À l’automne du XIXe siècle, l’attente du Grand Soir exprime la conviction des libertaires – partagée par une partie du mouvement ouvrier – de la nécessité d’un bouleversement violent et d’une transformation radicale de l’ordre social existant pour mettre fin à toutes les dominations. Cette croyance en l’éclosion à brève échéance d’un monde entièrement régénéré grâce à la révolution sociale victorieuse, qui tient du romantisme révolutionnaire et de l’élan millénariste, est caractéristique de la mythologie libertaire. Une vision insurrectionnelle du changement social qui ne manquera pas d’influencer le syndicalisme révolutionnaire et qui s’épanouit à la faveur des projets de grève générale du xxe siècle naissant.
Rêve programmatique, parabole de la promesse révolutionnaire, le Grand Soir est une figure d’explication globale qui suscita une série d’images fortes, d’horizons grandioses… Un mythe mobilisateur dont la force réside dans sa capacité à faire le lien entre la perspective révolutionnaire et les luttes concrètes. Aussi convient-il de discuter de la fonction sociale précise et de l’efficacité de cette « formule magique », ainsi que de ses limites et contradictions.
Repérer l’influence d’une telle construction imaginaire sur les pratiques sociales permet de questionner l’espace des possibilités entre la réalité sociale et ses représentations, et de s’interroger sur la puissance opératoire des rêves en politique.
« Bientôt les ténèbres traversées de flammes
du Grand Soir couvriront la terre.
Puis viendra l’aube de joie et de fraternité »
(Adolphe Retté, 1899)
Aurélie Carrier est titulaire d’un master 2 d’histoire contemporaine, elle est correctrice de presse pour plusieurs titres, quotidiens et hebdomadaires. Le Grand Soir, paru chez Libertalia en 2017 est son premier ouvrage. Le Grand Soir Ce livre sera disponible au CIRA le jour de la causerie.