Le 28 avril 2017, tout le Brésil est allé dans la rue. La raison première, ou disons plutôt la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, est la dernière réforme des retraites. Le président Michel Temer, qui n’a pas été élu, a décidé que dorénavant, il faudra travailler 40 ans, et prendre sa retraite à 65 ans, pour avoir le plein tarif ; et que ce tarif n’est plus la moyenne de son salaire sur les quelques dernières années de travail, mais la moyenne de toute sa vie. Donc ça compte les stages et les premiers emplois sous-payés. Quand on sait qu’au Brésil les premiers emplois sont rarement bien payés, et surtout très souvent sans contrat, on imagine à quel point cette mesure est drastique.
En tant que travailleur indépendant, la réforme ne me touche pas directement. Mais la grève générale, elle, me touche personnellement. Socialement. Émotionnellement. C’est beau de voir un pays qui était encore sous une dictature militaire jusqu’en 1985 se soulever massivement. À la française. Et ils ont fait mieux que nous, en France on est très critiques, mais aussi très divisés. Au Brésil, ils sont moins bien informés, mais clairement opposés au gouvernement, et très unis. Et bien pour ce qui est de la lutte, ça marche mieux.
Dans toutes les capitales des États, c’était la foule.
São Paulo, Rio, Salvador, Natal, Curitiba, la plus grande grève générale de l’histoire du Brésil. Et dans les villes moyennes, jusque dans les petites villes, il y a eu des manifestations aussi. À São Paulo, les métros se sont arrêtés dès 4h du matin, le peuple était dans la rue dès 8h du matin, et la police armée dès 8h et demi. Il y a eu des rassemblements devant les grandes administrations, sur les places principales, des grandes avenues barrées, même des autoroutes bloquées ! Tout ça, à pied, avec des pancartes, et quelques feux organisés dès l’aube. Il y a eu du grabuge, c’est sûr. De la répression, bien sûr aussi. Et c’est très grave pour une manifestation pacifique. Mais toute manifestation, est pacifique, à la base. Jusqu’à ce que la police reçoive l’ordre de taper dans le tas.
Au Brésil, la police est gravement criminelle. À toute occasion, ils tapent, envoient du gaz, utilisent les flash-balls, et vont jusqu’à tuer des gens intentionnellement. C’est très fréquent. Et ils sont protégés à chaque fois. Ils ne vont pas en prison. Ils ne perdent même pas leur uniforme ! C’est à croire que ça fait partie des ordres. En tout cas, c’est l’ordre général.
Les médias, bien évidemment, relaient principalement les casseurs, ne montrent que des interviews de gens qui râlent parce qu’ils ont été coincés dans les bouchons, des images du début des rassemblements, où il y a encore des trous dans la foule, diminuent l’importance de la lutte, le nombre de personnes qui y étaient, et ce, jusqu’au ridicule. À São Carlos où j’habite, le journal a dit « plus de mille personnes », alors qu’il y avait au moins dix mille personnes. Quinze mille selon les journalistes indépendants. Mais on sait que eux aussi peuvent parfois grossir un peu le tableau. Il n’empêche que tout ça ne plait pas au gouvernement, et c’est bien le but !
C’est la première fois que je vois un gouvernement qui fait systématiquement tout mal. Toutes leurs décisions sont outrageantes. Et c’est seulement celles dont on est au courant. C’est incroyable.
Un peu de situation.
Entre mai et août dernier, il y a eu un coup d’Etat. Le Sénat brésilien a fait ouvrir une enquête sur des fraudes potentielles de la présidente Dilma Rousseff, qui avait été réélue pour un deuxième mandat, afin de justifier une demande de destitution. Un impeachment comme le disent les État-uniens et les Brésiliens. La leçon à en tirer, c’est que la diffamation, ça fonctionne. Surtout quand on a les patrons de télévision dans la poche. Et au Brésil, la chaine principale, la Globo, fait plus de 60% d’audience en comptant ceux qui ne regardent pas la télévision. C’est comme si tout le monde regardait TF1 tous les jours. C’est la seule chaine qu’on voit chez les gens, dans les bureaux, administrations, lieux publics, bars etc… Je vous raconte pas le contrôle de l’opinion publique.
L’ironie très amère, c’est que ceux qui ont voté cette destitution, ont dix fois plus de casseroles que la présidente destituée. Il y en a même qui sont interdits de sortir du territoire par Interpol ! Et c’est cette bande qui dirige le pays actuellement, avec à sa tête, Michel Temer, l’ex-vis-président sous Dilma, passé président, que personne n’a élu. C’est ce genre d’accord entre partis opposés, si je suis élu, je nomme Machin à la vis-présidence. Dilma Rousseff a certainement du être obligée de choisir ce mec. Il a vraiment un visage de méchant, et tout le peuple est contre lui. Les gens de gauche comme de droite, les catholiques comme les évangélistes. C’est une situation sans précédent. Le plus drôle, c’est que temer ça veut dire avoir peur, redouter… Les sondages lui attribuent 4% de l’opinion publique, en moins d’un an. Alors qu’à la base, certains étaient même en faveur de l’impeachment ! Aujourd’hui tous les murs un peu aveugles sont taggés d’un « Fora Temer » qui veut dire « Virez Temer » et c’est le plus grand cris de rassemblement qu’on ait fait au Brésil !
On verra le résultat bientôt, en tout cas, ça chauffe pour Temer !