Les remerciements de l’APHP : le témoignage d’une psychologue de l’APHP

Je travaille à l’APHP depuis plusieurs années, au sein de différents hôpitaux, cumulant deux mi-temps. Ce que j’ai vu durant ces deux derniers mois, c’est la peur, la peur d’être contaminé, d’être le prochain sur la liste. Puis la colère, la colère de nous envoyer au front sans arme. Je suis psychologue à l’APHP et la semaine du déconfinement, on m’a remerciée…

Je suis psychologue à l’APHP et la semaine du déconfinement, on m’a remerciée.

Je travaille à l’APHP depuis plusieurs années, au sein de différents hôpitaux, cumulant 2 mi-temps. J’enchaine les CDD, je gagne 1 660 euros et je n’ai aucune perspective d’évolution. Mais je reste, car même si je vois que l’hôpital public brûle, je trouve chez de nombreux professionnels les valeurs du soin, une éthique, une solidarité et une écoute de l’Autre qui me porte et m’encourage à poursuivre ma tâche.

Puis arrive la crise sanitaire. Entre collègues nous essayons rapidement de nous organiser. Nous voulons être là pour les patients bien-sûr, mais aussi pour le personnel soignant. Nous intervenons auprès des équipes de jour, recueillir leur ressenti face à cette situation inédite, et essayer de prévenir les risques d’effondrement psychique. Puis le soir, nous nous mobilisons aussi pour les équipes de nuit, souvent peu écoutées. Des lignes d’écoute sont créées et nous nous organisons pour être disponible au maximum.

Chaque jour, dans notre boîte mail, tous les membres du personnel reçoivent un message de Martin Hirsch, généralement pour nous encourager et nous motiver. Il nous dit à quel point notre dévouement, notre esprit d’équipe et notre humanité font de nous des « héros ». Cette cohésion je l’ai en effet remarquée, des équipes qui poussent les murs pour accueillir des malades, qui font des heures supplémentaires pour faire un travail de qualité et qui sont au chevet des patients pour prendre soin de ces personnes vulnérables et isolées de leurs proches.

Mais ce n’est pas tout. Ce que j’ai vu durant ces deux derniers mois, c’est aussi la peur, la peur d’être contaminé, d’être le prochain sur la liste. Puis la colère, la colère de nous envoyer au front sans arme. Les surblouses, indispensables pour aller voir des patients atteints du COVID—19 et qui doivent être changée à chaque visite en chambre sont en manque. On les garde toute une journée, on se les échange entre nous, car la pénurie est là. A l’hôpital Saint-Antoine, on nous a donné des masques chirurgicaux qui dataient de 2009, mais on m’a dit que « non, non, ils sont toujours efficaces ». Je rappelle la date de péremption des masques : 4 à 5 ans. Je vous laisse faire le calcul. J’ai aussi bien rigolé quand j’ai entendu Édouard Philippe expliquer que des masques périmés de quelques mois avaient été distribués, mais en aucun cas dans les hôpitaux.

Puis vient le déconfinement. J’entends dans les services l’appréhension d’une seconde vague, la grande fatigue physique et psychique, le besoin de se reposer, de prendre du temps pour soi et de retrouver les siens. Puis vient un RDV avec mon chef, une convocation envoyée par mail le jour du déconfinement, à 22h. Il me dit lors de notre entretien que mon contrat ne va pas être renouvelé, je termine fin juin. Après plus d’un an et demi dans ce service de l’hôpital Européen Georges Pompidou, et après les deux mois de tension que l’on vient de passer.

C’est de cette façon que l’on remercie les gens, à l’APHP.

Pendant le confinement, on nous a parlé du monde d’après, de la philosophie du care et de féminisme. Le monde d’après m’a offert un licenciement, suite à 2 mois de « guerre ». Le monde d’après, ce sont toujours des hommes, les mêmes, et ils sont toujours insultants.

La honte. Pour moi, le monde d’après, il a commencé le soir de la cérémonie des Césars. Toutes ces humiliations ne sont plus possibles. « Désormais, on se lève et on se barre ».

PS :

Trouvé sur la blog de mediapart

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