Habitant⋅e⋅s et habitué⋅e⋅s du Camas, délogé⋅e⋅s ou non, concerné⋅e⋅s par le périmètre interdit, confronté⋅e⋅s à la gestion policière, politique et médiatique des derniers jours, nous prenons l’initiative de partager cette réaction collective.
Nous n’acceptons pas la réponse des institutions dans la suite de l’explosion et des effondrements de la rue Tivoli, dans la nuit du 8 au 9 avril. Cette gestion « de crise » est essentiellement policière et médiatique, superficielle et opaque quant aux dispositifs de soutien aux habitant⋅e⋅s . Elle permet aux autorités publiques de passer sous silence le mal-logement à Marseille : insalubrité structurelle , fragilité des bâtiments, défaillances chroniques en matière de réseaux de gaz, d’eau et d’électricité , ainsi que les risques d’incendie.
Ces problématiques nous concernent toutes et tous, au Camas comme dans d’autres quartiers.
Nos pensées vont dans un premier temps aux victimes, leurs familles, aux personnes délogées·e·s, nos proches, nos voisins⋅e⋅s.
Depuis dimanche 9 avril, la presse et les personnalités politiques affirment d’office le caractère accidentel de l’événement, un " accident domestique isolé dans un quartier branché, aisé et dynamique ". Olivier Klein, ministre du logement, appelle à « ne pas faire de parallèle qui n’aurait aucun sens ». Le maire Benoît Payan, de concert avec la procureure et le préfet, insiste « (la situation n’est) pas du tout la même qu’à Noailles ». C’est « à croire que Marseille a un mauvais sort avec les immeubles » conclue la presse. Ces déclarations à l’emporte-pièce et caricaturales apparaissent comme des tentatives de couper court à tout questionnement :
Qu’en est-il du mal-logement depuis le 5 novembre 2018, alors que sa résorption était la principale promesse de campagne du Printemps marseillais ?
Quelle transparence quant à l’état du réseau de gaz de ville à Marseille, peut-être à l’origine du drame ?
Quel accès au logement, a fortiori au Camas où le marché immobilier est à double vitesse, où foyers aisés côtoient personnes âgées, jeunes et familles précaires, écrasé⋅e⋅s entre loyers qui grimpent, taudis et locations saisonnières qui prolifèrent ?
Que penser de l’isolement des personnes âgées nombreuses dans le quartier ?
Une réponse politique, policière et médiatique indigne
Dans la nuit de samedi à dimanche, après l’explosion, les voisin⋅e⋅s sont les premiers⋅ères à secourir les personnes en danger, jusqu’à l’arrivée de la police qui les repousse sans considération, mais entrave elle- même l’arrivée des pompiers. Au vu du risque de poches de gaz dans le réseau de canalisations du quartier, le périmètre d’évacuation s’élargit dimanche et mobilise des dizaines de brigades : au cours de la journée, plus de 150 voisins⋅e⋅s sont délogées, certaines envoyé⋅e⋅s au gymnase Vallier, sans plus d’information. Sur le haut de la rue Tivoli, à côté du centre social, un QG de crise est mis en place, principalement pour les services de communication des personnalités politiques, dont les visites mobilisent des escadrons supplémentaires et créent de nouveaux périmètres interdits.
A partir du dimanche, on ne circule plus dans un large périmètre autour des lieux.
Aux points de contrôle, les scènes d’humiliation et de mépris par la police se multiplient , chacun⋅e devenant présumé⋅e coupable du simple fait de rentrer chez soi. Aussi, ces derniers jours, peu d’entre nous échappe à l’oppression des médias, aux images volées malgré les refus d’être filmé⋅e⋅s, à l’intimité piétinée le temps de ce spectacle politique et médiatique. La première visite ministérielle est tout un symbole de cette gestion policière et sensationnaliste "de crise" : c’est celle de Darmanin, ministre de l’intérieur, qui, à proximité des décombres fumants, remercie les forces opérationnelles et oublie de mentionner les victimes.
En creux de cette gestion policière qui dépossède les habitant⋅e⋅s du drame, de leurs lieux de vie et s’ajoute au traumatisme en écho à la répression du mouvement social en cours, le dispositif d’accueil n’est pas à la hauteur : les informations pratiques sont confuses plusieurs jours durant ; le numéro d’urgence mis en place par la mairie dysfonctionne ; le centre d’appui psychologique boulevard Libération, gardé par la police municipale, ne concerne finalement pas les habitant⋅e⋅s délogé⋅e⋅s.
Aucun accueil, autre que policier, n’est organisé aux abords du périmètre, pas même pour les personnes qui ont passé la nuit dehors.
Le soutien "social" est délaissé aux voisin.e.s et aux associations, comme au temps de la rue d’Aubagne.
La représentante du cabinet du maire le dira elle-même lors de la rencontre du lundi 10 avril sur la Plaine avec les habitant.e.s délogé.e.s : « organisez-vous et faites remonter vos besoins aux associations intermédiaires » (à savoir les associations de parent·e·s d’élèves et collectifs militants).
Cette gestion dite "de crise" exclut certain·e·s habitant·e·s des dispositifs, sans considération des situations, le périmètre de sécurité et de délogement évoluant toujours sans transparence envers les habitant⋅e⋅s du périmètre non délogé⋅e⋅s, ni pour celleux qui ont assisté au drame, mais habitent aux abords du périmètre.
Au-delà de l ’"accident isolé", tous·tes concerné·e·s
Si Benoît Payan, l’État et la presse insistent tant sur le caractère accidentel et isolé du drame, nous ne sommes pas dupes : il ne suffit pas d’affirmer la salubrité des bâtiments de la rue Tivoli et d’accuser la sénilité présumée d’une dame âgée pour exonérer la responsabilité des pouvoirs publics. Des défaillances dans le réseau de gaz de ville, des poches de gaz dues à la vétusté des canalisations, constituent autant de risques de fuite, voire de déflagration, qu’une défaillance humaine.
Il est courant d’observer dans les rues de Marseille des interventions d’urgence dues au gaz de ville, ainsi que des percées dans les trottoirs : cette vétusté du réseau, son manque d’entretien et de contrôle, témoignent de l’incompétence notoire des pouvoirs publics.
En l’absence de résultats d’enquête et d’audit transparent sur l’état du réseau du gaz de ville, toute affirmation sur l’origine humaine du drame est prématurée et instrumentale.
Au-delà du gaz, le problème est global : défauts dégradés du bâti, réseaux d’approvisionnement mal entretenus, milliers de logements insalubres de Marseille, abandon des personnes âgées, précaires... D’années en années l’incurie municipale laisse tomber Marseille en ruines : les départs de feu sont eux-aussi monnaie courante.
De nombreuses personnes subissent l’isolement, et/ou habitent des immeubles en péril ou en passe de l’être. Davantage encore sont concernées par des installations domestiques défaillantes.
Si le Camas est moins touché que Noailles par les arrêtés de périls (27 au cours des dernières années dont 10 dans un rayon de 300 mètres autour du 17 rue Tivoli), le bâti y reste à risque : constructions fragiles, pas de raccordement à la terre, installations défaillantes dans les bâtiments et appartements, fuites, etc.
A défaut d’un plan de rénovation globale du bâti et des réseaux, nous ne pouvons que vivre au rythme d’« accidents », notamment dans les foyers qui n’ont pas les moyens de se mettre par eux-mêmes en sécurité.
Nous ne voulons plus de cette gestion de crise qui se résume à la seule politique du "délogement/"relogement". Nous ne voulons plus payer les conséquences de cette politique, dont les investissements pérennes sont restés à l’état de promesses électorales depuis le 5 novembre 2018.
Nous sommes toutes et tous concerné·e·s, et nous refusons de nous laisser endormir par cette rhétorique d’accident "isolé" dans un quartier prétendûment "bobo" portée par des pouvoirs qui cherchent à nous diviser.
Stop aux délogements, par le péril, l’indifférence et l’argent !
Après le drame de la rue d’Aubagne, et ses 9 victimes (dont Zineb Redouane, assassinée par la police en marge d’une manifestation contre le mal-logement), les expulsions et les arrêtés de péril se multiplient, retirent le champ libre aux investisseurs pour se saisir de Noailles et d’autres quartiers : appartements rénovés remis sur le marché à prix d’or ou locations touristiques cache-misère échappant au contrôle et au regard des habitant·e·s du quartier, le centre-ville est devenue une véritable manne financière.
Les loyers ont grimpé en flèche, interdisant de fait le droit au retour des délogé·e·s, et expulsant par la même occasion beaucoup d’habitant·e·s précaires.
Côté investissement public, c’est aussi catastrophique : un rapport accablant de la Chambre Régional des Comptes paru en 2021 indiquait que sur 1500 logements neufs programmés en 2010, la SOLEAM n’en avait réalisé qu’une trentaine, huit ans plus tard.
La Chambre parle aussi d’un immeuble acheté avec des fonds publics, revendu plus de dix fois moins cher à un bailleur social à la condition que des travaux soient engagés : ces travaux n’ont jamais eu lieu alors même que la SOLEAM les indiquaient comme terminés.
Même scénario pour beaucoup d’autres propriétaires privés ayant reçu un soutien financier public : pas ou peu de travaux. Un hôtel de luxe, le réaménagement non souhaité de la Plaine, des détournements de fonds, des copinages et du clientélisme : voilà la couleur de l’argent public !
Dans le pacte "Marseille en grand" que la mairie Payan a signé avec l’État, il est bien question d’entreprendre des travaux de rénovation et de réhabilitation.
En réalité, du plan "Marseille en grand", le volet logement est à la traîne derrière le volet répressif qui bénéficie de toutes les avancées : de nouvelles caméras (500 sont supposées !), de nouveaux effectifs dans la police et les CRS, de nouveaux locaux et équipements policiers, davantage de magistrat·e·s...
La militarisation de la ville s’est faite de toute urgence, tandis que la lutte contre l’habitat indigne ne fait pas partie des priorités du Printemps Marseillais.
De surcroît, Marseille remporte la palme des villes en France déléguant la charge de l’accompagnement social aux réseaux associatifs.
Au delà du Camas, nous n’oublions pas les autres quartiers : nous dénonçons l’injustice sociale.
Nous proposons une rencontre sur la base de ces revendications :
⋅ Un accueil digne et des logements pérennes :
Droit au retour des délogé⋅e⋅s garanti par la mairie même dans le domaine privé.
⋅ La préemption des locations saisonnières, et non un appel à la "philantropie" ou à la réquisition temporaire.
⋅ Des plans d’investissement rapides pour la dignité des habitats et l’accès au logement et au soin, et non la gestion "de crise" ni l’abandon des problèmes au bénévolat
⋅ De la transparence :
- Une enquête sur l’état structurel de tous les bâtiments, d’autant plus justifiée par la déflagration
- Un audit sur les interventions d’urgence (pompiers pour le feu, interventions gaz, etc.)
⋅ La fin des dispositifs policiers et médiatiques qui maltraitent et parlent au nom des premiers⋅ères concerné⋅e⋅s
Assemblée ouverte le Samedi 22 avril, 14h, Place de l’église St-Michel
Pour en discuter ensemble