Communiqué de revendication de libération de Méduse

Le groupuscule en carton pâte vous invite à une réflexion sur nos pratiques carnavalesques et revendique l’action qui a visé le caramantran au dernier carnaval de Marseille.

Vendredi soir, avant veille du carnaval, en préparant nos déguisements nous apprenons que le caramentran sera Méduse. Étrange choix pour représenter tout ce qui nous fait chier le reste de l’année, étrange choix pour représenter la transformation d’un quartier. Nous voici médusées.
Samedi midi nous en parlons à quelques artisans du caramentran : pour certains, c’est en toute connaissance du mythe que le choix a été fait.
Et pourtant, quel rapport entre ceux qui veulent virer les pauvres, aseptiser, rentabiliser la plaine et une figure féminine de la mythologie ?

Certes Méduse pétrifie, mais pas que…
Méduse est un personnage mythologique complexe qui depuis l’antiquité inspire de nombreux récits. Mais avant les premières traces écrites était l’image : Méduse, figure répandue dans l’iconographie antique, symbolisait l’interdit visuel. Puis, dans un souffle épique, elle fait quelques furtives apparitions sur des égides ou boucliers chez Homère et Hésiode et sert comme arme défensive. Puis peu à peu, les traits se délient en paroles, et les poètes vont développer une fable qui apprivoisera le monstre en une séduisante jeune femme. Chez Ovide l’histoire de Méduse est celle d’une femme violée par Poséidon dans le temple d’Athéna et, double peine, elle est punie et transformée en monstre, ses cheveux deviennent serpents et elle ne peut croiser le regard de quiconque sans le pétrifier. Ce qui l’isole à jamais. Elle est tuée par un homme en mal de puissance, et morte, son pouvoir est instrumentalisé par ses bourreaux. Dans la grande majorité des cas aujourd’hui encore, la double peine d’un viol est quasi systématique. C’est celle qui le subit qui est accusée de le provoquer par son comportement ou son habillement, dans le cas de Méduse d’avoir tenté Poséidon avec sa belle chevelure… Le mythe sert aussi de message : que votre viol reste discret sinon c’est vous qui serez condamnées.

Les mythes sont issus d’une société et dans le même mouvement produisent ses valeurs et tensions. Certaines figures traversent les époques et véhiculent des modèles de pensées dans des récits écrits par des hommes. Ces derniers, qui se sont octroyés l’apanage de l’écriture durant de très longs siècles, ont diabolisé Méduse et s’en sont servi pour maintenir l’ordre social patriarcal, dessinant une certaine image de la femme. Même si les détails de l’histoire varient selon les auteurs, tous s’accordent à faire de Méduse un symbole de la puissance malveillante et sauvage des femmes et à suggérer qu’elle méritait d’être décapitée, le fait qu’elle ait été violée étant toujours minimisé.
Au 18e siècle, elle incarne la femme dangereuse et fascinante à la fois. Même dans la psychanalyse, petit résumé des aliénations patriarcales, il est dit que « vaincre Méduse et ses vipères agressives serait triompher du sexe féminin et de son inquiétante étrangeté ». Chez tous les spécialistes, aussi sexistes soient-ils, Méduse représente la puissance du féminin. Cette femme terrible, que chaque homme craint et recherche à la fois serait-elle un exutoire à la frustration du désir masculin ?

On comprend pas pourquoi, encore une fois, même dans un carnaval alternatif et autogéré, une figure féminine est utilisée pour symboliser le danger, la menace. Au lieu d’être un renversement des valeurs, sans notre intervention, le carnaval aurait été un renforcement des valeurs patriarcales. Méduse n’est ni une alliée des gentrificateurs ni une valeur ajoutée de la spéculation immobilière, pourquoi ne pas utiliser des caramentrans plus appropriés ?
Si le choix de la méduse n’est pas une attaque dissimulée contre les femmes et notamment celles qui s’expriment publiquement en ce moment, c’est à minima la preuve d’un opportunisme spectaculaire. Utiliser un symbole implique de prendre en compte sa signification la plus courante et de ne pas le manipuler dans son intérêt. Faire un joli monstre ne suffit pas à justifier ce déni symbolique. Si le carnaval est une tradition, pour autant est-il utile de remettre au goût du jour la chasse aux sorcières ?

C’est pour toutes ces raisons que nous décidons, samedi nuit, de rentrer dans le Saint-Sépulcre du caramentran : aucun doute le papier maché représentera Méduse le lendemain, tenue en laisse avec un gros collier de chien, soumise et dominée par les hommes en cravate. Avec soin, nous adaptons délicatement le caramentran en un monstre qui n’évoque pas Méduse en lui ôtant ses signes distinctifs (ses serpents). A ce moment, ce n’est encore qu’une sculpture de papier mâché qui ne serait devenue Méduse que le jour du carnaval, lorsqu’elle sera mise en scène et reconnue par tous.
Dans l’urgence, nous avons choisi le mode d’intervention le plus pédagogique possible. Intervenir le jour du carnaval aurait attisé l’hystérie collective plutôt que la compréhension. Défendre Méduse au moment du procès n’aurait eu aucun sens, personne n’entend rien et de toute façon il est hors de question de convoquer la justice (et même sa parodie populaire) pour que l’inculpée soit acquittée. Méduse n’avait rien à faire sur le banc des accusés.

Il fallait éviter que Méduse soit jugée, huée, brûlée sur la place publique. Il fallait libérer Méduse de l’histoire des vainqueurs, on nous a trop appris à haïr celles qui ne sont ni dociles ni inoffensives. S’attaquer à l’instrumentalisation d’un symbole nous est plus important que de communier autour du choix maladroit de certain-e-s.
Parce qu’on en a marre que les histoires soient écrites par des hommes, parce qu’on en a marre qu’ils dessinent les contours d’une rivalité féminine qui les arrange bien, parce qu’on en a marre qu’ils dépeignent les femmes comme fragiles ou dangereuses, soumises ou fatales, parce qu’on ne veut être aucun de ces stéréotypes. Et parce qu’on veut se réapproprier nos possibles individuels et collectifs, et les redessiner à notre manière.
C’est sans regret ni plaisir de destruction que nous avons modifié le caramentran, mais pour un objectif simple : qu’il représente un ennemi de toutes et tous et que, le temps du carnaval, on en finisse avec la gentrification et pas autre chose.
C’est sans surprise que l’on est taxée d’hystériques et d’écervelées. C’est un peu plus surprenant d’entendre des termes comme terroriste, ou que notre intervention est qualifiée d’action violente, vieille stratégie des politicards et de leurs journaflics, histoire de faire diversion pour ne pas parler du fond, c’est à dire du choix d’un symbole qui convoque un in/conscient collectif craignos.

Dans l’espoir d’un futur caramentran à nouveau original et révolutionnaire….

Serpentinement
les amies de Méduse

Adé, Julie, Marie, Sarah, Yoko

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