucoup plus prenante et fatigante qu’avant le Covid, tout en restant assez invisibilisé. Avec les protocoles sanitaires mis en place dans les établissements, nous devons répondre à des nouvelles missions (souvent beaucoup moins éducatives que logistiques - voire répressives-, notamment quant au port du masque). Trop souvent nous subissons le manque d’espace de concertation et de discussion avec les élèves et les collègues, ce qui va de pair avec un durcissement des rapports hiérarchiques entre catégories (CPE, directions, professeurs...). Certain.es se sont fait convoquer pour avoir fait grève, ou pour des tensions liées à cette charge de travail, allant jusqu’à la menace de non-reconduction du contrat à la fin de l’année. Souvent, les hiérarchies jouent sur le contexte émotionnel de la crise sanitaire pour culpabiliser et faire taire les AED qui dénoncent des conditions déplorables, autant pour les travailleur.euses que pour les élèves.

À partir de ces constats, le collectif AED 13 en mobilisation a pu produire une plateforme commune de revendications, parmi lesquelles on peut trouver l’augmentation salariale, un statut reconnu juridiquement et – donc – socialement, l’accès aux droits à la formation, les primes Zep, et une amélioration des conditions sanitaires sur les lieux de travail.

Tout cela se passe pendant que le gouvernement continue à parler de laïcité et de lutte à l’islamo-gauchisme, avec un discours qui est totalement détaché de la réalité du terrain. Toutefois nous sommes conscient.e.s que ces discours produisent des effets sur nos vies quotidiennes, sur la manière dont nos enfants vivent l’école et sur ce qu’elles.ils y apprennent.
Malgré la propagande des « héros qui sauvent la patrie », à l’école comme dans les hôpitaux et dans tout le secteur public, les pouvoirs politiques n’ont concédé aucune amélioration sensible aux conditions de travail depuis le début de la pandémie. Au contraire, l’Education Publique a souvent été utilisée comme une garderie d’enfants qui doit garantir la productivité des parents, plus que pour l’épanouissement et la réussite des élèves. C’est ce qui a produit le mouvement des AED qui, parmi d’autres, s’est agrandit et qui a unit beaucoup d’établissements scolaires, en prenant de plus en plus conscience de la nécessité de son engagement et de sa lutte.

Nous croyons que les mobilisations des AED sauront continuer et s’élargir si elles trouveront des convergences avec d’autres travailleur.euses, en influençant les prochaines luttes afin de démocratiser par le bas la société et ses institutions. En particulier il sera fondamental de construire des liens avec les secteurs éducatif et sanitaire, qui sont parmi les plus directement concerné.e.s par la nouvelle organisation sociale en train de se construire avec la pandémie. Ce mouvement, en mettant au jour l’organisation politique, est en train de montrer la nécessité de construire des luttes dans les prochains mois qui réunissent les intérêts des travailleur.euse.s, non seulement des écoles (adultes et élèves), mais dans toute la société.

La casse

Nous sommes un collectif de travailleur. ses dans l’éducation, pour l’instant profs et AED, qui se sont réuni.es suite aux gardes à vue d’élèves après l’hommage à Samuel Paty. On trouvait qu’aucune réaction des institutions ne condamnait la criminalisation des enfants de moins de 13 ans. On a donc écrit un premier texte, et on aimerait en écrire d’autres. On est donc un collectif en construction, et ce qu’on veut c’est faire entendre des voix dissonantes et invisibilisées sur les milieux de l’éducation et se mobiliser en conséquences (soutenir nos élèves, leurs parents, nos collègues ect.). Personnels, élèves, parents d’élèves, toutes vos idées, réflexions, propositions, attentes, expressions diverses sont les bienvenues ! On peut aussi se rencontrer, s’entraider dans la production ou recueillir des écrits déjà faits.

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