De la Palestine à la France, trois lignes de démarcations

L’opération du « déluge d’Al Aqsa » du 7 octobre 2023 a remis la question palestinienne au centre des préoccupations en déstabilisant le mythe de l’invincibilité de l’Etat colonial d’Israël

De la Palestine à la France, trois lignes de démarcations

L’opération du « déluge d’Al Aqsa » du 7 octobre 2023 a remis la question palestinienne au centre des préoccupations en déstabilisant le mythe de l’invincibilité de l’Etat colonial d’Israël. Elle a poussé toutes les forces politiques à prendre position sur la scène mondiale et à dévoiler sans fard leurs “positions”. Après 6 mois de destruction ininterrompue de Gaza, sous forme d’une punition collective, les Autorités françaises criminalisent encore et toujours le soutien à la cause palestinienne présenté comme ce qui jette de « l’huile sur le feu » dans une société déchirée. Le mouvement de solidarité fait donc face à des attaques externes mais il a aussi à se questionner sur son orientation propre, le pathos ne pouvant remplacer le combat politique. La revue Supernova a présenté une analyse historique et politique de la situation en Palestine occupée (Cf. le numéro 5 de la revue). Dans cet article, nous souhaitons aborder des questions concernant le type de solidarité que l’on doit développer ici, au cœur d’un centre impérialiste, partie prenante du conflit. Nous poserons donc quelques considérations relatives aux principes et repères qui doivent orienter notre combat internationaliste, selon une conception du monde communiste.

La Palestine et les démocraties impérialistes

Le premier point est un rappel qui devrait aller de soi. La Sainte Alliance des Etats capitalistes et la France impérialiste font partie du problème pour la Palestine et pas de la solution.
Le 6 février 1996, à l’université de Cincinnati, Kwame Ture1 militant panafricaniste révolutionnaire, prenait la parole pour rappeler une logique politique élémentaire à laquelle nous devons être particulièrement attentif : « L’anticolonialisme n’est rien sans l’anticapitalisme, car le colonialisme n’est rien d’autre qu’une ramification, qu’un aspect du capitalisme. Donc si vous êtes anticolonialiste, vous devez être anticapitaliste. Si du moins vous voulez être logique dans votre pensée et dans votre action ». Il ajoutait : « Si vous êtes anticapitaliste vous devez être pour le socialisme. Le capitalisme ne peut pas unir l’Afrique, l’Afrique ne peut s’unir qu’avec le socialisme ». Les deux points soulignés par Kwame Ture sont capitaux. Pour comprendre les racines de la lutte anticoloniale et pour dégager une perspective révolutionnaire. Ces deux points sont cruellement absents de la plupart des expressions de soutien à la cause palestinienne car la « culture militante de gauche » actuelle ne propose pas une lecture globale de la nature du conflit au Proche-Orient.
Il y a plusieurs façons de caractériser la nature du conflit en Palestine occupée. En mettant de côté l’interprétation religieuse (Juifs contre Musulmans) qui se nourrit d’une vision idéaliste, falsifiée et pessimiste de l’histoire, on peut comprendre le conflit de trois façons :

a) Il s’agit d’une contradiction entre le colonialisme juif et les Palestiniens

b) Il s’agit d’une contradiction entre le colonialisme juif et le monde arabe et iranien

c) Il s’agit d’une contradiction entre Israël, colonie, construite de toutes pièces par des centres impérialistes, et les peuples palestiniens et arabes qui veulent rétablir leurs droits nationaux.

Les deux premières interprétations sont réductrices, seule la troisième permet de comprendre les racines du conflit, de construire la solidarité et d’envisager une solution.

La colonisation de la Palestine historique par des européens juifs ashkénazes, souvent jugés indésirables dans leur pays d’Europe de l’Est, n’aurait pu être possible s’il n’y avait déjà eu un capitalisme mondial. Elle a eu lieu avec des moyens européens et une conception européenne (l’avant-poste de la civilisation contre la barbarie). Dans un premier temps, cette colonisation européenne spécifique n’avait aucun succès véritable (Après la première mondiale, 1.8 million d’émigrés juifs d’Europe partaient aux USA, 60000 seulement rejoignaient la Palestine mandataire, une terre du monde arabe dans laquelle ils ne se reconnaissaient pas un destin). L’ordre capitaliste français et anglais avait prévu déjà cet Etat (l’Etat sioniste), qui servirait leurs intérêts depuis au moins la déclaration Balfour en 1917 et les accords de Sykes-Picot en 1920, accords qui partagent les dépouilles de l’Empire ottoman entre les deux puissances coloniales. Le conflit a donc des racines dans le capitalisme européen et américain, il est rendu possible par la défense acharnée de leurs intérêts depuis des décennies. Le rôle fonctionnel d’Israël est d’être un avant-poste des intérêts impérialistes dans la région2. Tel Aviv est une « bulle européenne » richissime et libérale, tandis que Sderot abrite les « petits blancs » du sionisme qui trouve leur dignité dans le nationalisme agressif. Un schéma typiquement européen. L’origine du sionisme réellement existant est expliqué par Samir Amin de façon limpide :

« Soutenu par les Etats-Unis et l’Europe, inconditionnellement et massivement, financièrement et militairement, Israël a pu de ce fait, refaire en plein XX°siècle, l’histoire d’une conquête coloniale, chassant un peuple tout entier de son pays. Avec l’arrogance que ce soutien permet, Israël s’est livré à des agressions quotidiennes contre les peuples arabes, bombardant impunément le Liban, la Tunisie et l’Irak ; son armée se livre à l’exercice criminel de casser les mains des enfants palestiniens qui écrivent sur les murs. Mais on lui trouve toujours des excuses…Est-ce donc un produit de l’imagination arabe de constater que les opinions dominantes aux Etats-Unis et en Europe se débarrassent de cette manière honteuse de leur « problème » ? Je veux dire par là que l’ignominie antisémite qui est bien un produit occidental-lequel a certes culminé dans le génocide hitlérien mais ne se réduit pas à lui (nombreux sont les européens qui n’ont pas une conscience nette dans cette affaire) -a ainsi trouvé sa « solution normale » dans l’utilisation par l’Occident des enfants de ses victimes pour poursuivre ses objectifs impérialistes propres contre les peuples du tiers-monde »3

L’israélien est un avatar tardif du monde euro-américain et il a été rendu possible par la destruction des juifs d’Europe. Mais alors, la vision binaire du conflit qui le limite à un horrible face à face entre colons sionistes et Palestiniens doit être révoqué. Il faut savoir cerner la nature profonde de l’ennemi contre lequel se battent les Palestiniens et contre lequel nous nous battons si nous rejoignons leur combat. Ce combat n’est pas universel dans un sens symbolique comme le seraient des archétypes tragiques qui incarnent « la terreur et la pitié » même s’il y a beaucoup d’Antigones en Palestine. Ce combat est universel car il concerne l’ordre que produit le capitalisme mondial, aujourd’hui toujours dominé par les euro-américains malgré la montée en puissance des BRICS. La dépossession des Palestiniens est une des ramifications de la dépossession capitaliste. La centralité de la cause palestinienne, qui peut poser problème si on ne lie pas cette cause à celle des autres peuples opprimés par l’impérialisme, est en fait celle de la centralité d’Israël dans les agendas et stratégies impérialistes au Moyen-Orient.

La lutte palestinienne est certes une lutte contre l’occupant mais aussi contre l’impérialisme euro-américain, et contre le capitalisme comprador des bourgeoisies arabes. En effet, la colonisation sioniste ne cherche pas uniquement à coloniser la Palestine, mais aussi toute une partie de la région arabe. Or, les diverses classes sociales et les diverses fractions des classes dirigeantes arabes n’ont pas la même attitude vis-à-vis de ce projet. C’est pour cette raison que la nature de la lutte palestinienne a été diverse. C’est une lutte à caractère national et aussi à caractère de luttes de classes. Il faut se rappeler qu’au début de l’ère coloniale, lors de la conquête du monde par l’Europe, il y avait une élite indigène qui servait le capital (les compradors, fondés de pouvoir des firmes étrangères).

L’histoire récente de la cause palestinienne est confrontée aux nouveaux compradores : la haute bourgeoisie rentière du Golfe, qui propose depuis les années 1970 des plans de capitulations ; les autorités égyptiennes et jordaniennes qui ont conclu des paix séparées et collaborent sécuritairement avec Israël et les puissances occidentales, ou encore les accords d’Oslo qui ont détruit l’ancien mouvement national palestinien, en faisant de l’OLP un relais de l’occupation et des intérêts de la bourgeoisie d’affaires palestinienne (qui ne vit que de prébendes et non d’un système productif propre), sans obtenir en contrepartie le moindre droit national. D’un côté la « start up nation » sioniste vit des centaines de milliards d’investissements euro-américains, de l’autre une bourgeoisie palestinienne dénuée de toute marge de manœuvre, ne pouvant importer et exporter sans autorisation expresse de l’occupant. Celle-ci se maintient par des financements internationaux au prix de sa soumission définitive. La paix d’Oslo a été une autre copie de la guerre, l’humiliation de la collaboration en plus.

Face à la nature réelle et profonde du conflit, la leçon essentielle pour le mouvement de solidarité est de soutenir toutes les formes de résistance (du boycott à la lutte armée) et non de demander à la communauté internationale des Etats impérialistes d’intervenir puisque c’est précisément leur intervention qui opprime. C’est pour cette raison que la déploration humanitaire face à Gaza ravagée et à sa famine organisée ne peut pas être le programme du mouvement de solidarité. Les mêmes puissances qui larguent les colis sont celles qui rendent possible chaque jour le massacre.

Pour la libération de la Palestine ou pour une démocratisation du sionisme ?

En dehors de la rhétorique humanitaire qui ferait des Palestiniens des victimes passives, un autre biais nourrit de très nombreux courants du mouvement de solidarité. Il s’agit de l’idée défendue que les principes pour prendre position doivent être ceux du droit international. Cette position s’appuie sur la reconnaissance du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » et du refus de l’occupation dans les documents principaux qui ont formé les Nations Unies depuis 1945. Ce droit qui structure les relations internationales s’est bien exprimé à plusieurs reprises en faveur de la fin de l’occupation (du moins celle des territoires de 1967) mais c’est aussi ce droit qui a entériné la création d’Israël, par la résolution n° 181 de l’ONU par laquelle les grandes puissances impérialistes ont décidé du partage de la Palestine historique entre deux Etats , un juif et un arabe. Dans les faits, cette décision a entériné non seulement une dépossession mais aussi une protection militaire et politique de la colonisation. Le droit international valide les faits accomplis et leur donne l’aura d’une légitimité internationale. Ce qui existe ce ne sont pas des résolutions abstraites mais des rapports de forces réels qui les rendent possible ou non. Comme le dit un proverbe haïtien : « Konstitution sé papié, bayonet, sé fé », la constitution c’est du papier, la baïonnette c’est du fer. Toute la stratégie de l’Autorité palestinienne a été depuis Oslo de tenter de faire reconnaître les droits nationaux des Palestiniens par d’autres Etats et par des Cours internationales. Cette position, si elle devient la seule arme que l’on brandit, au nom d’une inexistante solution par le droit, équivaut à une intériorisation de la défaite. Le droit international ne permet pas à une lutte de libération nationale d’aboutir. Il ne peut être qu’un des moyens tactiques d’enregistrer un rapport de force qui place le projet de colonisation dans une situation si délicate qu’il est contraint de négocier. Ce n’est pas le droit qui crée le rapport de forces mais le rapport de forces qui crée le droit.
Le droit peut donc être un point d’appui mais ce n’est pas le plus légitime, ni le plus efficient. Il en va ainsi aujourd’hui avec la plainte déposée par l’Afrique du Sud devant la Cour Internationale de Justice. Elle a abouti à la reconnaissance d’un « risque plausible de génocide ». Nous pouvons et nous devons saluer la démarche sud-africaine en ce qu’elle a considérablement gêné le bloc impérialiste dans sa propagande. Mais nous devons nous rappeler comment on cloue le bec à la rapportrice spéciale de l’ONU pour les territoires palestiniens occupés. Le 25 mars 2024, Francesca Albanese, a présenté son rapport sur la base de la décision de la Cour et d’une série de documents supplémentaires. Elle demande alors un embargo sur les armes, des sanctions contre Israël et une présence militaire de protection du peuple palestinien. La réponse française est éloquente. Le point presse du Quai d’Orsay affirme le 26 mars 2024 que : « Madame Albanese n’engage pas le système des Nations unies. Nous avons eu l’occasion par le passé de nous inquiéter de certaines de ses prises de positions publiques problématiques et de sa contestation du caractère antisémite des attaques terroristes du 7 octobre dernier. ». Le droit au génocide assumé au nom du 7 octobre.
Cette approche par le droit et son insuffisance manifeste on la retrouve, sur un autre plan, dans les « solutions » proposées qui font l’impasse sur la libération nationale de la Palestine en lui substituant l’idée d’une égalité des citoyens dans un Etat commun. Le droit à l’égalité civique vaudrait finalement plus que le droit à l’auto-détermination. En somme, faute de pouvoir démanteler le sionisme dans une lutte de longue haleine, il s’agit de constater qu’il n’y a aujourd’hui qu’un seul Etat dans les faits et d’exiger l’égalité des droits. On avance alors comme arguments l’imbrication des deux populations, la présence de 800000 colons en Cisjordanie, dans des places fortes devenues inexpugnables. La lutte de libération étant impossible à court terme et la promesse du « deux peuples, deux Etats » n’étant pas tenue, un mouvement de droits civiques remplacerait ainsi la lutte de libération nationale. Au final, un Etat commun, un Etat binational, un Etat « de tous les citoyens présents » serait la seule solution possible et souhaitable. Cette idée est aujourd’hui portée par des israéliens progressistes comme Eyal Sivan ou Shlomo Sand mais aussi par certains intellectuels palestiniens qu’ils soient dans les territoires de 1948 ou dans ceux de 1967 ou en exil. Elle a irrigué diverses expressions de la campagne BDS (boycott, désinvestissement, sanctions). Cette solution se présente comme une alternative à l’arche croulante du mantra « Deux peuples, deux Etats ». Le problème essentiel de ce genre de solution » est qu’elle suppose deux postulats : 1) Il est possible que le sionisme change de nature 2) il est impossible qu’il puisse se passer des Palestiniens. Ces deux postulats sont erronés. Le premier parce qu’aucune domination politique ne choisit le suicide comme option, le second parce que se débarrasser des Palestiniens et compter sur une immigration du travail est envisageable pour le sionisme.
Le problème central du sionisme est et a toujours été le colonialisme, en l’occurrence la tentative de remplacement des Palestiniens par une population de colons dans le but d’établir une société distinctement différente sur des terres volées. Le colonialisme de peuplement en question possède une logique d’élimination comme le dit Patrick Wolfe. Cette logique est celle d’empêcher le retour des peuples autochtones sur leur terre et en fait compte de ne laisser exister qu’une nostalgie proposée aux peuples disparus et exilés de force. Dans son dernier livre, Shlomo Sand va jusqu’à dire que Menahen Begin, le dirigeant sioniste de droit, premier ministre de 1977 à 1983, était un partisan de la citoyenneté israélienne pour tous les arabes qui la souhaitait. Cette mesure souhaitée viendrait se son noble souci de ne pas ressembler à la Rhodésie raciste. C’est une vision entièrement romanesque de l’histoire. Il n’y a pas eu un seul gouvernement israélien au pouvoir ou une personnalité sioniste de premier plan qui n’ait, d’une manière ou d’une autre, défendu et fait progresser ces objectifs fondamentaux. Même avant la montée des dirigeants israéliens de droite actuels au lendemain de la guerre d’octobre 1973, le nettoyage ethnique et l’asservissement des Palestiniens étaient la pratique établie de la direction « socialiste » autoproclamée et dirigée par les travaillistes. Des centaines de milliers de Palestiniens se sont retrouvés victimes d’un nettoyage ethnique par beaucoup de ceux qui se présentaient comme étant de gauche. Il semble que, quelles que soient les divergences du régime au pouvoir concernant la gestion du projet colonial, l’assujettissement des Palestiniens a été un fil conducteur constant – et cela continuera de l’être sous tout nouveau gouvernement israélien. Le mouvement de solidarité a comme responsabilité de lutter contre le mythe d’un sionisme « à visage humain », acceptable et démocratique ou au mythe d’un bon gouvernement israélien qui contrairement à celui de Netanyahu ne serait pas dirigé par des illuminés racistes favorables au transfert. Il n’y a pas de bon gouvernement pour les colonisés.

La violence des opprimés

Un dernier point sera soulevé ici, il s’agit de la question dite du « terrorisme » c’est-à-dire pour utiliser le langage courant de l’utilisation de la violence contre les civils. Chacun sait que c’est cet épouvantail absolu qui est brandi face au soutien à la cause palestinienne. « Vous pouvez soutenir la cause des palestiniens mais pas quand ils prennent des armes et qu’ils s’en servent pour toucher des cibles qu’ils ont défini ». Les opprimés sont bons lorsqu’ils sont désarmés, impuissants, pétris dans la défaite. En France et en Allemagne, il est même prescrit que dans l’espace public toute prise de parole sur la situation palestinienne s’ouvre par une condamnation rituelle totale de l’opération du 7 octobre et des centaines de morts parmi les civils israéliens. Le terrorisme est moralement condamnable nous dit-on. Très bien. Si on veut bien accepter cette prémisse, force est de constater que le terrorisme est avant tout d’origine étatique. Les morts civils sont massivement le fait d’Etat qui bombardent des populations récalcitrantes. C’est un fait des guerres modernes. Et du point de vue de la morale, il faut condamner toute mort provoquée, toute tragédie personnelle. Or, la morale ne permet pas de juger une situation politique, c’est-à-dire de savoir si un combat est juste ou non. Il faut donc se demander ce qu’on condamne politiquement et non moralement dans un usage de la violence.
La doctrine d’engagement des forces israéliennes ne fait pas de distinction entre civils et combattants palestiniens. Chacun a pu s’en apercevoir avec les bombardements meurtriers de Gaza en prétextant que la population civile était un bouclier humain du Hamas. Déjà pour le soldat otage Gilad Shalit, les bombardements avaient fait 1200 victimes civiles. Il s’agit des règles d’engagement de la « doctrine Dahiya » élaborée lors de l’enlèvement des soldats israéliens par le Hezbollah libanais. Toute attaque doit entraîner une riposte israélienne qui consiste à détruire les infrastructures civiles et militaires, y compris des villages, des quartiers entiers de villes. C’est une politique de terre brulée. Cette situation signifie que si les combattants attaquent des cibles militaires, la réponse sera la même que s’ils attaquent des cibles civiles. C’est cette situation et celle du blocage politique et diplomatique complet qui est à l’origine de l’opération du 7 octobre4. Au final, la principale différence entre les crimes commis par Israël contre les civils palestiniens et ceux commis par les Palestiniens réside donc dans l’existence d’un réseau international qui légitime, précise et codifie la logique qui sous-tend les actions militaires israéliennes. Cela lui donne une apparence de respectabilité, même lorsque le raisonnement sous-jacent semble profondément erroné ou justifier le massacre à grande échelle de civils palestiniens à Gaza.
La question présente est celle d’une situation qui atteint des civils du camp ennemi dans une lutte de libération nationale. Les impérialistes tuent des civils dans chacune de leurs guerres (Yougoslavie, Libye, Afghanistan, Irak) en les désignant comme des « dommages collatéraux ». On peut être tenté de répondre de la même manière et d’une façon correcte, les morts civils sont le prix à payer d’une occupation coloniale. Mais la question qui se pose en termes politiques est encore plus précise : c’est celle de la légitimité puis celle de l’efficacité. La cause est-elle légitime ? L’opération a-t-elle fait chuter la sympathie internationale pour la cause palestinienne ? Il y a donc ici un principe de réalité : les luttes de libération nationale se développent et gagnent lorsque le prix pour maintenir « l’ordre » de la domination est trop élevée. La société française ne voulait plus de 500000 soldats mobilisés en Algérie pour maintenir une colonie de peuplement qui avait perdu les « cœurs et les esprits ». La société étatsunienne ne voulait plus supporter le poids moral et humain de la guerre du Vietnam. La lutte armée des colonisés crée un capital politique qui oblige les centres impérialistes à modifier leur politique. Il est utile de rappeller d’ailleurs que cela se fait dans ce sens et non dans le sens inverse. La lutte armée dans les pays dominés fait changer les esprits dans les métropoles. Et c’est déjà sa vertu de nous rappeler dans quel monde nous vivons.

Supernova, revue communiste N6 2024

note
1)Kwame Ture (Stokely Carmichael). Né le 29 juin 1941 à Port of Spain (Trinidad), mort le 15 novembre 1998 à Conakry (Guinée) ; militant des droits civiques ; Prime Minister du Black Panther Party ; leader du mouvement panafricain
2)C’est ce dont se désolait un intellectuel favorable au sionisme au début du XXème siècle et constatant amèrement le rôle qu’il allait remplir « Le sionisme n’est pas dans les cieux et il ne possède pas le pouvoir d’unir le feu et l’eau. Soit il sera emporté par les eaux de l’impérialisme, soit il sera brûlé dans l’incendie révolutionnaire de l’Est qui s’éveille » Gershom Scholem
3) Samir Amin, L’Empire du chaos, 1991
4) Situation analysée dans un article très éclairant d’Abdaljawad Omar paru sur le site Mondoweiss.

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