Attentat de Conflans : refuser l’union nationale

Un nouvel épisode de l’union nationale est en train de voir le jour, sur le dos d’un hommage au professeur cruellement assassiné ce vendredi. Les conséquences politiques de cet événement n’auront pas tardé à se manifester (et ne sont sans doute pas près de cesser), redoublant l’effroi légitime face à l’horreur de l’acte. Texte repris de acta.zone.

Avant d’être la cible d’un assassinat, le personnel de l’éducation nationale est depuis des années la cible des politiques libérales, et des campagnes politico-médiatiques de dénigrement visant à légitimer ces dernières, en présentant les fonctionnaires comme des privilégiés fainéants constamment en vacances. Toute l’année, ils et elles alertent sur leurs conditions de travail, qui sont aussi celles des élèves : classes surchargées, locaux vétustes, non remplacement des professeurs absents… Les enseignant·e·s peuvent donc être rassurés – ou pas (une grosse partie du problème étant qu’ils et elles le seront effectivement) : le mépris habituel à leur égard ne saurait égaler, de près ou de loin, la fierté toute républicaine à faire le lit d’une islamophobie d’État qui semble de jour en jour plus belliqueuse. Ils et elles auront désormais la consolation de savoir que l’État est prêt à soulever un pays entier pour les défendre, non face à l’horreur, heureusement exceptionnelle, du crime qui s’est produit ce vendredi, mais face à des élèves et familles qui osent parfois contester l’humiliation que ce système produit si quotidiennement à leur égard.

Les élèves de famille musulmane ont en effet assisté à la stigmatisation incessante de leurs proches : ils et elles ont vu leurs mères, grandes sœurs, être exclues de ce qu’on leur vend en même temps comme le principal moyen d’ascension sociale, ont dû apprendre les bienfaits d’une colonisation dont leurs parents et grand-parents portent encore le souvenir des tortures qu’elle a entraînées, ont dû être Charlie sous peine d’être signalé·e·s au rectorat, et n’osent souvent plus prononcer un mot dans leur langue maternelle en classe, autrement que comme une tentative de provocation, tellement on leur a appris que la langue arabe et la culture musulmane étaient malvenues dans l’institution. Après tout cela, ils et elles sont aujourd’hui rendus complices d’un crime qui ne saurait pourtant que les traumatiser un peu plus.

Après tout cela, c’est aussi un nouveau pas vers la redéfinition des missions de l’éducation nationale qui se dessine depuis hier : au nom d’un soi-disant débat sur la liberté d’expression, il ne s’agit que d’ériger le droit d’humilier un peu plus des élèves – un droit que certains professeurs ne manqueront pas de confondre avec leur liberté pédagogique, quand elle n’est que mission civilisatrice – en grand principe éducatif. Alors que la loi sur le « séparatisme » entérinera l’interdiction de l’instruction à domicile, et la dissolution des associations ou autres clubs sportifs qui ne respecteraient pas assez les valeurs de la République, l’étau se resserre encore davantage autour des jeunes générations d’élèves musulmans – et apparentés. Il est également à craindre que la pression islamophobe trouve appui sur l’habituel corporatisme enseignant, ayant raison même de ceux qui ont jusqu’ici tenté de ne pas faire de leur métier la principale courroie de transmission du grand récit national.

Le « ils ne passeront pas » de Macron, qui se réapproprie sans honte le mot d’ordre historique des antifascistes espagnols, ne fera pas oublier qu’il est, lui, l’accélérateur de la mutation autoritaire de l’État, de l’extension de la violence anti-populaire et du racisme institutionnel. Dans ce contexte, c’est donc parce que celle-ci ne saurait se faire contre la dignité de ces élèves déjà quotidiennement humiliés et maltraités par l’institution qu’il s’agit aujourd’hui de refuser l’appel à l’unité nationale et de continuer à s’organiser contre l’islamophobie et le racisme d’État.

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