Brèves des Kurdistan : semaine du 30 Octobre 2017.
Le Kurdistan est réparti sur quatre états : L’Irak, l’Iran, la Syrie et la Turquie. En référence à un grand Kurdistan et comme outil de lutte contre la colonisation de ces quatre États, les mouvements kurdes se réfèrent aux différentes régions du Kurdistan en les désignant par les points cardinaux (en kurde). Le Kurdistan du Nord (ou Bakur) correspond au Kurdistan de Turquie, le Kurdistan de l’Ouest (ou Rojava) à celui de Syrie, le Kurdistan du Sud (ou Bashur) à celui d’Irak et le Kurdistan de l’Est (ou Rojhelat) à celui d’Iran. Les brèves ici transmises concernent principalement le Kurdistan du Nord (Bakur) et le Kurdistan de l’Est (Rojhelat), mais des luttes (et la répression qui va avec) ont lieu également au Kurdistan ouest (Rojava) et au Kurdistan du Sud (Bashur).
Les politiques coloniales et racistes menées par les États turc, syrien, irakien et iranien ont conduit à utiliser des noms turcs, arabes ou perses pour désigner les villes kurdes. Les villes sont indiquées ici sous leur nom kurde avec le nom turc entre parenthèses.
Tous les noms précédés d’une astérisque dans le texte, sont expliqués dans le glossaire.
Cette semaine, les nouvelles à propos de l’ensemble des régions du Kurdistan sont à nouveau alarmantes.
La situation au Bashur* a des conséquences dramatiques pour l’ensemble des partis kurdes qui sont entrés en résistance depuis plusieurs décennies maintenant, le PKK*, comme le PDKI* et le Komala*. Donc pour resituer pour les personnes qui ne seraient pas au courant, il y a eu un référendum pour l’indépendance le 25 septembre dernier, au Kurdistan irakien. Et ce référendum, pour lequel l’ensemble des kurdes en Iraq a voté oui, a été rejeté par le gouvernement Irakien, qui est rentré en conflit armé ouvert avec les kurdes. Après la reprise de la ville de Kirkuk par l’armée irakienne, dont on vous parlait dans les brèves de la semaine dernière, les affrontements continuent. Plusieurs autres villes du Kurdistan irakien ont été reprises soit par l’armée irakienne, soit par les milices Hashad al-Shaabi*, et des couvre-feux y ont été proclamés. Les Kurdes fuient les villes, et il n’y a pour l’instant pas de solution pour les loger : des camps sont improvisés aux abords de la ville de Hâwler (nom kurde de la ville d’Erbil, capitale du Kurdistan irakien). En ce moment même, l’armée irakienne se situe à une cinquantaine de kilomètres de la ville. Les affrontements qui ont lieu entre les peshmergas du PDK* - actuel parti au pouvoir au Kurdistan irakien- et l’armée irakienne qui opère conjointement avec les milices Hashad al-Shaabi*, ont fait plusieurs dizaines de mort.es, dont près de trente peshmergas. Il n’y a pour l’instant pas encore d’estimations plus précises.
Massoud Barzani, qui était le président du Kurdistan irakien, a démissionné cette semaine. A la suite de sa démission, les partis kurdes – donc le PDK, qui était son parti, l’UPK*, et le parti Gorran* – se sont réunis au parlement kurde pour discuter de la répartition des pouvoirs au Kurdistan irakien. Ils ont proposé de voter la suppression du système présidentiel, en vigueur dans la Région autonome du Kurdistan irakien, de manière à ensuite proposer une nouvelle feuille de route à l’Iraq. Au cours des discussions au parlement kurde, un homme a attaqué le premier ministre présent et des journalistes. Suite à son attaque, un mouvement a été lancé par des citoyen.nes kurdes contre ce qu’on appelle le « birakujî », c’est-à-dire les guerres fratricides entre kurdes. Ce terme renvoie à la guerre civile de 1992-96 qui a eu lieu au Kurdistan irakien entre les deux principaux partis kurdes toujours existants, le PDK* et l’UPK*. Par la suite, cette expression a été utilisée pour qualifier l’ensemble des conflits entre les partis kurdes des différentes régions du Kurdistan. Par exemple de nombreux conflits ont eu lieu entre le PKK* et le PDK*, ou entre le PKK et les partis kurdes iraniens, le PDKI et le Komala.
L’Iraq a également demandé à ce que les peshmergas kurdes passent sous le contrôle de l’armée irakienne. Le premier ministre irakien a également menacé de fermer un des principaux média d’information du Kurdistan irakien, Rudaw*. Après ces menaces, un cameraman de Kurdistan TV, un autre média kurde du Kurdistan irakien, a été assassiné. Enfin, l’armée irakienne a pris le contrôle du poste frontière entre la Turquie et la Région autonome du Kurdistan Irakien, et quatre peshmergas kurdes ont été kidnappés par les milices Hashad Al-Shaabi*.
Et pour finir à propos de la situation au Kurdistan irakien, l’armée turque a bombardé les montagnes de Zagros, Zap et Avashin, ainsi qu’un village.
Au Rojhelat*, la cours de Sna a prononcé une sentence de prison de huit ans et demi à l’encontre de Afshin Hossein Panahi, pour avoir organisé un évènement lors d’un Newruz - le nouvel an kurde qui a lieu le 21 Mars de chaque année - et avoir coopéré avec un parti politique kurde. Son frère, peshmerga du Komala, un parti kurde iranien qui mène une guérilla contre l’Iran, a lui été arrêté il y a quelques mois, et condamné à mort. Il est pour l’instant toujours porté disparu. De plus, des médias kurdes iraniens, qui étaient diffusés clandestinement sur internet, ont été fermés. Il s’agit des médias :
- The Kurdistan Voice
- Hengaw
- Kurdish Human Right Association
Une bonne nouvelle toutefois : les deux derniers sites d’information, Hengaw et Kurdish Human Right Association ont pu rouvrir, et l’Iran a ré-ouvert cette semaine un poste frontière avec le Kurdistan Irakien, le plus proche de la ville de Suleimani.
Au Bakur*, les affrontements continuent entre l’armée turque et la guérilla du PKK, notamment dans les régions de şemdinli et Esendere. La ville de Mardin, dont douze villages sont toujours sous couvre-feux depuis une semaine, est en ce moment assiégée par les soldats turcs. À Amed et à Lice, l’armée turque bombarde les villages avoisinants, les champs agricoles. L’armée est à nouveau présente dans des quartiers de la ville d’Amed.
Toujours à Amed, dix-sept personnes ont été arrêtées, soupçonnées d’avoir participé aux affrontements avec la police turque et tiré sur l’un des commandants. Ziya Pir, un ancien représentant du HDP*, a été condamné et arrêté par la justice turque, pour avoir critiqué la répression contre les médias kurdes, en 2015. Enfin, des soldats turcs ont déterré les corps d’ancien.nes combattant.es de la guérilla du PKK, dans le cimetière de Herekol, qui est situé entre Şırnak et Siirt, au Bakur.
Mais cette semaine, nous avons reçu quelques bonnes nouvelles. D’abord, des nouvelles de résistance : dans la prison de Antalya, les femmes kurdes prisonnières ont entamé une grève de la faim infinie pour protester contre les conditions de détention d’Abdullah Öcalan. Ensuite, la relaxe de Nahide Ormanli, membre du mouvement des Mères pour la Paix pendant longtemps. Elle avait été arrêtée en 2014 et condamnée à quatre ans et huit mois de prison, pour avoir « commis un crime terroriste » en participant au rassemblement et manifestations du mouvement. Après avoir purgé une peine de deux ans, elle vient d’être relaxée par la justice turque.
Vous pouvez retrouver ces brèves en direct dans les infos du vendredi midi, de 12h30 à 13h, sur Radio Galère ; le vendredi de 19h à 20h sur Radio Canut ; et dans les infos du samedi ou lundi à 19h sur Radio Zinzine.
Vous pouvez aussi les retrouver en écoute libre / rediffusion sur le blog sonore « Aux quatre coins du kurdistan » : audioblog.arteradio.com/blog/3048057/aux_quatre_coins_du_kurdistan/
Pour aller plus loin, quelques sites d’informations
Pour le Bakur (Kurdistan du Nord) :
- ANF : https://anfturkce.net/
- Comme Jihna a été fermé, le site qui l’a remplacé est Gazete sujîn : https://www.gazetesujin.net
Pour le Bashur (Kurdistan irakien) :
- Rudaw : http://www.rudaw.net
- Ekurd : http://ekurd.net
Pour le Rojhelat (Kurdistan de l’est) :
- Kurdistan Human Right Association : www.kmmk.info/en/
- Hengaw : hengaw.info/en/ (sans le www.)
Liste médias français :
- Kurdistan au féminin et Kurdistanews
- Kedistan : www.kedistan.net
- Merhaba Hevalno, qui est un mensuel publié en ligne sur kedistan
Glossaire
Régions du Kurdistan :
Bakur : Kurdistan du Nord, situé dans le sud-est de la Turquie actuelle.
Bashur : Kurdistan du Sud, situé dans le nord-est de l’Irak actuel. Appelé « Gouvernement Régional du Kurdistan irakien » (GRK), depuis son autonomisation en 2005.
Rojhelat : Kurdistan de l’Est, situé au nord-ouest de l’Iran actuelle.
Rojava : Kurdistan de l’Ouest, situé au nord de la Syrie actuelle.
Partis kurdes :
PDKI (Partî Dêmokiratî Kurdistanî Êran) : Parti Démocratique du Kurdistan d’Iran, fondé en 1945, à Téhéran, en Iran. Après avoir lancé des soulèvements armés dans les soixante contre l’Iran, le PDKI a lancé une guérilla après la révolution iranienne, plus ou moins en même temps que le Komala. Il est parvenu à autonomiser des zones, en mettant en place son propre système politique, juridique et sanitaire. En désaccord politique avec le Komala, il s’est progressivement retrouvé en conflit ouvert avec cet autre parti de guérilla kurde. Suite à d’intenses répressions, et à la guerre Iran-Irak entre 1980-1988, le PDKI a dû se réfugier, comme le Komala, dans les montagnes kurdes irakiennes. Après avoir gelé la guérilla pendant quinze ans, le PDKI a repris la guérilla contre l’Iran depuis désormais un an et demi.
Komala (Komalay Shorshgeri Zahmatkeshani Kurdistani Iran) : Comité des révolutionnaires du Kurdistan iranien, fondé en 1969, à Téhéran, en Iran. Peu de temps après la révolution iranienne en 1979, le Komala a lancé une guérilla contre l’Iran. Jusqu’à la fin des années 1980, ce parti d’origine marxiste contrôlait des zones autonomes au Rojhelat (Kurdistan de l’Est, en Iran). Un système politique organisé sur la base de communes était mis en place. Suite à d’intenses répressions, et à la guerre Iran-Irak entre 1980-1988, le Komala a dû se réfugier, comme le PDKI, dans les montagnes kurdes irakiennes. Après avoir gelé la guérilla pendant quinze ans, le Komala a repris la guérilla contre l’Iran depuis désormais un an et demi.
PKK (Partiya Karkerên Kurdistan) : Parti des travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978, à Ankara en Turquie. En 1984, le PKK a lancé une guérilla contre la Turquie, en établissant ses camps de base dans les monts Qandil, notamment. Plusieurs cessez-le-feu et reprise de la guérilla contre la Turquie se sont suivis. Abdullah Öcalan, l’un des membres fondateurs du parti, a été emprisonné en 1999, sur l’île-prison d’Imrali, en Turquie. Le PKK mène toujours une guérilla contre la Turquie, et a de nombreuses organisations sœurs dans d’autres régions du Kurdistan, comme le PYD au Rojava, le PJAK au Rojhelat, et le TACK (Tevgera Azadî ya Civaka Kurdistanê) au Kurdistan irakien.
PDK : Parti Démocratique du Kurdistan d’Iran, fondé en 1946, par Mustafa Barzani. Ce parti a mené plusieurs guérillas contre le régime politique de Saddam Hussein, qui a gazé chimiquement des villes kurdes comme celle d’Halabja. En 2005, et après une guerre civile entre le PDK et l’UPK, le kurdistan irakien est autonomisé et devient le « Gouvernement Régional du Kurdistan irakien » (GRK). C’est son fils, Massoud Barzani, qui a pris la tête du parti après l’assassinat de Mustafa Barzani et est devenu président du GRK. Il a démissionné fin Octobre 2017, après le rejet du référendum pour l’indépendance du Kurdistan, par l’Iraq et des interventions militaires de celle-ci.
UPK : Union patriotique du Kurdistan, a été fondé en 1975, par Jalal Talabani, après une scission avec son ancien parti, le PDK (Parti Démocratique du Kurdistan). Le parti devient une organisation concurrente du PDK dans la lutte armée contre le régime de Saddam Hussein, en Irak, et pour l’indépendance du Kurdistan irakien. À l’issue de la guerre civile qui a opposé le PDK et l’UPK, ces deux partis se divisent le territoire du Kurdistan irakien en deux. En 2005, lorsque le Kurdistan irakien devient autonome, cette division du territoire est maintenue : l’une est sous l’autorité du PDK, tandis que l’autre est sous celle de l’UPK. Jalal Talabani, ancien président de l’Iraq de 2005 à 2014, est mort en 2017. L’UPK est aujourd’hui dirigé par Kosrat Rasul Ali.
Gorran : qui signifie « changement », en kurde sorani, a été fondé en 2009 des suites d’un important mouvement social lancé au Kurdistan irakien contre la corruption du gouvernement. Le mouvement s’est peu à peu institutionnalisé en parti, dans l’objectif de briser le monopole du pouvoir exercé par le PDK et l’UPK sur le Kurdistan irakien. Cependant, le parti Gorran a été destabilisé par un scandale de corruption quelques années plus tard. L’actuel président en est Omar Saïd Ali.
Milices Hashad al-Shaabi : ces milices ont été créées en 2014 par l’Iran, en Irak. Elles constituent des menaces directes contre les combattant.es kurdes iranien.nes du Komala et du Parti Démocratique du Kurdistan Iranien (PDKI), qui avaient lancé une guérilla dans les années 70 et 80 contre l’Iran.