photo : un enfant noir lance un projectile lors d’une manifestation. La photographie est en noir et blanc, elle est détourée pour apparaître devant un cercle rouge sur fond jaune. On peut lire le titre de l’ouvrage : “La Joie Armée Noire. Quelques notes sur une théorie noire de l’anarchisme insurrectionnel.” Ainsi qu’une citation : “Nous devons devenir ingouvernables. Les communes noires doivent naître de l’insurrection noire...”
j’ai lu “La joie armée noire” et j’en suis sorti stimulé.e. j’ai ressenti comme une ouverture. c’était excitant et honnêtement un peu désordonné mais je respecte beaucoup l’attitude. quelques points forts :
“s’il vous plaît, fermez-la à propos de la France.” — ptdr
“Sur ce qu’on appelle “l’entraide” — cette section toute entière était d’la balle
“Il est clair que l’anarchisme existe en tant que scène plutôt qu’en tant que mouvement révolutionnaire lorsqu’il existe de multiples projets "anarchistes" à majorité blanche dans des villes à majorité racisée.”
“Nous ne saurions trop insister sur le fait que les anarchistes et les révolutionnaires noir.e.s doivent aborder les questions critiques de la stratégie révolutionnaire dans les années à venir.”
ici, je veux répondre à votre invitation à l’engagement critique afin de pousser la théorie insurrectionnelle/révolutionnaire noire hors de l’amérique du nord pour creuser plus profondément et aller plus loin. s’il vous plaît, pardonnez-moi — ou pas, putain ! — de pas m’attarder sur tout ce avec quoi je suis d’accord ou n’ai pas grand-chose à ajouter en ce moment.
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une des choses que fait “La joie armée noire” qui m’a enthousiasmé est de reprendre les meilleures parties de la longue tradition de répondre à la “gauche” babtou [cracker], en exposant qu’iels n’ont rien à faire avec elle, tout en indiquant simultanément de nouvelles directions à construire. cela montre comment la critique peut être une activité extrêmement productive, et des gestes comme ceux-ci ont souvent fait partie des nombreux longs chemins et des errances que les révolutionnaires noir.e.s ont pris dans le développement des mouvements anti-oppression.
je pense qu’une partie de ce processus implique… l’internationalisation, l’adoption d’une perspective globale. vous avez probablement compris, mais je veux être clair.e et net.te pour les lecteur.rice.s : le problème des scènes anarchistes qui puisent leur inspiration en europe n’est pas tant qu’elles importent des stratégies et des tactiques d’ailleurs, mais qu’elles refusent d’apprendre de nous. (tellement inspirées par les gilets jaunes et autres qu’iels négligent allègrement les marches contre l’immigration, les recoupements fascistes, etc etc) rappelons que “nous” ne signifie pas seulement “l’histoire insurrectionnelle noire dans ce pays” mais l’histoire insurrectionnelle noire dans le monde entier. vous avez raison de citer la Palestine, le Rojava, l’amérique centrale et l’amérique du sud comme des endroits dont nous pouvons apprendre beaucoup. mais j’ai le sentiment que ces endroits sont considérés comme des sites importants de la “solidarité” internationale parce que les activistes blanc.he.s ont choisi de les voir comme ça (et en grande partie de manière symbolique plutôt que matérielle). Iels n’ont pas accordé cet “honneur” à la majeure partie du monde. Iels n’ont pas été inspiré.e.s par les vagues de soulèvements urbains contre le néocolonialisme qui ont balayé l’Afrique tout au long de la pandémie de COVID-19. Iels ne se tourneront pas vers le Pacifique Sud pour reconnaître les camarades qui se battent pour libérer la Papouasie occidentale et la Kanaky. Iels ne savent pas ou ne se soucient pas de savoir que nos gens retournent des voitures de police en Gwadloup ou en Kòrsou. iels cherchent la france au lieu d’Ayiti. nous n’avons pas à suivre ce même chemin.
votre essai prend une véritable énergie de déclaration de guerre au moment où on arrive à “La perspective de la violence révolutionnaire”, et c’est bien. j’espère que vous prendrez le temps de vous intéresser à l’histoire de la guérilla révolutionnaire, afin qu’on puisse réellement gagner lorsque les choses commenceront à chauffer. lorsqu’on accorde la place qui leur revient dans l’histoire à l’Armée de Libération Noire [BLA] et à ses vétérans (dont certain.e.s sont encore parmi nous), nous devons également nous rappeler qu’iels ont combattu aux côtés de leurs contemporain.e.s au Zimbabwe, au Mozambique, en Guinée-Bissau, en Érythrée et en Azanie ; iels ont appris des Tupamaros en uruguay et de l’OGFPI en iran ; iels ont fait peur aux mêmes fachos de l’otan que la Fraction Armée Rouge en allemagne ; iels ont exproprié les mêmes richesses que le M-KA au danemark. Nous pouvons et devons apprendre des luttes armées à Cuba, au Vietnam et ailleurs, sans pour autant imiter leur politique ou leur structure en bloc.
en fin de compte, une insurrection est un début. le déclenchement d’un soulèvement marque une rupture avec le statu quo ; la persistance d’un soulèvement offre la possibilité de transformer une insurrection en une révolution. ce qui maintiendra les feux allumés, ce sont les stratégies qui permettent aux Noir.e.s nouvellement politisés par leur situation de participer en tenant compte de leurs capacités et de leurs désirs ; les tactiques qui donnent aux Noir.e.s qui ont vu des rébellions échouer auparavant de bonnes raisons de croire que cette fois-ci sera différente ; et l’agitation qui rappelle à toustes pourquoi on n’a aucunement l’intention de revenir à la normale.
nous devrions comprendre que l’histoire militaire et les études des (contre)insurrections ne sont pas l’apanage des fascistes de la “guerre contre le terrorisme” et des blanc.he.s répugnant.e.s qui espèrent faire revivre les jours de gloire de la conquête coloniale. nous devrions comprendre que, quel que soit le degré de préparation que nous pensons avoir, nous devrons élaborer des plans pour continuer la lutte lorsque des gens seront capturés, torturés, déportés ou assassinés de manière inattendue. nous devrions comprendre que si les luttes des colonisé.e.s non-Noir.e.s peuvent souvent converger avec les nôtres, elles ne sont pas les mêmes que les nôtres, et que toutes les alliances que nous formons devraient être dissoutes si elles se transforment en vieilles hiérarchies. d’ailleurs, nous devrions comprendre que l’“alliance” [allyship] consiste autant à établir des relations avec des Noir.e.s dans des circonstances très différentes des nôtres qu’à traiter avec des blanc.he.s et d’autres non-Noir.e.s qui sont censés être “de notre côté”.
je ne veux pas m’éterniser, alors je vais mettre un terme à ma réponse. gardez à l’esprit que la guerre sociale n’est pas une métaphore : si vous intensifiez, vous pouvez vous attendre à la même chose de la part de vos ennemi.e.s déclaré.e.s et de vos faux allié.e.s. c’est la leçon que les forces libératrices ont apprise à leurs dépens dans les luttes révolutionnaires passées, et la sinistre réalité à laquelle de nombreux.ses praticien.ne.s de la guérilla révolutionnaire sont confrontés dans leurs propres campagnes aujourd’hui. la situation à l’horizon semble meilleure pour les révolutionnaires du monde entier si nous nous attelons à notre tâche en tenant compte des leçons de celleux qui ont combattu avant nous, où qu’iels soient aujourd’hui.
comme l’écrivait la BLA à l’époque : “LE PLUS TÔT C’EST COMMENCÉ, LE PLUS TÔT TERMINÉ !” [THE SOONER BEGUN, THE SOONER DONE !]