J’ai commencé à écrire ce texte plusieurs mois après mon départ de Oulx dans un contexte de soin. Si j’en suis arrivée là, c’est parce que c’est ma dernière option pour qu’il y ait des réactions à ce qu’il s’est passé là bas. Je voulais qu’il se passe un truc, que la place que cette histoire prend dans ma vie soit un peu diluée et j’ai compris que j’étais la seule à pouvoir apaiser ma rage. Jusque là je n’avais jamais créé le temps pour re-brasser tout ce qui s’est passé là bas. J’ai écrit, re-lu, modifié, recommencé. Les quatre derniers mois où j’ai vécu là bas ont été hyper denses en terme d’évènements et d’émotions. J’ai re-transcrit comme j’ai pu l’essentiel à mes yeux. Dans ce texte je fais des raccourcis, sûrement des trucs trop binaires sur des groupes de gens : "eux"/"nous", et ça semble évident que je ne peux pas être objective. Mais voilà, j’ai fait ce que j’ai pu pour qu’il n’y ait pas que la colère qui anime ce texte.
Je suis OK pour éclaircir des trucs, répondre à des questions, bref échanger sur ce texte ça me va.
Crève le pouvoir
Ceci est une lettre ouverte à propos de violences sexistes et de prises de pouvoir qui se sont déroulées à Oulx, un squat à la frontière franco-italienne entre septembre et novembre 2019.
Cette lettre a pour objectif de visibiliser ce qui s’est passé là bas, parce que c’est encore trop banal dans nos milieux. Mais aussi clairement pour cramer des gens dans notre petit monde de toto où la réputation peut être si importante. Ce texte cible plusieurs personnes d’un crew de gens très impliqués à la frontière depuis 2-3 ans.
J’ai besoin de les cramer dans nos réseaux, car leurs positions et comportements ont été hyper dangereux pour ma santé mentale. Et sûrement pas que pour la mienne. Je n’ai pas envie de parler à la place d’autres gens mais suite, entre autres, à cet évènement, on a été une petite dizaine de personnes, habitants ou étant impliquées à Oulx depuis plusieurs mois, à se barrer définitivement.
Mais si tout ça a pu se passer c’est aussi à cause de plein de gens qui ont cautionné ou soutenu les positions de leurs potes. Ça faisait déjà plusieurs semaines que des personnes essayaient d’alerter sur l’ambiance méga sexiste du lieu mais que, sous couvert d’efficacité et d’urgence, y’avait pas le temps d’en parler.
A l’été 2019, ça fait plusieurs mois que je vis à Oulx. J’y vis quotidiennement, c’est ma base principale, le lieu où je m’implique et aussi ma maison. Je suis pas la seule, on est beaucoup à vivre là et à considérer cet endroit comme un chez-soi. C’est aussi un espace qui brasse pleins de gens : venus pour habiter, pour passer la frontière, filer la patte pendant une semaine et aussi des personnes qui traînent autour d’ici depuis longtemps et qui passent régulièrement.
Au mois de septembre, avec des personnes qui habitent la maison, on est saoulées après une réunion de trop où on se sent infantilisées et/ou dominées par des personnes qui ont plus d’ancienneté que nous. On propose alors à des gens présents à cette réunion de créer des discussions autour des dynamiques de pouvoir, parce qu’on trouve qu’iels prennent trop de place. On se sent méprisées par rapport à ce qu’on fait ici (gérer du quotidien, faire à bouffer, capter les gens qui débarquent...). On nous fait sentir qu’on fait pas assez de "politique". Bref, ça nous gave, on veut en parler, que ça existe et qu’on puisse se questionner ensemble sur comment toustes on exerce du pouvoir sur des gens. Nous on est maladroites dans notre proposition, les personnes concernées ont pas du tout envie de se remettre en question.
A partir de là, c’est la guerre froide, des gens sont hyper vexés par les critiques qu’on porte : "Moi qui suis anti-autoritaire, l’autoritarisme c’est la pire insulte que je peux recevoir" blablabla ...
On lâche pas l’affaire et je finis par être en conflit personnel avec plusieurs personnes. Le temps passe, nos relations se tendent davantage avec le début des discussions qu’on a proposées.
Les "discussions" sur les prises de pouvoirs prennent la forme d’AGs qui durent 10h, où on se retrouve qu’entre blanc.hes. Chacun.e y étale sa vision de ce que doit être la lutte à la frontière, c’est merdique, on parle pas de pouvoir et tous les potes non-blancs qui vivent là se sentent pas de participer. J’en arrive à me dire qu’en fait, j’ai pas envie de composer avec le "grand collectif" imaginaire de Oulx. Je suis là simplement parce que ça me fait du sens d’habiter ici et que je kiffe les gens avec qui je vis et ce qui s’y passe. La super lutte pour "détruire" la frontière entre petit.es blanc.hes politisé.es, ça me parle pas.
Dans le même temps, je parle à des potes d’un viol que j’ai subi deux mois plus tôt. La personne qui m’a violée est un ami proche, il vit avec nous, passe beaucoup de temps avec moi. Je leur explique que mon cerveau vient juste de réaliser qu’il s’est passé un truc crade avec lui, je raconte qu’un matin au mois d’août je me suis réveillée à poil dans son lit après une soirée où j’étais ivre morte. J’ai aucun souvenir de ce qu’il s’est passé. Pendant deux mois j’ai fait du déni pour protéger ma relation avec cette personne, qui était très importante pour moi, j’ai enterré ce matin hardcore loin au fond de ma tête. Je dis aux potes que le déni a bien fonctionné pendant un temps mais que là, je me reprends tout dans la gueule et j’ai besoin d’aide. D’autant plus que j’ai déjà essayé de capter l’agresseur et qu’il m’assure ne pas savoir ce qu’il s’est passé, que lui aussi était bourré et qu’il n’a pas de souvenir. Je sais qu’il ment, il m’a avoué récemment avoir des sentiments pour moi depuis cette nuit là, ça me fait vriller, j’ai besoin de faire exister "cette nuit là" et qu’il y ait un processus de réparation.
Mes demandes sont :
- Que des potes le captent pour qu’il raconte ce qu’il s’est passé et que je puisse moi aussi être au courant et qu’il comprenne qu’il a merdé.
- Qu’il parte quelques semaines me faire de l’air pour que j’encaisse et que je puisse rester à Oulx.
- Que des gens proches de lui gardent le lien une fois qu’il sera parti pour l’aider à avancer sur sa notion du consentement, qu’il reproduise pas de la merde et aussi pour qu’il se retrouve pas isolé du jour au lendemain.
- Que le processus se fasse qu’avec des personnes en qui j’ai confiance.
Un crew de copines le capte le lendemain, il finit par raconter qu’on a "couché ensemble", que c’était une erreur parce qu’on était bourré.es, mais que c’est notre faute à toustes les deux. Il dit que si je ne me sens pas bien en sa présence, il peut bouger.
Les potes me font un retour, je suis en miette. Je me connais quand j’ai 4 grammes, en fin de soirée ça devient compliqué de tenir debout. Qu’il ait pu s’imaginer qu’on "couche ensemble" alors qu’il a juste baisé un cadavre me donne la gerbe, me fait trembler, ça me révulse. Mais je me dis que je gérerai l’émotionnel plus tard et que là, la priorité c’est le processus qui s’est lancé et qu’il faut absolument qu’il capte pourquoi NON on est pas toustes les deux responsables et qu’il a abusé de moi.
D’autres potes le captent les jours suivants, il commence à comprendre des trucs et à un peu reconnaître qu’il a merdé. Il accepte de partir mais demande du temps pour le faire, j’accepte qu’il ait une semaine pour préparer son départ.
Deux jours plus tard G. passe sur le lieu, l’agresseur lui parle de ma demande qu’il s’en aille et du fait que je sois soutenue. Elle fait scandale dans toute la maison, dit que c’est pas possible d’exclure quelqu’un.e sans décision collective, exige un récit complet de ce qui s’est passé. Des gens lui répondent que ça cause de viol et que c’est tout ce qu’il y a à savoir. Elle lâche pas l’affaire, alerte toute la maison et les personnes qui y gravitent : Mon histoire devient le sujet de conversation du moment. Je pète les plombs, l’insulte et menace de la frapper si elle ferme pas sa gueule.
Le lendemain je ne suis pas là, quand je rentre le soir je comprends que plein de gens sont venus pour une réunion dans la suite de celles commencées sur les prises de pouvoirs. Cette réunion était prévue depuis un moment mais avec le chaos de la veille, elle se transforme en débat sur l’exclusion de l’agresseur. Des potes me racontent ce qui en ressort de plus crade :
- Pas d’exclusion sans assemblée à 40 où on veut m’entendre raconter le viol.
- Si l’agresseur mérite l’exclusion, alors moi aussi car j’ai fait de la violence verbale et des menaces la veille sur G.
L’agresseur se saisit de tout ça, se sent protégé, et reprend de la place dans la maison en disant qu’il ne partira pas sans décision commune. Le début du processus est complètement saboté.
Le ragotage est une pratique fréquente à Oulx, hyper utilisée pour mettre la pression. Cette fois, les bruits de couloirs racontent que c’est sûr que j’abuse, que c’est pas un viol, que de toute façon j’exagère tout depuis quelques semaines.
J’en prends plein la gueule, les gens cristallisent le conflit sur les prises de pouvoirs autour de ma demande que l’agresseur quitte le lieu. On me dit que c’est moi qui fait du pouvoir en décidant seule de comment se passe la prise en charge.
Dans les jours qui suivent, M. une pote en qui je crois avoir confiance sur des questions de sexisme m’assure de son soutien : Je lui raconte le viol. Elle est pas bien, je sens que ça la touche mais elle ajoute que la situation actuelle est compliquée. Je sens qu’elle veut pas assumer du conflit avec ses potes, j’imagine qu’elle va se tenir à l’écart. Pas du tout, elle repasse sur le lieu pour aller boire un café avec l’agresseur et une autre personne. Elle m’explique en rentrant que c’était pour entendre sa version, que lui et moi on dit pas la même chose. Sans déconner ? Elle dit que ça la perturbe pour me soutenir comme elle avait promis de le faire : Je vrille, je me sens hyper trahie, les faits deviennent réellement publics et un débat se crée pour savoir si oui ou non c’est un viol.
Ça fait deux jours que la deadline imposée à l’agresseur est passée, et je suis en état d’alerte permanent entre sa présence et la pression des connasses. J’impose son départ immédiat en menaçant de le jeter par la violence physique. Il part avec elles, hurle, veut m’attaquer, elles le rassurent en lui disant qu’il se vengera plus tard du mal que je lui fais. Elles l’hébergent trois jours et le jettent.
L’agresseur coupe les ponts avec toutes les personnes ayant proposé de garder du lien pour poursuivre le processus. Tous mes espoirs qu’il capte des trucs se cassent la gueule alors que sur le moment, c’était ma priorité. Pour soigner mes traumas, mais aussi parce que malgré tout il était mon ami et que je le pensais pas trop con.
Je sens qu’on veut me pousser vers la sortie, que le fait que j’ai parlé de ce viol et que j’ai des attentes me rend vulnérable. C’est le bon moment pour m’attaquer et que je remette en question ma place ici. Je dérange, des gens voudraient que je ne traîne plus là et iels ont capté que c’était l’occas’ que je m’en aille.
Je me suis accrochée encore pendant un mois, je voulais survivre dans ce lieu pour pas avoir à faire une croix dessus. Je voulais partir par choix, pas par dégoût. Ce lieu et les personnes qui l’habitaient représentaient beaucoup pour moi. J’aurais voulu prendre des vacances, souffler un peu mais j’avais l’impression que bouger à ce moment là, c’était laisser de la place pour qu’il revienne et j’avais peur de ne pas avoir la force de revenir. J’avais l’impression d’être en guerre permanente pour prouver que j’avais encore la force d’être ici et qu’elles n’avaient pas réussi à me faire du mal.
6 mois plus tard je vais mieux, je me soigne, mais ma colère n’a pas bougée. Ce viol c’était ni le premier ni le dernier mais une "prise en charge" comme celle-ci c’est la dernière sans casser des bouches.
C’est pas la première fois dans ce milieu que des personnes avec un fort capital social, genre stars-des-totos, se sentent légitimes à faire taire une victime, en lui mettant la pression, voire en se liguant contre elle avec une/des personnes accusée/s d’oppression. Le résultat est souvent le même : celles qui ont ouvert leur gueule sur les violences vécues se cassent ou sont poussées dehors, et se retrouvent isolées à gérer leurs traumas et le manque de soutien. C’est humainement dégueulasse, psychiquement hardcore et politiquement indéfendable dans un milieu qui se croit anti-autoritaire. Prendre d’emblée la défense d’un mec-cis accusé de viol contre la meuf qui s’en dit victime, c’est déjà cautionner le patriarcat. Et focaliser l’attention des discussions sur les rapports de pouvoir sur cette histoire, c’était bien pratique pour pas se poser la question du racisme qu’on véhicule dans nos squats, à la frontière ou ailleurs.
Ça c’est mon expérience d’oppression par ce crew là. Sur la même période, on a été plusieurs à subir de la pression pour ne pas que l’on reste. Il y a eu beaucoup de racisme, de classisme, aussi de la psychophobie et de la toxicophobie.
Quand un crew de gens élitistes détient les outils, le réseau, les privilèges et la légitimité dans un lieu c’est ce genre de chose qui peut se passer.
Crève le patriarcat crève le pouvoir
Si besoin d’échanger sur ce texte : nik2prenso1@protonmail.com
Dans la publication « Récit d’agression et de violence psychologique à Oulx », ce n’est pas Mi l’agresseur.
J’ai eu deux retours où des personnes ont interprété que c’était lui, désolé si je n’ai pas été assez clair.
Si j’avais besoin de citer Mi dans ce texte, c’est parce qu’il a été un soutien actif pour l’agresseur. Il a entres autres :
- Protégé socialement l’agresseur
- Tenté de décrédibiliser toute la parole des meufs dénonçant les violences sexistes du lieu
- Retourné la chambre d’une copine pour lui foutre la pression
- Fait de la violence psychologique avec des copines (Regard insistant, sourire mesquin, caché derrière les connasses dans les moments où c’est le chaos)
- Il a martelé que c’était la dictature des meufs et que c’était nous qui faisions de l’oppression
- Recouvert des tags anti-sexistes en y dessinant des bites.