Dimanche à 16h à La Criée Occupée se tiendra un atelier ouvert à tous.tes sur les questions de discriminations sexistes.
J’ai beaucoup réfléchi à la manière de nommer cet atelier. Je voulais être claire, inclusive, je ne voulais pas que ça fasse trop "universitaire" (moi qui n’ai pas tenu un semestre à la fac..). Je voulais que l’on saisisse le sujet, alors j’ai voulu appeler l’atelier "URGENCE URGENCE ON SOUFFRE REVEILLEZ VOUS LES MECS CIS" ou encore "SORS DE TON CANAPE, Y’A MES SOEURS QUI CREVENT". Mais je me suis dit "ça fait vraiment pas sérieux" et "c’est pas toujours bon de suivre ses émotions". Et puis, je ne voulais pas faire peur. On s’est dit "le mot féminisme peut rebuter", "sexisme c’est plus général". Je voulais que l’appelation de l’atelier "donne envie" de venir. En somme je voulais séduire.
Je sais que je n’ai pas besoin de séduire mes soeurs et mes adelphes trans ou non-binaires, ou quiconque s’identifiant autrement qu’en tant que mec cisgenre. Je n’ai pas besoin de les séduire, parce qu’ielles, comme moi, connaissent le mot violence, le mot victime. Ielles ont dans leur chairs les stigmates de nos agressions, de nos abus, de nos insultes. Notre douleur est collective, notre douleur est partagée. Notre douleur est vive, brûlante. Elle a le goût des larmes de jeunes pas encore femmes, de femmes pas assez "filles," de filles trop féminines, de toutes celles et ceux qui ne connaissent pas le repos d’être un homme cisgenre.
Se réunir sans vous, ah pardon, je m’adresse directement à vous, évidemment, je suis désolée, je ne voudrais surtout heurter personne, vous n’êtes pas tous des monstres, je ne vous mets pas tous dans le même panier. Vous êtes déjà dans le panier des dominants, vous ne m’avez pas attendue pour vous y retrouver. Se réunir sans vous, donc, c’est pouvoir partager cette douleur sans la moindre crainte d’être remise en doute, en cause. C’est pouvoir dire des "gros" mots comme "viols", "inceste", "féminicide", sans avoir peur de "casser l’ambiance". C’est pouvoir dire nos réalités et sentir qu’elles sont comprises dans toute leur complexité, leurs contradictions, leurs fragilités et évidemment aussi leurs beautés. C’est une chose infiniment précieuse dont je ne pourrai plus jamais me passer.
J’aurais pu me contenter de cette expérience bouleversante. J’aurais aussi pu me contenter de partager la charge mentale du foyer avec mon compagnon, d’avoir le droit de vote et le privilège d’avoir eu des amies et lu des autrices qui ont changé ma vie. Je pourrais me contenter, et même me réjouir d’entendre le mot "déconstruction" dans toutes les bouches des blanc.hes et des mecs cis. Je pourrais fermer les yeux sur l’urgence de nos situations et ne pas prendre en considération la détresse dans chacun des discours de mes soeurs. Je pourrais attendre tranquillement que chacun.e se déconstruise petit bout par petit bout. C’est d’ailleurs précisement ce que j’ai fait jusqu’à présent. Mais aujourd’hui, allez savoir par quelle magie, je décide enfin que non, c’est insuffisant, c’est déjà trop tard, je veux que tout ça vole en éclat immédiatemment. C’est énorme, c’est immense, c’est grand comme une révolution, et quand on aura brûlé le patriarcat, est-ce que tout sera plus simple ? Peu importe. Une chose est sûre, je ne veux plus supporter de mourir de peur en présence des hommes, parce que tant d’autres sont mortes.
Et cette fois, je refuse de vous préserver. Nous avons mis le nez dans la merde parce que nous n’avons pas le choix. Nous avons vécu, entendu, dit des choses d’une extrême violence dans l’intimité de nos cercles intimes ou de notre atelier non-mixte. Vous devez prendre conscience de notre urgence. Je veux que vous aussi vous sentiez ce spasme, quand l’information passe du cerveau à l’estomac. Quand elle n’est plus une information, un récit, un chiffre, mais qu’elle nous habite entièrement et nous concerne violemment.
La lutte anti-sexiste n’est pas une lutte de gentil.les intellos. C’est une lutte pleine de sang, de salive, de larmes et de sperme qui coule entre les cuisses. Elle ne peut pas se mener à coup de petits encouragements ou de tâches ménagères partagées. C’est une lutte politique, urgente, dangereuse et révolutionnaire. On ne peut pas la soutenir "en théorie". Ce n’est peut-être pas pour rien qu’on utilise un terme guerrier pour définir ceux qui se mouillent, se sont mouillés ou se mouilleront avec nous : nos alliés.
C’est sans doute pour cela que je ne suis pas parvenue à donner un titre séduisant à cet atelier. Chers hommes cis, pour une fois je ne vous séduirai pas. Nos échanges n’auront pas les yeux bleus et la poitrine charnue. Vous verrez peut-être même de la morve couler de nos nez et nos bouches se déformer à force de nous battre. Nous crierons plus fort que vous et nos voix dérailleront. Nous serons tour à tour sales, grasses, épuisées, rugissantes, muettes, injurieuses. Nous utiliserons nos poings et la gouaille que vous nous confisquez. Nous ne vous préserverons pas. Nous lutterons contre vous si vous ne luttez pas avec nous.