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- Témoignages depuis Zarzis.
- 00:00 – 06:47 Les envenimements a Zarzis depuis la gréve du 18 Octobre 2022. [FR]
Mejid Amor – Port parole ass. Pecheurs de Zarzis.
06:48 - 10:19 Le silence, les mensonges et la répression d’État. [FR]
Ali Kniss – Chercheur et habitant de Zarzis engagè dans les mobilisations.
10:20 – 16:33 Temoignages de Vendredi 18 Novembre et la repression pendant le weekend. [FR/TN]
Wissal – Habitante de Zarzis
Étudiants du Lycée 2 Mars de Zarzis
16:34 – 17:25 Intervention publique le 23 Novembre 2022. [TN]
Une maman des disparus.
17:26 - 24:50 L’absence de certificats et le suspect de l’accident a la mer. [FR/TN]
Témoignage de la Maman de Melek.
24:50 – 39:36 L’opacité autour du Jardin d’Afrique et la participation de toutes Institutions d’État. [FR]
Yousra Boulsan – Influenceuse, zarzisoise et media activiste.
39:37 – 47:33 Une question de volonté politique. [FR]
Martina Costa – ASF Avocats Sans Frontières
Romdhane Ben Amor – Porte parole FTDES Forum Tunisien des Droits Économiques et Sociaux
Ali Kniss - Chercheur et habitant de Zarzis engagè dans les mobilisations.
Mejid Amor – Port parole ass. Pecheurs de Zarzis.
47:34 - 59:00 lik rabi ya zarzis - ليك ربي يا جرجيس (zarzis 18/18)
Ali_dji et Abou bachir jabnoun
La répression policière et la violence institutionnelle a Zarzis.
Falken, pyrotechnique integrator for law enforcement et defense [1] : c’est la réponse la plus claire reçue par les familles et les militants de Zarzis après deux mois de mobilisation. Il s’agit de l’inscription sur les cartouches de gaz lacrymogène lancées sur la marche pacifique menée par des centaines de citoyens sur la route de l’île voisine de Djerba. Après un mois et demi de mobilisation qui a conduit les familles, l’association des pêcheurs et les habitants à occuper le port commercial de Zarzis le 7 novembre, une rencontre avec le ministre de l’Intérieur a finalement été fixée au jeudi 17 novembre. Cette dernière s’inscrit dans la tenue du sommet de la Francophonie à Djerba – 50 km de Zarzis – à laquelle ont assisté plusieurs ministres et dirigeants internationaux (dont Emmanuel Macron). Mais le Ministre,au dernier moment et sans préavis, n’a pas daigné s’y présenter . Selon Ali Kniss, chercheur de Zarzis et actif dans le mouvement Zarzis 18/18 :
« Avant la réunion, nous avions fixé des conditions : que le ministre arriverait avec des données pertinentes sur l’explication de la disparition des corps et qu’il y ait une proposition de commission ministérielle sur la question de Zarzis. »
Mais telle ne fut pas le cas. Caractérisée par une composition large et variée, la marche pacifique fut initiée en réaction à cette négligence et afin de visibiliser les revendications de Zarzis en marge du sommet de la francophonie. Cependant, bien avant le point d’arrivée déclaré, la police anti-émeute envoyée de la capitale a commencé à charger et arrêter des manifestant.e.s et lancer une quantité inédite à Zarzis de gaz lacrymogènes. Les affrontements et les charges se sont étendus aux artères de la ville et tout au long de l’après-midi. Les tentatives de regroupement pour manifester ont été écrasées par des pluies de gaz lacrymogènes lancées à hauteur des yeux et par des charges de véhicules blindés sur les manifestants. Il s’agit là de scènes habituellement associées aux protestations dans les quartiers populaires de Tunis. Selon des témoins à la sortie d’un lycée :
« Ils sont arrivés à Zarzis avec les brigades les plus agressives de Tunisie, nous avons jeté des pierres et ils ont répondu avec du gaz même dans les maisons des quartiers.…un commerçant enfermé dans sa boutique, ils l’ont tabassé, il y a des photos des marques laissées sur son corps. »
Les images des gaz lacrymogènes dans l’école primaire du 2 Mars et l’hospitalisation d’habitants de tout âge sont rapidement devenues virales. Les agressions policières sous diverses formes ont ainsi émaillé le week-end, entraînant avec elles le risque que la mobilisation sombre dans un tourbillon de violence. Plusieurs facebook lives directs ont lancé des appelles au calme et à éviter l’escalade.
Mais l’agressivité de la police n’est que la partie la plus visible d’une violence qui, bien que passive, traverse Zarzis depuis deux mois. Celle-ci prend notamment la forme d’une négligence institutionnelle. Ali Kniss, chercheur à Zarzis, souligne :
« malgré les diverses formes prises par les mobilisations à Zarzis au cours des deux derniers mois
(marches, grèves, occupation du port et marche pacifique) l’État a toujours répondu de la même manière [...] fausses informations, silences et répression. »
Quelques jours après la grève du 18 octobre et suite aux déclarations du gardien du cimetière, le tribunal de première instance de Médenine a ouvert une enquête et ordonné la réouverture de 28 tombes au Jardin d’Afrique [2]. C’est ainsi que le 27 septembre il fut confirmé que les corps de 3 des 17 personnes disparues avaient été enterrés sans relevé préalable de leur ADN. Mais en l’espace de quelques jours, les enquêtes se sont enlisées et les opérations d’exhumation suspendues, tout comme la communication des résultats des tests ADN. Il faudra attendre une nouvelle initiative des familles pour que les exhumations reprennent et ainsi découvrir les corps d’autres jeunes Tunisiens enterrés sans ADN.
Le mensonge, la tromperie et le silence étaient déjà de la partie au tout début, lorsque les pêcheurs recherchaient les corps en mer. Le 26 septembre, en effet, les opérations furent interrompues à la suite de l’annonce officielle de la présence des 18 personnes (qui étaient en réalité 17, mais dont on ignorait encore l’identité) en Libye. La suspicion des familles et militants* est d’une éventuelle implication de la Garde nationale soupçonné d’avoir provoqué l’incident. Plus généralement, le système d’enterrement des corps sans ADN est perçu comme fonctionnel à la doctrine du contrôle des frontières à tout prix.
L’hypothèse de l’accident provoqué
« C’est à partir d’une petite chose que nous avons découverttout cela,à partir des disparus en mer nous sommesarrivés au cimetière et aux enterrements sans ADN [...][...] qui aurait pensé qu’il y avait tout cela derrière [...]chaque pas nous emmenait ailleurs et tout ce que nous touchionsétait pourri ! »La sœur de l’un des disparus.
Les mobilisations de Zarzis mettent en évidence une sorte de zone grise dans le fonctionnement réel des associations et institutions locales. Le Jardin d’Afrique est au cœur de cette zone grise : d’abord parce qu’il s’est avéré être un "projet" d’une association basée en France (jamais enregistrée en Tunisie) et dont le président est Mongi Slim, ancien directeur régional du Croissant-Rouge et pharmacien. Ensuite, le système de financements s’est avéré très peux transparent. Dans le "cimetière", les corps récupérés en mer ont été enterrés sans tests ADN et, selon les déclarations du gardien, plusieurs corps ont été enterrés dans la même tombe. Mais des autres acteurs sont impliqués dans cette zone grise ensemble a le Jardin d’Afrique : les bureaux de la municipalité, les médecins de l’hôpital de Zarzis responsables des rapports médicaux des corps retrouvés en mer, et les bureaux de la délégation chargée d’approuver les rapports et d’autoriser l’inhumation. Pendant le mois d’Octobre, les familles ont dénoncé un inexplicable transfert des corps entre hôpitaux et, dans le cas de l’hôpital de Zarzis, le transfert des corps vers une destination inconnue. L’hypothèse est donc que l’opération des hôpitaux articulée au fonctionnement du Jardin d’afrique a eut pour finalité réelle le brouillage de la traçabilité des corps.
Au-delà de cette zone grise, les événements des deux derniers mois dessinent les contours d’un véritable trou noir entourant l’action de la Garde nationale maritime dans le cadre de ses opérations en mer. Des doutes sont apparus dès la fin du mois de septembre, lorsque les recherches de familles et de pêcheurs ont été interrompues après l’annonce officielle que les 18 Tunisiens avaient été retrouvés en Libye. Ces mêmes jours, les pêcheurs avaient également reçu une interdiction de sortir en mer en raison des conditions météorologiques.
L’enquête ouverte le 20 octobre par le tribunal de première instance de Médenine s’est enlisée dès la première semaine en raison du refus de la Garde maritime nationale d’ouvrir l’accès aux dossiers. Tous ces éléments renforcent l’hypothèse d’une implication active des forces de sécurité dans l’incident du 21 septembre. Selon un source anonyme :
« [...] C’est la Garde Nationale qui a coulé le bateau le 21 septembre, c’est comme l’histoire de Farouk
..... ils ont aussi tiré.... il y a des marques sur les corps......[...]et comment est-il possible qu’en dix jours de mer, on retrouve des corps sans dents ? »
L’hypothèse d’un accident causé par un scadra [3] s’appuie sur les pratiques réelles de contrôles aux frontières et sur la mémoire social de Zarzis. En 2011, le bateau de pêche Rais Ali avec plus de 120 personnes à bord a été éperonné par le Horria 302 [4] (un patrouilleur militaire), causant la mort et la disparition de plusieurs personnes. Parmi eux, Abdallah, 17 ans, de Zarzis, dont le corps n’a jamais été retrouvé malgré la lutte de son père Farouk Belhiba. Le cas de la Horra 302 reste le plus emblématique grâce aux témoignages des survivants. Ces cas sont inombrables, bien que généralement non documentés, si ce n’est par des vidéos partagées sur les réseaux sociaux. Le plus récent remonte à quelques semaines : trois enfants y ont perdu la vie [5]. L’arrestation à tout prix des harraga [6] est une pratique de longue date à laquelle participent également - de manière différente - les garde-côtes libyens, maltais et italiens, qui jouissent tous d’une certaine impunité en raison de la difficulté à obtenir des preuves et des témoignages. En ce sens, Zarzis 18/18 est aussi une lutte contre la difficulté d’enquêter sur les opérations des garde-côtes et l’impunité dans laquelle elles se développent.
conclusion
À l’occasion de la première grève générale, le 18 octobre, Chamseddine Bourrasine, président de l’association des pêcheurs, a souligné que le but de la mobilisation n’est pas la protestation ou l’émoi, mais la vérité :
« Aujourd’hui nous demandons de mettre la lumière sur les circonstances de ce crime et de tenir pour responsables toutes les personnes impliquées. De loin ou de près. Il faut mettre l’ordre en place.
Ou la loi est-elle seulement pour les pauvres ? »
Les négligences de ces derniers mois et l’opacité des institutions face aux mobilisations des Zarzissien.ne.s soulignent combien la loi vise à contrôler plutôt qu’à garantir les droits. En outre, l’attention accordée au Sommet de Djerba, située à seulement 50 km du port commercial de Zarzis, confirme, en creux, le déni de la classe politique vis-à-vis de l’importance de la migration pour la majorité de la population tunisienne. Selon les mots d’Ali Kniss :
« D’une part, les festivals et les célébrations officielles et, d’autre part, les familles à la recherche des corps de leurs proches disparus en mer [...].Le sommet de Djerba est une nouvelle démonstration qu’il n’y a aucune volonté de changer la relation de dépendance entre les pays du sud et du nord. »
Les mobilisations des Zarzissien.ne.s contrastent avec la forme réelle que prennent les politiques sur le terrain. Vu de Zarzis, les responsabilités des institutions internationales (Croix-Rouge, Associations, PNUD, UE), nationales (Italie, France...) et locales s’encastrent comme les différents rouages d’un seul et unique système. Dans une Europe qui, plutôt que de faire les comptes avec son incapacité à s’accorder sur une politique migratoire interne, joue la fuite en avant dans l’externalisation des frontières et les expulsions ; dans un État tunisien inextricablement lié à la finance internationale, il est de vital de soutenir l’exigence obstinée de vérité exprimée par Zarzis.
Dans les jours qui ont suivi le Sommet de la Francophonie, le Président Kais Saied a appelé le sit-in des familles de pêcheurs et des militants* à la patience (sic !), en leur assurant que la vérité éclatera bientôt. Dans la soirée du dimanche 20 novembre, il a été officiellement annoncé que la brigade al-Aouina allait enquêter sur les événements de Zarzis. Le dossier est ainsi passé ad une brigade d’enquête régionale à une brigade directement liée au bureau présidentiel. Un pas en avant sur le risque de collusion entre les différentes institutions régionales. Le 24 novembre, le président Kais Saied, lors d’une réunion avec le ministre de l’Intérieur et le chef de la sécurité nationale, a réitéré la priorité donnée au dossier Zarzis. Néanmoins, les familles et les militants continuent de dénoncer les interférences entre les enquêteurs et les bureaux de la Garde nationale ; en particulier que les enquêtes et les interrogatoires des enquêteurs se déroulent dans les même bureaux de la Garde maritime nationale. la mobilisation des familles reste la seule garantie face à l’exigence de vérité et au risque élevé de collusion entre les institutions.
Solidarité et complicité avec les familles, les pêcheurs, les militants et les Zarzis.
Jusqu’à ce que la vérité arrive,
pas de justice, pas de paix !