Plus de 128 morts et des centaines de blessé-e-s, dont beaucoup dans un état jugé « critique », voilà le lourd et triste bilan (provisoire) des tueries perpétrées le 13 novembre 2015 à Saint-Denis (93) et à Paris.
Au moment même où nous écrivons ces lignes, beaucoup de personnes continuent de rechercher des proches qui se trouvaient aux abords du Stade de France où dans les lieux de la capitale visés par les attaques.
Et tandis que des familles arpentent encore fébrilement les hôpitaux et les morgues, que des avis de recherche sont diffusés sur les réseaux sociaux, que l’identification des victimes est toujours en cours, les discours irresponsables des dirigeant-e-s politiques se sont multipliés.
Pour François Hollande, il s’agit d’ « un acte de guerre qui a été commis par une armée terroriste, Daech, une armée djihadiste, contre la France, contre les valeurs que nous défendons partout dans le monde, contre ce que nous sommes, un pays libre qui parle à l’ensemble de la planète ». Difficile d’imaginer propos plus narcissiques et dépolitisants.
Son prédécesseur, Nicolas Sarkozy, parle quant à lui d’une « guerre totale » à livrer contre « la barbarie djihadiste » et s’interroge d’un point de vue strictement sécuritaire « sur les raisons qui expliquent que de telles attaques soient possibles ». Là aussi, pour avoir une analyse géopolitique de fond, il faudra repasser.
D’autres propos tout aussi creux et infantilisants martèlent que « nous » sommes en guerre. « Nous » le sommes uniquement parce que l’horreur ne se situe plus seulement à des milliers de kilomètres de la France, mais a lieu dans les rues mêmes de sa capitale.
Les guerres, les morts, les mutilé-e-s, les massacres, les privations et humiliations sont le lot quotidien d’une bonne partie de l’humanité. Les premières victimes de ces atrocités sont bien les populations du Tiers Monde, celles de Syrie, d’Irak, du Mali, d’Afghanistan, du Yémen, de Lybie, de Palestine… Les 43 morts de l’attentat de Beirut en sont la triste confirmation.
Celles et ceux d’entre-nous qui sont originaires de pays ayant connu ou connaissant toujours pareilles atrocités le savent bien. Pour les Algérien-ne-s, par exemple, les horreurs de la décennie noire marquée par l’état d’urgence, le couvre-feu, la confusion, les attentats et les massacres, font tristement écho aux tueries perpétrées à Paris.
A cette période aussi, beaucoup n’ont pas saisi le lien entre les attaques commises dans le métro parisien en 1995, et le soutien des autorités françaises et des chancelleries occidentales à l’interruption du processus électoral par l’armée algérienne et à la répression qui s’en est suivie.
Au Mali, en Centrafrique, en Syrie et en Irak, la France mène bel et bien des opérations militaires – meurtrières – dans l’indifférence quasi générale de sa population, et avec le silence complice ou la couverture complaisante des médias dominants. Triste et macabre déshumanisation des populations non occidentales à laquelle on voudrait nous habituer.
Les politiques qui décident de telles expéditions savent bien l’horreur et les dégâts qu’elles causent sur le terrain, et savent tout aussi bien qu’elles exposent l’ensemble des personnes installées en France à des actes de violences. Une mise en danger délibérée de la vie d’autrui, menée avec l’argent mais sans l’accord de la population.
Les tueries du 13 novembre 2015 ne sont incompréhensibles que pour celles et ceux dont l’horizon politique reste circonscrit à la France et qui oublient ou feignent d’oublier que ce pays est l’un des principaux exportateurs d’armes au monde, secteur qui emploie (directement ou indirectement) plus de 30 000 personnes et qui a rapporté pas moins de 8,4 Mds d’euros en 2014.
L’indifférence pour ce qui a lieu hors des frontières de la France, la superficialité d’un mode de vie basé sur le confort, la consommation et le divertissement, les postures nombrilistes et chauvines – auxquelles n’échappent pas nos communautés – tout cela participe à déresponsabiliser, à infantiliser et à maintenir en définitive la population dans la peur.
Nous devons refuser cette injonction essentialiste à la « désolidarisation » avec les auteurs de ces crimes, qui induit l’existence d’une « solidarité » initiale. La critique de la politique étrangère du gouvernement français ne fait pas de nous des soutiens – tacites ou explicites – de l’Etat Islamique (EI).
Ce dernier poursuit sa propre stratégie de domination et de contrôle dans la région, toute aussi mortifère et à terme impopulaire, que celle de nombreux Etats voisins. Il a tout intérêt à intensifier la confrontation avec les puissances de la coalition occidentale pour consolider sa position face et au détriment des populations de la région.
Poser la question du contrôle démocratique de la politique extérieure de la France, est plus que jamais nécessaire. Il en va de notre responsabilité collective à tou-te-s – et pas seulement aux musulman-e-s. Car les tueries perpétrées à Paris nous rappellent ces vérités brutales : les morts ne se comptent pas toujours chez les Autres.
La guerre à sens unique, ça n’existe pas.
La suite à lire sur : http://www.etatdexception.net/campagne-ali-la-guerre-a-sens-unique-ca-nexiste-pas