Subvertir le genre, effacer le dressage

À propos d’une marche de nuit entre Meufs- Gouines- Trans qui va bientôt avoir lieu à Marseille... et bien plus !

Les quatre saisons de ma colère. Printemps, automne : Je me planque, esquive, me déguise selon mes humeurs, ce que j’ai décidé de faire. Ma « virilité » de pacotille ne tient qu’à un bout de tissu. En tant que truc identifié comme « garçon », j’essaye de ne pas être perçu comme une menace de plus. En été : visible, je suis ramenée sans le vouloir à ma condition de meuf. L’arrogance des mecs qui tiennent la rue (leur « terrain de chasse ») est gerbante. Le premier connard venu se permet de faire des commentaires sur le physique (fringues, poils, poids...), les attitudes (« tu devrais sourire... ») de celles qu’il identifie comme femmes autour de lui. En prime, ces sales dominants voudraient qu’on les remercie de « s’intéresser » à nous. S’ils ne nous trouvent pas assez « sympas », ou si l’on décide de les envoyer chier carrément les insultes pleuvent. Hiver : il me redevient plus simple de me balader sans me faire trop emmerder (où et quand je veux : bien au-delà du couvre feu « informel » mais palpable et si souvent intégré de force)… Entrée en fraude dans des espaces réservés aux mecs, je me sens un peu lâcheuse (vis-à-vis des autres meufs) et en sursis (vis-à-vis d’eux). Le garçon que je suis se fait régulièrement mater de travers et appeler « pd ».

De jour, de nuit : la hiérarchie imposée par le patriarcat entre les genres et les sexualités influence profondément les places que nous occupons dans la société et les interactions sociales. Sous divers prétextes, dont l’« honneur (des hommes) de la famille » la sexualité des filles et des femmes fait l’objet d’une surveillance toute particulière. Gare à celles qui partagent du sexe avec plusieurs personnes, elles sont très souvent mal vues et traitées de « salopes », quand ce n’est pas le fait de partager de la sexualité avant le mariage qui est proscrit. (La possibilité de vivre plusieurs relations amoureuses d’une manière chouette et librement consentie par chacun-e est complètement occultée). Le fait de ne pas être « genrable » ou de partager des sexualités considérées « hors-norme » s’accompagnent également de rappels à l’ordre incessants. Cette répression qui prend des formes et figures multiples : du religieux à l’instit, des « potes » aux voisin-es en passant par la famille (…) est plus ou moins choisie, consciente ou théorisée par ses auteur-es (avec différents intérêts et niveaux de responsabilité).

Quand tu poukaves que unetelle a « couché » avec machin-e, tu participes de ce contrôle exercé (de façon plus ou moins diffuse) sur le corps/les sexualités des femmes. Cela peut avoir des conséquences lourdes. (occupe-toi plutôt de tes fesses !). Quand tu me signifies que mon « étrangeté » est problématique, tu deviens un-e de ces nombreux « gardien-ne-s de la norme » qui me poussent à rentrer dans le rang, regagner « ma » place de meuf (identifiable en tant que telle) pour ne plus subir la transphobie (et/ou l’homophobie) en plus du sexisme ordinaire. Je ne veux pas que tu puisses m’attribuer un genre, fous-moi la paix ! Que tes intentions soient directement hostiles (menaces de coups et/ou de viol…) ou soi-disant « bienveillantes » (regards insistants, petites remarques, rumeurs…), tout ça concourt au maintien du système patriarcal que je veux détruire. Un ordre moral étouffant, où les individualités sont mutilées dès l’enfance pour correspondre à leur soi-disant nature « féminine » ou « masculine », et intégrer leurs places de dominants ou de dominées. Un système qui sanctionne (mutile, nie et parfois tue) les récalcitrant-es qui débordent de son cadre. Toutes celles qui sont nées, se sentent ou se reconnaissent en tant que « femmes », mais rejettent l’idée d’une « essence féminine » et l’hétérosexualité obligatoire, envoient bouler le couple exclusif, ou ne désirent pas se reproduire (...). Les individus qui décident de changer de genre ou voudraient détruire tous les genres… Celles et ceux qui décident de ne pas partager de sexualité, ou pas avec des garçons, ou pas qu’avec des filles, ou refusent de se définir à travers leurs genres ou sexualités… (certain-es préféreraient le faire à partir de leurs passions ou idées...).

Personne ne pourrait t’obliger à faire tienne la place qui t’a été dévolue, à considérer le sort qui t’est fait comme normal, ni à te mettre sous la « protection » des « dominants » (ce qui revient souvent à rentrer en compétition avec d’autres « dominées » pour tirer son épingle du jeu).Personne ne t’oblige à véhiculer ces normes étriquées ni à tirer profit de ces hiérarchies infâmes : si tu le fais, ne t’étonne pas de ma colère : j’en ai ma claque de porter le poids de tes impensés et brûle de te rendre ce qui t’appartient, à commencer par toutes ces « évidences » que tu n’as jamais interrogées… Parce qu’en tant que type hétéro tu te sens partout en territoire conquis (pourquoi remettre en cause tes privilèges ?). Parce que tu es cisgenre, c’est-à-dire que tu vis plutôt bien avec le genre qui correspond à ton sexe de naissance. Parce que tu es hétérosexuel-le , et que ta sexualité n’est jamais considérée comme problématique ou honteuse par ton entourage ; « contre-nature » par les fachos, réacs et religieux de tous poils ; ni infamante, source d’insultes, d’humiliations par le premier sac-à-merde qui passe...

Cet élan qui me lance contre tout-es celles et ce(ux) qui voudraient me soumettre ou discipliner n’est ni extraterrestre ni isolé. Des colères multiples, singulières, issues (en partie) de la violence avec laquelle le patriarcat cherche à nous imposer comportements, apparences, modes de vies et sexualité, pour s’étendre au restant de cette société mortifère. Ras-la-touffe de prendre sur nous, de se faire petites, d’avoir des yeux dans le dos et d’être (trop souvent) considérées comme responsables des agressions qu’on subit ! Préférant la réciprocité des rapports à « l’égalité », nous apprenons à affronter le conflit (et les affreux-ses) sans rien attendre de papa-État, de sa justice ou de ses flics... Il n’y a pas de liberté à l’ombre d’un patriarche, d’une église, d’une prison, d’un centre de rétention, d’une usine ou d’une centrale nucléaire (…) : c’est tout ce merdier qu’il nous faudra détruire si on veut avoir une chance de vivre libres un jour. Les différents rapports de dominations qui nous entravent (État, capitalisme, institutions religieuses, racisme…) s’incarnent dans une multitude de structures et d’institutions. Il est possible de les attaquer de plein de manières différentes, individuellement ou de façon plus collective.

Des premiers pas, nécessaires et vertigineux, pourraient être de faire le tri entre les idées/valeurs qu’on a envie de véhiculer et celles qu’on transporte sans y prêter attention et qui (souvent) nous dégoûtent. D’apprivoiser la force et l’autonomie qui sont les nôtres quand on se place au centre de nos existences, quand on trouve de la prise sur nos vies (et sur la ville) et qu’on laisse enfin éclater nos colères. Le fait de partager morceaux de luttes et relations qui échappent à la tutelle et au regard des « dominants » potentiels (et même si ce sont nos amants, amis, compagnons de route...) nous semble nécessaire pour prendre confiance en nous, poser nos propres mots/analyses sur les oppressions qu’on subit sans devoir s’excuser, se justifier ni paraître sûres de nous en permanence. Dans les temps qui viennent cette tension, ces tâtonnements vont prendre (entre autres) la forme d’une marche de nuit entre meufs-trans-gouines partageant à la fois l’envie d’en découdre avec toutes les formes d’autorité et le choix de l’auto-organisation (refus de tout collectif, porte parole, parti ou syndicat, refus de tout dialogue avec le pouvoir)… Pour te joindre à ces bouts de chemin, guette les murs et à bientôt¹…

un-e caméléon parmi beaucoup d’autres
zèbres, zébus, lamas, méduses etc

¹ pour plus d’infos c’est aussi possible d’envoyer un mail à noctambules@riseup.net

[extrait de la feuille d’agitation anarchiste "du pain sur la planche"_ N°5

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