Le malheur des uns fait la fortune des autres. Confinés chez eux, les Français se reportent en masse sur le commerce en ligne et l’épidémie de coronavirus arrange bien les affaires d’Amazon, leader mondial du secteur. Problème, à l’autre bout de la chaîne, les salariés de la plateforme commerciale dénoncent leur mise en danger avec de nouveaux arrivants intérimaires chaque jour, des consignes de sécurité sanitaire impossibles à respecter... « On nous demande de garder les distances d’un mètre entre nous mais c’est impossible vu le nombre qu’on est. La direction a dû nous fournir une dizaine de masques pour tout le monde, il n’y a pas de gel, il n’y a rien », confie Sarah, employée au tri sur la plateforme Amazon Logistics de Bouc-Bel-Air ou travaillent près de 200 salariés.
Trois cas détectés chez des livreurs
La voix enrouée au téléphone, la jeune salariée dit sortir d’une semaine d’arrêt maladie pour grippe. Même si elle n’est pas encore totalement remise, la jeune femme a repris son poste en trois-huit la nuit dernière, pour ne pas risquer de perdre une partie de son salaire. « On nous a dit clairement que même si on faisait notre demande de droit de retrait, on ne serait pas payé. » Alors que partout dans le pays, des entreprises annoncent se mettre en stand-by face au risque de contamination au Covid-19, la salariée s’inquiète des dernières décisions de sa direction. « Il y a eu trois cas du virus confirmés ici ce mercredi, chez des livreurs. Mais les managers et le directeur du site ne veulent pas nous en parler. On nous dit que "ce n’est pas grave". Ils n’envisagent pas du tout de fermer l’entrepôt. » En revanche, ce jeudi matin, le directeur Amazon de Bouc-Bel-Air venait annoncer aux salariés qu’ils pourraient peut-être bientôt bénéficier d’une augmentation temporaire (!) de 2 à 3 euros de l’heure brut pour accepter de venir travailler durant l’épidémie de coronavirus. Le groupe a proposé une rencontre en ce sens avec les syndicats vendredi, déjà largement refusée par les délégués du personnel. Sarah reste pragmatique : « Si on meurt, ça sert à rien, l’augmentation de salaire. »
Le mépris de classe comme réponse aux craintes de salariés
« De manière générale, du moment qu’il n’y a pas de test, Amazon réfute tout symptôme. À croire que leurs dirigeants sont médecins », témoigne Antoine Delorme, délégué syndical CGT du groupe qui rapporte les cas suspects d’infection qui se multiplient dans les entrepôts. Près de Douai dans le Nord, au moins 200 salariés ont fait valoir leur droit de retrait. Même chose à Montélimar ou la moitié des CDI ont refusé d’aller travailler. À Châlons-sur-Saône, comme pour d’autres sites, un CSE extraordinaire concernant une « mise en danger grave et imminente » avec demande de droit de retrait se tenait ce mercredi pour le personnel Amazon. Le syndicaliste de d’Amazon Sevrey (71) affirme que la réponse de la direction est la même partout : « Ils contestent tous les droits de retraits », Amazon se cachant derrière des annonces de mesures sanitaires prises sur ses plateformes.
« Aucun motif légitime ». Vraiment ?
Dans un mail qu’a pu consulter La Marseillaise, le groupe répond même sèchement aux salariés qui invoquent ce dispositif d’urgence pourtant prévu par le code du travail : « Il n’existe aucun motif légitime de vous retirer d’une situation de travail. Nous vous informons donc que votre absence sera considérée comme injustifiée et ne sera pas rémunérée. » Interrogé sur France Inter ce jeudi matin, Bruno Le Maire déclarait « Ces pressions sont inacceptables et nous le ferons savoir à Amazon. » Mais en substance, le ministre de l’Économie, pour l’heure, dit surtout s’en remettre au « dialogue social » dans chaque entreprise. Dans les faits, le syndicaliste Antoine Delorme lui répond : « Deux euros d’augmentation provisoire, c’est ça, le dialogue social, chez Amazon. »