Dès les premières minutes du film, le journaliste fait l’aveu de son opportunisme : « Pour être au cœur de ces affrontements, je me suis équipé comme ces militants radicaux […] Pour me faire accepter plus facilement, j’ai filmé seul avec une petite caméra. Après plusieurs mois de manifestations et de prise de contact, les militants radicaux ont fini par me laisser filmer des images au plus près de l’action »
Il a bénéficié notamment de la connivence répétée de celles et ceux qui ont participé à construire l’imaginaire médiatique du cortège de tête et de ses représentations « insurrectionnalistes », comme en attestent les interviews données dans le reportage par des membres de l’AFA [min 20:00] et du MILI [min 24:30]
Nombreux sont celles et ceux qui savent que cette même connivence a permis que les images de Thierry Vincent se retrouvent dans le dossier d’instruction de l’affaire du 18 mai. Le journaliste se garde bien pourtant de les réutiliser dans le reportage lui-même, où la séquence revenant sur l’attaque de la voiture reprend, entre deux séquences tournées par lui-même [minutes 2:53 à 3:45], les images tournées par d’autres que tout le monde a vu dans les médias.
Certes, on pourra se rassurer en disant qu’il ne les a pas remise directement aux flics. Ce qui est loin d’être le cas de ses collègues.
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L’un d’eux notamment, à qui Thierry Vincent fait la part belle dans son reportage, est présenté et interrogé à la 31ème minute : « Laurent Bortolussi est l’auteur de ces images. Fondateur de l’agence Line Press, il est spécialisé dans le suivi de manif, 28 ans d’expérience au compteur. Il est le seul journaliste à avoir suivi l’ensemble des affrontements devant l’hôpital Necker. Ce jour-là il se trouve au cœur du Black Bloc »
A la 32ème minute du reportage, on le voit siéger dans son grand bureau et nous affirmer sans trembler que « si les individus [langage policier] avaient attaqué l’hôpital Necker, nous ne nous serions pas gêné une seule seconde pour le filmer et leur montrer… le montrer. C’est notre métier de montrer ce qu’il se passe ».
Notons que le lapsus dans sa phrase est assez révélateur de sa collaboration avec les enquêteurs de la police judiciaire. Collé au plus près des affrontements, s’interdisant toute censure, il n’a pas hésité par le passé à filer l’ensemble de ses rushs sur DVD aux services de police, ce qui lui a valu d’être malmené plus d’une fois par des manifestant-es qui ne trouvaient pas cool de le croiser dans des moments de tension avec les forces de l’ordre.
Un extrait de dossier pénal dans lequel Laurent aide la police :
Ses images ont notamment aidé le ministère de l’intérieur à constituer les 58 dossiers remis au procureur de la république dans le but de poursuivre pénalement les personnes ayant participé à la manifestation en solidarité avec les migrants du 22 novembre 2015, interdite suite à l’adoption de l’état d’urgence. Le rôle joué par les images de Line Press est confirmé par les notes blanches sur lesquelles se fondent les mesures administratives qui ont été prises au cours des mois suivants :
Comme d’autres journalistes prétendument indépendants ou sympathisants, Vincent et Laurent croient réhabiliter nos pratiques radicales, tout en servant sur un plateau au public de leurs reportages tous les arguments du discrédit.
« Ces émeutiers sont généralement hostiles aux médias, qu’ils considèrent comme complices du système » [5:00] ; « La plupart des militants radicaux refusent d’être interviewés à visage découvert par peur d’être identifiés par la police » [6:30]
Reconnaissant l’impossibilité de recueillir la parole des personnes qui incarnent politiquement les idées et pratiques radicales du « black bloc » ou des « cortèges de tête », ils se rabattent le plus souvent sur des personnes un peu novices ou fascinées, voire malhonnêtes, pêchées dans la foule et qui peinent à exprimer devant la caméra la sincérité et la force de leurs convictions. On en retient essentiellement qu’elles sont « contre le système » et qu’elles sont prêtes à se la mettre avec les flics.
Personne n’ignore que les propos des un-es et des autres sont souvent réajustés et redisposés dans le montage final de manière à les vider un peu plus de leur sens. C’est dommage de voir des personnes de bonne foi se laisser humilier par un journaliste à mille lieux de comprendre les tenants et aboutissants de leur engagement personnel et de leurs motivations réelles. Il est tout bonnement impossible, dans un entretien d’une minute trente, de retransmettre la complexité de nos réflexions et de ne pas laisser nos contradictions apparaître à l’écran comme de la naïveté ou de la bêtise.
Le journaliste arrive alors à faire dire à l’interviewé-e tout ce qui devrait être tu, notamment qu’on "affronte des flics", qu’on "serait prêt à tuer" ou qu’on "n’a pas de base idéologique ou théorique claire". En bref, on est prêt-es à faire à peu près tout et n’importe quoi, sans savoir tout à fait pourquoi on le fait.
Puis, pour réussir à étayer un tant soit peu le propos, le journaliste prélève un échantillon de « militants pacifistes » (donc raisonnables) pour leur faire dire qu’ils soutiennent les « casseurs », histoire de parler au nom des premier-es concerné-es, renforçant cette idée que les « militants radicaux » ne sont qu’une force de frappe et qu’il revient à d’autres d’expliquer leur utilité. Ainsi, pour son reportage, Thierry est allé nous trouver une ancienne députée européenne devenue finalement « députée du black bloc ». On la trouve forcément très sympathique (quoi de plus classe qu’une soc-dem devenue anarchiste ?), ce qui ne permet pas pour autant de comprendre ce que sont ces « émeutiers casseurs black blocs d’extrême gauche radicale ».
Au final, Thierry prétendait nous expliquer « qui se cache derrière ces cagoules et ces vêtements noirs ? Qui sont ces émeutiers d’extrême gauche, ces black blocs comme on dit ? » et si « ces mystérieux casseurs ont-ils un projet politique ? », mais il participe de l’immense farce médiatique consistant à renforcer encore un peu plus le discours policier.
D’ailleurs, on s’en fout complètement de savoir qui se cache derrière les cagoules. Thierry, si on met des cagoules, c’est pas pour que tu tires dessus !
Alors que les suites judiciaires du mouvement social de l’an dernier n’en finissent pas de s’abattre, il n’est pas inutile de rappeler que chacun joue un rôle dans la défense collective, et que celle-ci commence par la nécessité de clarifier des lignes politiques, parce qu’il ne suffit pas de se dire « indigné-e » ou « ingouvernable » pour construire un mouvement révolutionnaire et/ou autogestionnaire.
Et cette clarté politique ne peut s’accommoder de collaborations avec des personnes qui participent à nous mettre en danger. Les journalistes d’image, mais pas seulement...