Amed la rebelle, entre douleur et colère

Voici un long reportage réalisé fin avril 2017 auprès des habitant.e.s et des camarades de la capitale du Kurdistan… Cela fait quasiment deux ans que l’État turc a repris sa sale guerre coloniale au Kurdistan. Quel est l’état d’esprit à Diyarbakır (Amed en kurde), un an après le siège de son quartier historique, Sur, et après l’écrasement du mouvement d’autonomie des villes et des quartiers par des dizaines de milliers de soldats des forces spéciales turques. Un reportage repris du blog "Ne var ne yok"

Sur, un an après la bataille

« En 2015, le peuple kurde a déclaré l’autonomie dans plusieurs villes du Kurdistan. Nous rejetons l‘occupation par l’État turc de nos terres et la politique génocidaire qu‘il mène pour tenter d’assimiler notre peuple, et pour cela nous voulons exister par nous–même. Cela fait des années que cet État colonial veut physiquement et culturellement anéantir tout le peuple kurde. Et aujourd’hui encore, contre le réel désir du peuple d’émancipation, cet État fasciste lance des attaques de plus en plus violentes contre son peuple (pillages, exécutions, tortures…). Contre ces attaques, le peuple, dans son droit naturel, soutient l’autodéfense des jeunes pour le développement de l’autonomie. » Déclaration des YPS lors de leur création en décembre 2015.

Il y a plus d’un an déjà, le 11 février 2016, des partisans du mouvement révolutionnaire au Kurdistan publiaient sur le site d’information DIHA, une longue tribune qui faisait le parallèle entre la Commune de Paris – que la plupart des militant.e.s connaissent là-bas – et le siège de Sur, quartier insurgé de Amed (Diyarbakır), par les forces spéciales turques. Ils concluaient ainsi leur texte, au 72e jour de siège : « Sur, qui est devenu l’un des lieux de résistance les plus importants de la révolution pour l’autonomie au Kurdistan, perpétue au XXIe siècle, l’espoir de vivre libre qu’avait donné la Commune de Paris à l’humanité au XIXe siècle. Sur résiste, avec ses barricades, ses chants révolutionnaires, les zılgıt des femmes, le battement des ailes des colombes de la liberté. » Sur tombera au 105e jour, et laissera des traces indélébiles dans les mémoires des habitant.e.s d’Amed.

D’après les nombreux récits qu’en font les ami.e.s et les personnes que nous pouvons rencontrer au gré de nos pérégrinations, les Unités de protection civile (YPS, groupes de jeunes et d’habitant.e.s armé.e.s pour l’autodéfense des quartiers) auraient perdues entre 65 et 150 camarades dans cette bataille. Tandis que l’État turc, de son propre aveu et d’après ce que les militaires faisaient individuellement tourné sur les réseaux sociaux, aurait subi des pertes gigantesques en comparaison. Le lugubre témoignage d’une mère de famille va aussi dans ce sens. Pendant le siège du quartier, alors qu’elle était retournée dans sa maison pour récupérer des affaires, les militaires lui avaient interdit de rentrer dans une des chambres, mais elle a quand même poussé la porte : elle a vu des dizaines et des dizaines de corps de soldats turcs entassés dans la pièce. Elle est aujourd’hui poursuivie par la Justice pour avoir ouvert cette porte que l’État voulait garder close. « Toutes les forces spéciales, troupes d’élites et haut-gradés que compte l’État turc ont été concentrés sur le siège, et sur les quasi 20000 hommes déployés, entre 500 et 1000 soldats des forces spéciales ont été tués à Sur, et environ 1500 autres y ont été blessés », nous raconte ainsi Ferhad, professeur des écoles à Amed. « Les survivant.e.s du siège, que ça soit les YPS ou les habitant.e.s qui sont resté.e.s jusqu’au bout, sont quasiment tou.te.s en prison. Seules quelques personnes, qui sont restées cachées sous terre pendant plus de 30 jours après la fin du siège, ont réussi à ne pas se faire prendre », poursuit-il. «  Il y a toujours en ce moment en prison, des taize [des tantes] de 60 ans et aussi des mères avec leurs enfants de 3 ans, parce qu’elles n’ont pas voulu quitter leur maison pendant le siège des forces spéciales », nous raconte aussi une jeune camarade qui vient de sortir d’un an de prison, en nous montrant une photo prise dans la cour de promenade de la prison pour femmes.

Nombreuses sont les personnes que l’on croise qui nous disent se sentir coupables de n’avoir rien pu faire pendant que Sur était assiégée. Les manifestations organisées à ce moment n’étaient pas assez massives et toujours très violemment réprimées. Et la culpabilité de n’avoir pu secourir celles et ceux qui sont mort.e.s pour défendre la vieille ville de Sur laisse une tristesse infinie mais aussi une détermination sans doute plus aiguisée encore pour les combats à venir. Pourtant beaucoup d’habitant.e.s de Sur vivent encore aujourd’hui avec d’importants traumatismes suite à la mort de proches, aux tortures, au fait d’avoir eu sous leurs yeux la boucherie dont était capable l’État. « Un grand nombre d’enfants sont traumatisés et présentent des troubles psychologiques. Certains sont pris de panique lorsqu’ils voient des policiers ou des militaires, d’autres prennent des cachets pour calmer leurs crises d’angoisse. Des enfants se réveillent en hurlant, les pipis au lits sont beaucoup plus fréquents qu’avant. Et certains présentent des troubles du langage, ou alors ils ne parlent plus depuis des mois  », raconte Perîxan, journaliste pour le site d’infos des femmes Şûjin, et « nous avons pu constater de nombreuses fausses couches chez les femmes enceintes, des naissances prématurées, ou encore des dérèglements gynécologiques peu communs. C’est pourquoi des ami.e.s psychologues et sociologues leur viennent en aide pour que femmes et enfants puissent retrouver une vie plus facile »…

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