Le week-end dernier a été marqué par plusieurs événements liés à l’extrême droite. Suite au défilé du C9M et au concert de « rock aryen » qui a eu lieu le soir même à la salle municipale Simone Veil à Saint-Cyr-l’École (Yvelines), plusieurs journaux ont publié des enquêtes le lundi 8 mai, jour de la célébration de la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe. Ces enquêtes révèlent notamment la présence de deux anciens trésoriers de Marine Le Pen, ainsi que de Paul-Alexis Husak, surnommé « Minhitler », tous liés au Rassemblement national, lors de la manifestation néonazie du C9M.
Le dimanche, ce sont les intégristes de Civitas qui ont défilé dans la ville en proférant des slogans archaïques anti-francs-maçons, aux relents antisémites. Cassandre Fristot, une ancienne membre du RN condamnée pour injure antisémite, a également participé à la manifestation.
Dans un tweet publié lundi, Sarah Kerrich-Bernard, Avocate au Barreau de Lille et conseillère régionale des Hauts-de-France, s’indigne à propos de la manifestation néonazie du C9M : « Le négationnisme est un trouble à l’ordre public. Le port d’insignes prohibés est un trouble à l’ordre public. La diffusion d’une idéologie raciste est un trouble à l’ordre public. Il était tout à fait possible, et souhaitable, d’interdire. Réveillez-vous ! »
Un symbole de propagande nazi
Dans ces manifestations, on a vu voler de nombreux drapeaux floqués d’une croix celtique. Si elle est moins connue que la croix gammée ou svastika, elle n’en est pas moins un symbole nazi.
L’origine de la croix celtique remonte à la mission grégorienne, entreprise missionnaire envoyée par le pape Grégoire le Grand en Grande-Bretagne à la fin du VIe siècle, pour convertir les Anglo-Saxons au christianisme. Les chrétiens transforment la roue solaire, symbole préhistorique utilisé depuis l’âge du bronze en Grande-Bretagne et dans les pays nordiques, superposant la croix chrétienne au-dessus de la Roue solaire, ce qui ajoute les points visibles à l’extérieur du cercle.
Avec le mouvement allemand Volkisch, pendant la République de Weimar, naît une obsession en relation avec la culture celtique et viking qui va perdurer jusqu’à nos jours. Le mouvement Volkisch va prendre de l’ampleur en Allemagne à travers la Societé Thulé, qui est à la base de la philosophie nazie. Cette société va transformer la roue solaire, lui assignant un sens de mouvement, symbole qui va ressembler à la Svastika, utilisé plus tard par Adolf Hitler. À cause de la Societé Thulé, le parti nazi (NSDP) va également s’inspirer de l’âge d’or viking de l’histoire norvégienne pour créer ses signes et insignes militaires et partisans, dont beaucoup sont des anciennes runes et totems populaires, associés selon eux à la « race aryenne ».
Même si la croix celtique ou la roue solaire sont déjà utilisées en Allemagne, pendant les« fêtes des moissons », cette croix est utilisée une première fois dans un but politico–idéologique par le parti collaborationniste Nasjonal Samling (« Rassemblement national » en norvégien), fondé en 1933 et actif jusqu’à 1945. Ses membres ont participé au gouvernement collaborateur de Vidkun Quisling, durant l’occupation allemande. Ce symbole est également utilisé par les Hirden, formation paramilitaire qui a travaillé avec les Waffen-SS norvégiens.
La roue solaire est utilisée dans la fête des récoltes du Troisième Reich (Erntefest des Dritten Reiches statt) ici en 1933 à Mecklenburg.
Vidkun Quisling et Himmler, vers 1940
Ainsi, fruit du nazisme, la croix celtique et la rune solaire, portent cette charge symbolique et seront utilisées par les mouvements d’extrême droite, notamment après la Seconde Guerre mondiale, parfois avec des “pointes” et parfois sans. Elles renvoient invariablement aux idéologies du suprémacisme blanc, promouvant l’idée d’un peuple blanc homogène et hégémonique en Europe.
Ces symboles, tels que la croix celtique, les runes ou l’Irminsul, sont attribués par les nationalistes blancs, comme le groupe dissous Génération Identitaire, à la représentation du « peuple blanc », tandis que les néonazis les associent aux « aryens ». Ils sont également liés au slogan anglo-saxon « White Power », largement utilisé par les suprémacistes blancs américains, qui prône des idéologies racistes, ainsi que la violence et la haine envers les minorités. Malheureusement, ce slogan gagne en popularité en France.
Images issus de la boucle Telegram du C9M – 2023
La croix celtique utilisée en France
En France,une version stylisée de la croix celtique est reprise par le Parti populaire français en 1936 et sous le régime de Vichy, cette croix est utilisée par le mouvement de jeunesse. Après la seconde guerre mondiale, la croix celtique est utilisée une première fois en 1949 par Jeune Nation. Puis à partir de 1964, par le mouvement Occident, fondé par Pierre Sidos. La croix celtique s’impose ainsi définitivement dans le panthéon nationaliste français. Ce symbole est systématiquement repris par les mouvements ( Ordre Nouveau, GUD, L’Œuvre française, Troisième voie, etc.) ayant pris la relève d’Occident, après sa dissolution le 1er novembre 1968. Elle est aussi utilisée par le Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne(GRECE) qui essaie de recycler le fascisme, sous une perspective ethono-diferencialiste et nationaliste.
La croix celtique est un symbole largement utilisé par l’extrême droite. Des groupes tels que le GUD, Blood and Honor, ainsi que des hooligans, skinheads et néonazis de divers horizons l’adoptent, car cette croix est facilement associable aux symboles contre-révolutionnaires : l’ultra-royalisme, l’intégrisme catholique, le nationalisme blanc et l’antisémitisme.
Images issus de la boucle Telegram du OuestCasual – 2023
Il est préoccupant de constater que certains militaires appartenant à l’armée françaiseont été photographiés en arborant la croix celtique, que ce soit sous forme de tatouages ou sur des drapeaux, et ont ensuite partagé ces images sur les réseaux sociaux.
Image issus de la boucle Telegram du OuestCasual – 2022
Pour fêter son incorporation dans la Légion étrangère, Lucas M. trinque à la race et à Maurras ;. © DR – Mediapart
En 2021, Rapports de force avait créé une cartographie pour recenser les violences d’extrême droite. D’une matière générale, la violence d’extrême droite ne cesse pas de croître, comme le démontre le dernier rapport européen sur l’état et les tendances du terrorisme en Europe(TE-SAT), qui pointe une augmentation des interpellations pour la planification d’actions violentes liées aux idéologies d’extrême droite en France. Néanmoins, depuis les dernières élections et les manifestations contre la réforme des retraites, les attaques d’extrême droite se multiplient dans les rues et les universités.
Bien que certains prétendent que la croix celtique est simplement un symbole de fierté ou d’héritage culturel, la réalité est que depuis que cette croix a été détournée par les mouvements néonazis, elle est profondément ancrée dans l’histoire de la suprématie blanche et de la haine raciale. Actuellement, comme l’explique Streetpress, dans l’article « Depuis la dissolution de Génération identitaire, la jeunesse d’extrême droite tentée par encore plus radical », le nationalisme révolutionnaire émerge de nouveau en France et se munit, sans honte, du graphisme national-socialiste pour affirmer son appartenance aux idéologies dites néonazies et néofascistes. L’affiche suivante démontre à la rigueur ce mélange : « Europe, jeunesse, révolution », slogan néofasciste italien et la croix celtique, symbole largement utilisé par des néonazis.
Affiche du groupuscule d’extrême droite Animus Fortis basé à Bourges. Image issue de leur boucle Telegram – 2023
La croix celtique devient ainsi une marque distinctive pour identifier des groupes qui s’identifient aux idéologies suprémacistes blanches : le GUD, Ouestcasual, OuestCokins, les Actif clubs, etc. Le drapeau avec la croix celtique était aperçu à Saint-Brévins, lors des manifestations anti-migration, à Paris suite aux attaques dans les facs, à Lyon, à Besançon, etc.
Ces groupes sont impliqués dans des actes de violence – souvent revendiqués sur leurs boucles Telegram – tels que des ratonnades, des agressions, des menaces et des actes de vandalisme à caractère raciste.
Pays basque – 26/08/2020 © Crédit photo : Argitxu Hiriart-Urruty.
Les groupes d’extrême droite en France ont souvent recours à la croix celtique pendant leurs manifestations. Dans le cas du C9M, ce n’est pas la première fois que ce groupe utilise des éléments graphiques nazis pour illustrer sa propagande. Sur l’affiche de l’édition 2022, on pouvait identifier « Le Garde », un bas-relief réalisé en 1940 par le sculpteur allemand Arno Breker, artiste de référence de l’Allemagne nazie, apprécié par Adolf Hitler. L’affiche comportait également la rune Tyr, un symbole interdit dans l’espace public en Allemagne.
Mais pas en France. Le week-end prochain, les 13 et 14 mai, deux nouveaux événements promus par l’extrême droite sont prévus à Paris. La Jeune Nation, un site pétainiste et nationaliste [blanc], organise le VII Forum de l’Europe, qui espère attirer des membres de plusieurs délégations internationales. Dimanche, les Nationalistes prévoient de défiler dans la ville en l’honneur de Jeanne D’Arc, ce qui, selon les traditions fascistes, voire néonazies, laisse présager la présence de nombreux drapeaux arborant la Francisque et la croix celtique.