Les toilettes genrées ça fait chier !

Des gens ragent pour le dégenrage des toilettes ! Article sur les toilettes (non-)genrées

Article repris du site camarade suisse romand renverse.co

Un peu partout, les toilettes genrées persistent. Cela peut, dans un premier temps, sembler anodin, banal, innocent tant cela nous parait naturel. Cependant les toilettes genrées sont un lieu où se cristallisent des dynamiques de violences sexistes, validistes, cissexistes de façon matérielle et symbolique.
On est le GT genre : groupe de travail féministe de la CUAE (syndicat étudiant et faitière universitaire, de l’Université de Genève ). La thématique des toilettes non-genrées est centrale dans nos réflexions et nos actions ces derniers mois.
Notre revendication sur ce sujet est le dégenrage des toilettes de l’Université de Genève (et des toilettes en général). Ce point est explicité dans l’article / fanzine.
On a organisé une conférence en avril 2022 pour mettre en avant cette aberration, on peut retrouver l’enregistrement et un retour du GT genre sur la conférence ici : https://cuae.ch/conference-sur-les-toilettes-non-genrees/
Cette conférence a intéressé un grand nombre de personnes, malgré le fait qu’une assistante / doctorante de droit(e) a coupé la banderole installée au-dessus d’une toilette trônant dans le hall d’unimail (bâtiment de l’uni de genève).

On a approfondi la question des toilettes non-genrées et notre point de vue quant au dégenrage des toilettes dans un fanzine sorti à la rentrée. Elle a été distribuée dans les stand de la cuae pendant la rentrée, et il y a toujours des exemplaires dans les différents infokiosques de l’uni (salle des associations et nadir - espace autogéré de unimail).
On veut partager plus largement le contenu de ce fanzine, vous le trouvez donc en article ci-dessous, et en pdf à imprimer sans modération. Des activités fun, un pot-ème et la bibliographie sont à retrouver directement dans le pdf.

Article pour des toilettes non-genrées

Nos revendications en ce qui concerne les chiottes de l’université de genève sont les suivantes :

  • Dégenrage des toilettes actuelles dans tous les bâtiments de l’université avec les aménagements nécessaires pour garantir confort à touxtes (ceux-ci sont explicités plus tard)
  • Mise en place de toilettes non-genrées dans les nouveaux bâtiments universitaires.

Nous voulons casser les cloisons et remettre en question ce qui peut paraître naturel.

Théorie sur les toilettes

Les toilettes publiques sont un des derniers lieux séparés physiquement par le genre.
Les mouvements de personnes non-binaires le montrent bien : les toilettes genrées excluent une partie de la population qui ne se reconnait pas dans les cases « homme » et « femme », encore moins dans celles désignées par une silhouette avec ou sans jupe.
Le monde n’est pas binaire, alors pourquoi les toilettes le sont ?

Histoire des toilettes genrées

Jusqu’au 18e siècle, en dehors du cadre privé, tout le monde chipisse dans la rue. Ce n’est qu’au 19e siècle, avec l’imposition des normes d’hygiène liée à une forte urbanisation, que les toilettes publiques en tant qu’endroit spécifique deviennent un projet.
Les premières toilettes publiques sont payantes et réservées aux hommes.
Ceci eut des conséquences sexistes et classistes :

  • Les femmes ne peuvent pas aller aux toilettes en dehors de leur foyer. Elles sont donc attachées à celui-ci, par une "laisse urinaire" symbolique ne leur permettant pas de s’en éloigner trop longtemps, ce qui réduit leur indépendance.
  • Les personnes pauvres n’ont pas accès aux toilettes dans l’espace public alors qu’elles sont celles qui en ont le plus besoin car elles ne peuvent pas se rendre dans les restaurants ou les hôtels. Ces dernières sont donc exclues de l’espace public ou criminalisées si elles osent se soulager à ciel ouvert.

Plus tard, les toilettes publiques sont genrées. Cette séparation découle principalement de deux choses :

  1. Une volonté d’isoler les femmes : Les femmes sont isolées pour les préserver des dangers auxquels elles pourraient s’exposer en fréquentant le même lieu que les hommes. Ce processus se base sur une naturalisation des violences sexuelles qui considère la violence des hommes comme un fait immuable et naturel.
    La possibilité de réduire la violence des hommes cis (par exemple par l’éducation) n’est pas envisagée, on préfère isoler les femmes.
  1. La crainte de l’utilisation des lieux pour des rapports sexuels :
    Cette vision est extrêmement hétéronormative, car elle ne considère comme plausibles que les rapports sexuels entre un homme et une femme, ce qui est clairement obsolète.
    De plus, il paraît évident que ces arguments puritains ne font que peu de sens car la séparation des toilettes basée sur le sexe/genre (puisque pas différenciés à l’époque) n’est pas un facteur empêchant les rapports sexuels en ces lieux, même entre personnes hétéro.
Agressions dans les toilettes

Les personnes trans sont les premières victimes d’agressions sexistes et sexuelles dans les toilettes genrées. En effet, une étude de 2013 de Herman expose que 70% d’entre elleux témoignent y avoir vécu des agressions physiques, verbales ou se sont vuexs interdire l’accès aux lieux. Ces agressions génèrent énormément de stress pour les personnes trans et/ou non-binaires et nous sommes nombreusexs à choisir de ne plus aller aux toilettes publiques pour éviter ces violences.
Se retenir d’aller aux toilettes peut causer plusieurs problèmes de santé, comme des infections urinaires, des coliques néphrétiques, des septicémies (infection généralisée), des pyélonéphrites (infection des reins) voire, ne plus être capable, à terme, d’uriner par soi-même.
Les conditions matérielles d’existence des personnes trans sont donc fortement péjorées par les toilettes genrées.
Dégenrer les toilettes de l’université n’exposent pas plus les femmes cis aux agressions et violences sexuelles. En effet, 68% de celles-ci sont commises par une personne de l’entourage de la victime et majoritairement au sein du foyer. Seulement 0,11% des agressions et violences sexuelles se passent sur le lieu de travail ou de formation (Amnesty international suisse, 2019). On peut supposer qu’une partie infime de ces 0.11% se déroulent dans les toilettes, où l’on passe la plupart de notre temps dans une cabine individuelle.
Le lieu où on est le plus exposé à la violence masculine, c’est chez nous.

Temps d’attente

Les personnes allant dans les wc pour femmes en ont marre de faire la queue pendant leurs courtes minutes de pause, pendant qu’un défilé d’hommes passent les uns après les autres pour se soulager aisément. Cela est dû au fait que les femmes passent plus de temps aux toilettes que les hommes (non, ce n’est pas parce que nous nous maquillons ou papotons, clichés amplement sexistes). En effet, pour nous asseoir sur la cuvette, nous devons plus nous dévêtir que les personnes utilisant les pissoirs qui n’ont qu’à sortir leur zgeg. De plus, il nous faut souvent nettoyer la lunette des toilettes au préalable ou changer de protections hygiéniques. D’autres tâches telles que changer des enfants, aider des personnes en situation de handicap ou encore des personnes âgées, rôles très souvent tenus par des femmes, rallongent donc le temps passé dans ces espaces.
En moyenne, dans des chiottes genrées, les femmes ont un temps d’attente deux fois plus long que les hommes. Dégenrer les toilettes permettrait de diviser par deux le temps d’attente pour les personnes allant dans les toilettes pour femmes et donc diminuerait le temps général d’attente.
En gros, le maintien des toilettes genrées continue de marquer une différence d’accès aux toilettes qui se base sur un critère obsolète et discriminant.

Mythe de la féminité et pudeur

Les toilettes genrées entretiennent également le mythe de la féminité et toutes les caractéristiques qui lui sont attribuées. Cela maintient la pudeur féminine exigée ; le fait qu’une femme ne doive pas se faire entendre ou se faire voir en train de faire ses besoins. C’est une bonne illustration qu’il est attendu des femmes qu’elles doivent être en tout temps désirables et sexy. Le mythe de la féminité vacille lorsque les hommes prennent conscience de ces besoins naturels. Ces attentes de désirabilité constantes sont liées à la sexualisation des corps des femmes comme statut quo apposé par les normes hétérosexuelles.
À bas le mythe des princesses qui ne font pas caca !

Signalétique des toilettes

La signalétique des toilettes est une des seules qui ne montre pas l’action en train d’être faite. Elle indique qu’à un certain endroit, un lieu est séparé de façon binaire par le genre, mais aucune information sur l’activité qui s’y fait n’est montrée. On pourrait penser que c’est par pudeur : qui souhaiterait voir une représentation d’une personne qui chipisse ?
Deux éléments contredisent l’argument pudique :

  • On pourrait représenter une toilette, une personne assise sur une toilette etc.
  • Il existe des signalétiques que nous ne jugeons pas comme des exemples de pudeur et d’élégance :

Ce panneau est trouvable dans certaines rues de Neuchâtel, avec une croix d’interdiction, pour signaler l’interdiction du travail du sexe.

On remarque donc que les toilettes publiques sont uniquement définies par leur genrage.

La signalétique utilisée pour représenter les personnes en situation de handicap n’est quant à elle pas différenciée en fonction du genre. En effet, iels sont considéréexs comme un troisième genre, ni homme, ni femme, juste handicapéexs. De plus, comme nous avons pu le voir précédemment, la séparation des toilettes par le genre a été motivée par une volonté d’empêcher l’occurrence de rapports sexuels en ces lieux. Dans le cas des toilettes pour personnes en situation de handicap, il n’y a pas ces mêmes réticences ni séparation. Ceci démontrant une vision qu’appose la société sur elleux, supposant qu’iels ne vivent pas de sexualité.

Dans les différentes signalétiques, la silhouette représentant le masculin est toujours utilisée bien que la signalétique s’adresse à touxtes. Il est possible pour nous de déterminer qu’elle représente un homme car c’est cette même figure qui est reprise dans le cas des toilettes. En effet, lorsque les femmes doivent être spécifiquement désignés, une robe leur est ajoutée et leur silhouette est amincie au niveau de la largeur des épaules ainsi qu’aux bras et aux jambes. Ceci démontre la neutralité du masculin en opposition avec la condition des femmes qui sont le masculin + un vêtement « féminin » + une carrure plus fine. Cette signalétique met en lumière que les femmes se voient être définies seulement au travers du masculin.

Analyse de panneaux de toilettes

Ici nous allons procéder à l’analyse de quelques panneaux de toilettes que nous jugeons problématiques, en trois groupes.
Dans tous les cas, il faut garder en tête que tous ces panneaux répondent à des normes cissexistes de par leur représentation des hommes comme ayant un pénis ou ne portant pas de jupe et des femmes comme ayant un.e vagin/vulve ou portant une jupe. Un rappel n’est jamais de trop : certaines femmes ont un pénis (par exemple cf. podcast "Meuf à teub"), certains hommes ont une vulve et certaines personnes, appelées intersexes (min. 1,6% de la population mondiale (Amnesty, 2018)) ont des organes génitaux qui ne correspondent pas aux définitions normatives de la médecine.

Panneaux de toilettes (très) genrées

Cette image est extrêmement sexiste ; en opposant ainsi deux personnages différenciés uniquement par leur sexe (ici géométriquement ou même architecturalement représenté par un bâton et un trou), l’illustration semble suggérer que la femme ne peut être comblée que par son “antonyme” dans un sordide jeu enfantin d’emboitage.

Ces toilettes, qui peuvent être trouvées au MAD à Lausanne, reproduisent aussi une certaine misogynie par l’assignation aux “femmes” à une certaine volubilité “féminine” alors même que l’on sait que dans la réalité des conversations, les hommes prennent de loin le plus de place et de temps.

Rôle de care

Les femmes sont dans ce cas assignées au rôle du travail de soins des enfants : cela s’inscrit dans une construction genrée du travail du care comme lot naturel des femmes et perpétue ce travail unilatéral.

En plus de la désexualisation explicitée plus haut, les personnes en situation de handicap sont, dans les toilettes publiques, souvent reléguées aux toilettes des femmes. Cela peut se rattacher au travail de care que les femmes sont socialisées à faire.

Dégenrage merdique

Certains panneaux de toilettes non-genrées nous semblent être utiles à analyser pour comprendre comment, malgré leur but louable, ils contribuent à perpétuer une vision hétérocissexiste et normative.
Spoiler alert : pour indiquer des toilettes non-genrées, on peut simplement mettre un panneau “toilettes” ou son homologue “WC” !

Ici, la signalétique de la “différence des sexes” est loin d’être abandonnée ; ce panneau perpétue un binarisme de genre en montrant une personne “mi homme mi femme” ou plutôt mi jupe mi pantalon, dans le but, on peut le supposer, de représenter autant les hommes, les femmes que les personnes non-binaires. Cela ne fait que perpétuer une vision normée cissexiste. De plus, il est bien de le rappeler, une personnne non-binaire n’est pas un “mélange” entre un homme et une femme (ni une personne qui met une jupe un côté sur deux ou un jour sur deux).

Cette image engage à ne pas faire cas du genre des usagèrexs dans le cadre des toilettes : l’idée générale est que, peu importe qui l’on est, l’important repose sur la propreté des toilettes partagées et non pas sur le genre des personnes qui s’y rendent. L’image prétend qu’on ne se soucie pas de l’identité d’une personne, qui apparemment peut aussi bien être extraterrestre ou féerique. Ramener le spectre du genre à une sorte de jeu de rôle dans lequel tout le monde peut y aller de sa propre extravagance revient à décrédibiliser les enjeux trans en les faisant passer pour un simple caprice.
Il faut aussi insister sur l’étrange répartition qui est faite des différentes modalités binaires : on voit représentés les traditionnelles silhouettes “femme” et “homme”, et pourtant dans cette longue liste d’identités les femmes ne peuvent être que mère, alors que les hommes sont des vieillards ou des super-héros.
Les femmes sont donc toujours ramenées à leur fonction reproductive.

Exemple de toilettes moins merdiques

De nombreuses configurations architecturales sont possibles pour que chacunex puisse se (ré)approprier ces espaces. Cela n’est pas encore possible dans la configuration des toilettes de l’uni de genève actuellement. Quelques aménagements permettraient une transformation de l’espace permettant l’accueil de touxtes selon les différents besoins.
Nous aimerions vous proposer ici un aperçu de toilettes non genrées que nous trouvons idéale. Il inclut les éléments étant ressortis comme important au cours des nombreuses discussions sur ce sujet. Cette liste n’est évidemment pas exhaustive.
Nos toilettes moins merdiques comportent :

  1. Des cabines individuelles munies chacune :
  • D’un lavabo
  • D’une poubelle : cela permet par exemple aux personnes menstruées de jeter leur dispositif menstruel ou de les laver dans le cas des protections réutilisables sans devoir sortir de la cabine.
  • D’un miroir : cela permet aux personnes portant un foulard/voile de le réajuster
  • D’un distributeur de dispositifs menstruels jetables
  1. Un espace pissoir cloisonné

PS :

Note : il est important de préciser que toutes les toilettes d’un bâtiment devraient être construites sur le même modèle. En effet, si certaines chiottes étaient munies de pissoirs et d’autres non, cela reproduirait une séparation genrée par une reproduction du modèle actuel.

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