Est-ce que nous souhaitons nous taire depuis nos montagnes et nos campagnes ?

Nous qui signons ces textes sommes réunis autour de la colère et des questions que suscite la politique européenne envers les migrant.e.s. Nous qui voulons lutter pour un monde sans frontières, contre les impérialismes, d’où qu’ils soient, et accueillir dignement celleux qui arrivent, après souvent plusieurs mois de « voyage ». Nous, pluriel-les prises aux côtés des personnes directement concernées dans les mailles des filets, nous autres empêtréEs dans « l’urgence » de la mise à l’abri de tous les dangers posés par le régime raciste et inhumain des frontières.

Depuis Briancon

Les maraudes nocturnes en montagne des derniers mois ont sans aucun doute remplies leur objectif premier d’éviter que les personnes qui tentent de traverser la frontière française dans le Briançonnais se retrouvent seules dans le froid à la merci d’un refoulement en Italie par les forces de police. Les maraudeurs apportent en solidarité vêtements, boissons chaudes et nourriture, quelques informations sur les droits face à la police. Nous avons observé ces dernières semaines une nette recrudescence des passages, jusqu’à 20 certains soirs malgré l’hiver toujours froid.
Peut-on corréler ce phénomène avec la forte médiatisation des solidarités montagnardes ?
Peu à peu s’est aussi renforcée la certitude que les passeurs sont non loin derrière les exilé-es, ce qui a placé les équipes dans un sentiment inconfortable d’être instrumentalisées. Si la dépendance aux coxeurs pour la traversée de cette frontière est sans doute liée à un manque d’information sur les itinéraires de passage (lignes et arrêts de bus, trains), on ne peut sous-estimer l’effet psychologique de leur présence : lorsqu’on doit traverser, on se sent sûrement moins isolé et vulnérable lorsqu’on a donné sa con ance à quelqu’un, qu’on l’a payé, parce qu’il garantit le passage, et qu’il est souvent de sa propre communauté d’origine.
La dénonciation des passeurs par les équipes de maraudes auprès des voyageurs, initiée depuis peu, vise sûrement à éviter le paiement d’une somme importante et l’abus nancier qu’il représenterait, mais cette posture re ète une morale qui refuse de se percevoir comme privilégiée parce que située du côté confortable des papiers d’identité et de la liberté de circulation. Une autre conséquence possible de l’interventionnisme solidaire et de la critique des passeurs est une légitimation des maraudes en lieu et place du système des passeurs désignés comme escrocs. Cette substitution s’inscrit dans un schéma plus large : à cette frontière physique comme ailleurs dans les parcours migratoires, dans les camps ou les PRAHDA, des « solidarités humanitaires » participent à la gestion des mouvements de personnes sans souci des modes d’organisation communautaires. Soyons vigilant-es à ce que cette dénonciation ne soit pas utilisée par la rhétorique étatique qui saurait habilement la retourner contre le mouvement de solidarité en justi ant d’intensi er les contrôles frontaliers pour limiter la traite des personnes.
Avec ces passages quotidiens, on assiste à une forme de laissez-passer que l’on peut comprendre motivé par le contexte hivernal et par le souci des autorités de préserver le peu d’image humaniste qu’il leur reste, suite aux dénonciations d’abus policiers systématiques à Calais ou aux remous provoqués par les récentes circulaires Collomb encourageant à plus de persécution contre les personnes exilées. Conscient des dangers de la montagne en hiver, le ministère ne souhaite peut-être pas provoquer trop de dégâts humains à cette frontière à l’heure actuelle, d’autant que les touristes y sont nombreux. Autant éviter le scandale. Les moto-neige de la PAF circulent donc abondamment en plein jour pour rassurer les skieurs en famille et peut-être éloigner les indésirables des photos de vacances, mais on n’entend pas trop parler d’abus policiers par ici. Quoique. A deux reprises dans la semaine du 12 au 18 février, des interpellations violentes ont été observées contre des migrants. Les violences gratuites relatées expriment-elles la frustration des policiers de la PAF ou une certaine éthique républicaine ?
Alors que le soleil se réinstalle de semaine en semaine, les passages reprennent peu à peu aussi au col de l’Échelle après un mois d’arrêt dû notamment à la neige trop abondante. Plus d’une quinzaine de personnes ont traversé par là cette semaine, dont un homme, disparu depuis qu’il a laissé son groupe et a préféré redescendre du côté italien. Nous portons notre attention sur les risques encourus par celles et ceux qui rêvent de venir en France dans le contexte actuel de dégel et de risques d’avalanches. Pourtant, reprendre les maraudes quotidiennes à l’Échelle pourrait représenter une forme d’encouragement pour les gens en attente de l’autre côté des montagnes, comme une garantie d’être secouru pendant la traversée, et toute incitation multiplierait les risques d’accident.
Ces jours-ci, la neige fond et laisse apparaître les premières tâches de terre sous-jacente, mais aussi du kaki. A Montgenèvre hier soir, on pouvait voir sur le parking à l’entrée du village 4 camions militaires et 2 jeeps là où on ne voyait jusqu’alors qu’un véhicule. On croisait aussi un groupe de 8 soldats portant skis à l’épaule, de ces chasseurs-alpins qui s’entraînent pour la reprise de la traque d’étrangers en situation irrégulière.
Dans moins d’un mois ce sera la n des vacances pour les zones françaises A, B, C. La n des vacances ? Le retour des patrouilles aux cols, et l’heure de fermer la frontière ?

Ici a Veynes ... depuis le CHUM Centre d hebergement d urgence pour mineurs

Depuis le 9 septembre, le CHUM a accueilli plus d’une centaine de jeunes arrivant de la frontière italienne, car les institutions n’ont pas eu la volonté de mettre en place les dispositifs suf sants. Face à ces lamentables moyens, ce lieu a voulu montrer qu’un accueil digne et réactif est possible.
Les centres d’accueil ouverts par l’Etat, répondent à une politique hypocrite dont le but n’est nullement d’accueillir dans le respect des lois, sans parler d’humanité, mais consiste à une stratégie d’exclusion du territoire.
Les associations, mandatées au rabais par le département, proposent un pseudo-parcours d’accompagnement, qui nit souvent par un retour à la rue, sans accès aux soins ni repères dans les périples de l’administration bleublancrouge.
Administrations, qui sont en charge de reconnaître la minorité des jeunes, avec une évaluation très controversée, arbitraire, froide et cinglante, où l’oubli de dates précises sur les mois de voyage effectués, un peu trop de poil au menton ou le fait de ne pas avoir voyager seul excluent les personnes d’un possible avenir dans les Hautes-Alpes. Et nous savons que c’est la même déroute dans les autres départements. Sous couvert des politiques nationales, l’Inspection académique, la CPAM, l’Agence Régionale de Santé, l’Aide Sociale à l’Enfance, le Département, la Préfecture, les mairies, la PAF entravent l’accès à leur droit d’EXISTER.
Le 13 mars aura lieu à Gap, le procès d’expulsion du CHUM : ce lieu autogéré, organisé par des gens qui demandent à minima que les institutions respectent la loi, et qui propose beaucoup mieux qu’elles. Ce procès, c’est la seule réponse of cielle de notre Etat face à nos dénonciations, et l’on voit que pour protéger ses remparts, le rouage est huilé : huissiers, traitement des demandes d’expulsion, dans ce sens cela fonctionne bien !
Fait de briques et de brocs, le CHUM est un lieu de vie, de passage, d’échange, d’entraide qui répond à l’urgence constante et à un besoin criant d’humanité.
Au quotidien, écœuré par cette triste politique, le CHUM est rythmé de récups, de dons, de permanences médicales, d’accompagnements juridiques, de moments de partage, de visites prévues ou spontanées qui font du bien. Il continue à vivre, malgré nos grosses cernes qui nous empèchent d’oublier cette réalité.

Collectif Allexois de Solidarite

Au CAO à Allex, les premiers arrêtés de renvoi ont été exécutés. Des personnes dublinées qui se font renvoyer dans le pays européen dans lequel leurs empreintes ont été, pour la première fois, relevées. Des Afghan.e.s, des Irakien.e.s... se retrouvent (ou sont en passe de se retrouver) donc en Suède, en Autriche, en Bulgarie... Ces situations sont malheureusement les premières d’une longue série. Le collectif est en pleine réfexion sur les actions de résistance à mener.
A côté de cela, il faut chaque jour veiller à ce que le minimum soit assuré par les services de l’Etat (rien ne va de soi, pas même pour aider à l’achat de couches et de lait pour les bébés) et compléter, pour que des rencontres puissent avoir lieu, pour que la vie soit simplement vivable, un minimum, pour que celles et ceux qui arrivent puissent être aussi considéré.e.s autrement que simplement comme migrant.e.s : comme des femmes et des hommes, avec des désirs, des histoires, des talents... Et qu’ils et elles puissent le dire, le montrer et le partager !
Parallèlement, la lutte pour que les enfants puissent être scolarisés à l’école municipale, se poursuit, par différents biais. On espère pouvoir bientôt vous donner des nouvelles à ce sujet.
Pour l’heure il n’y plus aucun enfant en obligation légale d’être scolarisé. La tension avec la municipalité est donc un peu retombée. Nous continuons d’opérer « à froid »
Des histoires de vie plus trashs les unes que les autres des ami-e-s survivant-e-s aux réactions inconcevables des administrations et de l’état en passant par l’oppression imposée par les lois et les ics, une réalité nous pète sans cesse à la gueule sans savoir toujours comment l’exprimer : la violence des situations multiples que cette lutte nous fait vivre.
Ils-elles ont traversé un périple inimaginable. Leurs histoires ne sont jamais décrites ici ou là comme ils-elles nous les racontent. Tortures, soumission, viols, esclavage, enfermement, aucun mot ne peut exprimer, dépeindre réellement ce qui leur est arrivé. Le silence.
Les médias qui tentent de raconter, eux même, passent souvent à côté de leurs récits.
Chaque jour, pourtant, dans leurs têtes, dans nos têtes, ces traumatismes persistent et ne laissent pas le sommeil tranquilliser nos esprits.
Chaque jour également depuis leur arrivée en Europe, une autre forme de violence s’impose : celle d’un état raciste et oppressant qui, sous couvert de lutte contre le terrorisme et de sécurité intérieure, oubli d’entendre la parole de ces hommes, femmes et enfants, qui n’entrevoient plus que des solutions inimaginables après leur long voyage.
Retourner au pays. Se voir contraindre à faire marche arrière, vers des territoires qui ne peuvent pas/plus les accueillir. Pays tiers, premiers pays d’arrivée, Dublin, et les lois « asile et immigration » en cours, ne font que renforcer les impasses et noyer leurs histoires dans des entretiens impersonnels et uniquement constitués de « critères ».
Chaque jour, les incertitudes sont plus nombreuses. Lorsque la grosse machine humanitaire s’en mêle, ces histoires ne sont toujours pas entendues, cette violence continue d’être prise en pitié.
Alors quoi ? Devrions nous nous laisser contraindre encore et toujours par des « procédures » ? Devrions nous continuer à nous laisser enfermer dans des formulaires ? Contraints à répondre sagement de nos « droits » alors que l’état lui même se dé le de ses « devoirs » ?
Quand bien même nous continuons à avancer avec ces mots, « droits » et « devoirs », nous aimerions pouvoir nous en défaire. Car il n’est pas juste question que l’état respecte les lois. De toutes façons, ces lois sont régie par l’état.
Quand bien même ces lois sont celles qui permettront ou non à nos amis d’avoir des papiers, sommes nous simplement contraint.e.s de tenter de les comprendre pour les faire appliquer ?
Des papiers. Ils-elles en ont pleins depuis qu’ils-elles ont mis le pied en Europe. Guda, Pada, entretien à l’OFFI, à l’OFFPRA, récépissé de circulation. Ils-elles ont aussi et avant tout leur histoire, écrite de préférence dans un français compréhensible par l’administration, rangée parmi tous les autres papiers dans un classeur.
Revenons à la violence.
L’oppression est permanente.
Elle devient tantôt un moteur, tantôt une pluie de larmes, tantôt une rage enfouie qui ne demande qu’à être crachée.
La stratégie de l’état, cet état policier qui répond lui aussi par la violence en limitant le passage aux frontières avec des jeeps de militaires, des camions de gendarmerie, une traque coûteuse, est bien de ne pas nous laisser le choix.
Est ce que nous souhaitons nous taire ?
Non. Le silence est déjà bien assez prégnant dans la bouche des camarades.
Nous ne sommes pas investi-e-s dans ce combat pour aider ces exilé-es que bon nombre montrent du doigt. Nous ne sommes pas là que pour agir en solidarité avec eux-elles. Nous ne serons pas des gestionnaires de la misère engendrée par ce monde de mort, comme si nous agissions depuis l’extérieur. Ce sont nos propres vies qui sont en jeu ici aussi. Ce n’est pas une guerre des blancs contre les noirs. Mais encore et toujours des riches contre les pauvres. Et notre rage part de là aussi.
Cette violence que l’état nous impose est bien un signe étouffé du combat éternel du refus d’être broyé par un système de riches imposés par les riches.
Chaque jour nous tentons de transformer cette violence, ces violences, en rage.
Chaque jour, cette rage grandie. Chaque jour, une part conséquente de cette rage est aussi enfouie, réprimée, au plus profond de nos ventres.
Un jour, il n’y aura plus que le choix d’expulser cette rage de nos corps, de nos vies, pour ne pas qu’elle nous consume. Un jour, nos rages rassemblées seront plus fortes que leurs lois, et nous n’aurons plus qu’à y croire.
Nous y croyons déjà d’ailleurs.

Arrivée sur le sol français, après deux, trois, quatre, cinq refoulements.
Avoir peur de se faire prendre. La police est là, de toute façon. Les militaires aussi. Armés.
Les montagnes sont des frontières.
Nous sommes des criminel-les.
J’ai froid. J’ai mal aux pieds.
Je suis en France. Arrivé-e-s. Pris-e en charge. Des gens. Je mange. Je met un pull. J’ai un lit pour dormir.
Si je veux, je reste. Si je veux, je pars.
Pour aller où ?
Là bas, à Briançon, on me propose Paris, Marseille. Si je suis mineur, Gap. A Gap, il ne reconnaissent pas la minorité. Il croient tou-te-s que je mens. Je reste un peu. J’ai besoin de me reposer.
Je découvre la vie en France. Brièvement, car dans la zone des 20 km autour de la frontière, même si je suis en France, même si je suis mineur, je peux me faire attraper à n’importe quel moment par la police. Je fais attention.
Je peux partir. Je peux prendre le bus. Je peux prendre le train. Je rencontre des personnes qui me proposent de venir chez elles. C’est la route. C’est la chance. J’y vais.
Je comprend que je dois me rendre à la préfecture pour faire une « demande d’asile ». C’est comme ça ici. Je dois me déclarer pour faire ma « demande d’asile ». Pour avoir des papiers. Les personnes qui m’accueillent me proposent de m’accompagner. Je viens de Guinée, du Cameroun, de Côte d’Ivoire, du Mali, je viens d’anciennes colonies françaises. Je parle français. Je ne parle pas le même français qu’ici, mais je parle français.
Je me rend à la PADA (plateforme d’accueil des demandeurs d’asile). Je prend rendez vous pour ma demande. On m’enregistre. On me donne un papier déclarant que j’ai bien été enregistré. Et un rendez vous dans une autre ville, une grande ville. C’est le GUDA (Guichet unique des demandeurs d’asile) cette fois-ci. C’est à Grenoble. C’est dans trois semaines. J’ai mon papier. Mais je ne me sens pas en sécurité. On m’explique les démarches, la « procédure ».
Trois semaines plus tard, je vais à Grenoble. Je dois m’enregistrer, c’est la « procédure ». Je rencontre la personne de l’accueil, une autre me fait entrer dans son bureau. Elle me pose des questions. Il faut regarder dans les chiers. Mes empreintes. Une première machine véri e si mes empreintes ont été enregistrées. Ils ne trouvent pas. Une deuxième machine. C’est EURODAC et VISABIO. Mes empreintes. On me demande de raconter. Je raconte. Je demande parfois un traducteur. Je parle sousou, bambara, malinké, je parle français, mais je demande un traducteur car ce n’est pas
le même français. Même si je comprend, je ne peux pas être à l’aise pendant une, deux, trois heures. J’ai besoin d’un traducteur pour que ce soit plus précis. Pour que je comprenne mieux. Parfois je le demande plusieurs fois et j’explique même que je ne peux pas lire ce qu’on me demande de lire. Il n’y a pas toujours de traducteur.
Je raconte par où je suis passé. Ils ont trouvé mes empreintes. A la sortie du bateau, oui, je m’en souviens. Et la deuxième fois ... non, je ne m’en souviens pas. J’ai fais une demande d’asile en Italie ?
Ah bon. Vous êtes sur-e ? Souvent, je n’ose pas poser la question. Je ravale mes larmes seulement. De toute façon,
je ne me sens pas en con ance. Je me sens jugé.e. Je ne sais pas ce qui est à dire ou non. Je raconte ce qu’on me demande de raconter. Mais mes empreintes en Italie, dans ce campo, à cette date... non, je n’ai pas fait de demande en Italie. Non, je ne veux pas demander l’asile en Italie. De toute façon, je ne comprend pas ce qu’ils me racontent
en Italie. Les femmes qui nous donnent à manger nous alpaguent comme si nous n’étions rien. Les endroits où l’on dort, c’est le froid et c’est dur. Si j’ai mal quelque part, il faut que je fasse comme si j’étais à l’agonie, sinon je sais que personne n’écoutera. Et quoi que j’ai : doliprane.
Ils m’ont fait des prises de sang, trois fois. Je n’ai jamais eu les résultats. La semaine dernière, une femme a même mis un coup de fer à repasser brûlant sur la joue d’un ami.
Alors non, je n’ai pas fait ma demande d’asile en Italie.
Au rendez vous, la femme me donne des documents à lire. Je ne peux pas toujours les lire. Mais il devrait y avoir un traducteur ...
Je signe. J’ai déposé ma demande. Je suis en « procédure Dublin ». Je suis en catégorie 2 si ils n’ont trouvé mes empreintes qu’une seule fois. En catégorie 1 et 2 si ils ont retrouvé mes empreintes 2 fois.
Je ne me souviens pourtant pas d’avoir fais ma demande là bas.
Au téléphone, un frère me dit qu’ils l’ont renvoyé en Italie. Un autre est déjà revenu ici. Encore un autre me dit qu’il lui ont donné l’asile. J’espère. Je doute.

Depuis Gap

La Maison Cézanne depuis son ouverture en avril 2016 a accueilli 200 personnes.
Actuellement 14 habitants y vivent, plus des familles avec des enfants en bas âge logées par le 115 dans un hôtel, sans possibilité de se faire à manger. Elles préparent donc leurs repas dans la cuisine du premier étage et occupent une chambre attenante le temps de la journée. Cela met beaucoup d’animation avec 4 enfants de 7 mois à 6 ans ! Le nombre total de personnes concernées par le quotidien à Cézanne est de 25.
Aucun militant n’habite la Maison. Au moment de l’ouverture ils étaient bien sûr présents, géraient tous les problèmes avec les habitants qui arrivaient d ‘Afrique de l’Ouest, d’Erythrée ou de Tunisie. Mais au l des mois, des désaccords sont apparus avec des membres du collectif ‘’Un Toit Un Droit’’ chargé de la gestion de la Maison.
On a reproché aux militants l’occupation permanente d’une chambre. Malgré cela, des repas, des soirées invitant des gens de l’extérieur étaient organisés .... Mais peut-être lassés par la répétition des dif cultés, ces militants ne sont maintenant plus présents. Une A.G regroupant membres du collectif et habitants était organisée chaque semaine, les échanges étaient dynamiques, riches et respectueux des différences, on sentait de la part de chacun une réelle implication. Petit à petit, la fréquence de ces A.G s’est espacée.
Les quelques militants présents passent plusieurs fois dans la semaine, ils aident dans l’élaboration des dossiers auprès de l’administration et de divers organismes (préfecture, CPAM, PASS, urgences de l’hôpital....) et essaient d’impliquer les habitants dans la gestion de la Maison. Tant bien que mal, ils s’organisent, essaient de récupérer, dif cilement, de l’argent !! Le gaz coûte cher pour 25 personnes dont beaucoup ne béné cie pas de l’ADA (Aide aux Demandeurs d’Asile, allocation mensuelle d’environ 360 euros attribuée à une personne seule pendant l’instruction d’un dossier par l’OFII - deux mois sont nécessaires pour qu’elle soit effective.....et est suspendue dès que l’instruction connaît une dif culté.... dès lors les problèmes nanciers de la Maison Cézanne s’accentuent.)
Mais depuis bientôt deux ans et malgré les dif cultés accumulées, la Maison et ses habitants tiennent le coup ! La Mairie, propriétaire du bâtiment a mis du temps à réagir à cette occupation ‘’illégale’’ d’une maison vide depuis 10 ans !!
Rappel d’un historique de vie :
Ouverture le 18 avril 2016, rendue nécessaire pour la mise à l’abri d’une famille tunisienne avec 4 enfants.
05 avril 2017 : passage d’un huissier, mandaté par la Mairie, ordonnant l’évacuation du lieu. 09 mai : audience au Tribunal de Gap, bizarrement reportée à la demande de la partie adverse qui n’avait certainement pas travaillé son dossier !
19 septembre 2017, décision de mise en délibéré repoussée au mois de novembre :
la juge ordonnera l’évacuation de la Maison pour le 21 juillet 2018 ! 8 mois de délai !!!
De recours en reports ..... 2 ans et 3 mois de vie .... et la rumeur dit que ce ne serait peut-être pas ni !
Les témoignages des habitants sont unanimes, tous identiques à celui de Mamadi, Ibrahima, Mohamed qui déclarent : « La Maison Cézanne doit rester ouverte longtemps ; nous sommes à l’abri, vraiment tranquilles et soutenus par les militants à qui nous devons montrer notre solidarité et notre amitié. Ils montrent pour nous beaucoup de disponibilité. »
Certains habitants, après un passage à la Maison Cézanne, sont pris en charge par le réseau WELCOME qui les place chez des bénévoles.
Longue vie à la Maison Cézanne qui, après elle, a vu s’ouvrir la Maison Marcel à Briançon et la Maison des chefs de gare à Veynes appelée CHUM (Centre d’Hébergement d’Urgence des Mineurs isolés).
Ces trois lieux, que l’Etat voudrait fermer mais ne peut ignorer, répondent à une obligation d’accueil hélas insuf samment mise en place dans notre pays !
En 2017, entre 1300 et 1900 migrants sont arrivés dans les Hautes-Alpes par les cols frontaliers.......
Bienvenue à eux !

DE L’AUTRE COTE DES ALPES

Le dispositif-frontiere se perfectionne. RFI et ONG collaborateurs du systeme.

Du coté italien, entra Bardonnèche et Clavière, le dispositif frontière se perfectionne. Durant le dernier mois, RFI (Réseaux Ferroviaire italienne) a amélioré son système de contrôle et de sélection qui est appliqué à l’intérieur des gares dans la Haute Val Susa, en particulier sur Bardonnèche. Pour le système ferroviaire, la présence continue des exilées à l’intérieur de la gare représente « un problème de sureté pour les cheminots en service et un malaise pour les passagers en attente de prendre des trains ». D’ici la décision d’engager deux vigiles qui contrôlent le stationnement dans la salle d’attente et jettent dehors tous ceux qui n’ont pas de ticket. On est en pleine saison de ski ; la présence de dizaines de migrants qui remplissent encore la dernière gare avant la frontière, avant de tenter de rejoindre à pied la France ou parce que déjà repoussés par la police française et reconduits ici, déstabilise l’ordre d’une petite ville comme Bardonnèche qui vit, l’hiver, de touristes et skieurs.
Sélection et exclusion. Diviser et cacher pour mieux contrôler
Fonctionnel en ce sens-là est aussi le prolongement des horaires d’ouverture, maintenant aussi diurnes, de la petite salle de l’ONG Rainbow4Africa, adjacente à la gare de Bardonnèche mais séparée de celle-là, à l’intérieur de laquelle les voyageurs coupables d’être sans-papiers peuvent trouver « refuge » sans se mélanger aux touristes et navetteurs.
Cette ONG fonctionne grâce au travail de plusieurs bénévoles qui s’alternent à la gare. Leur boulot a commencé au mois de novembre, aux portes de l’hiver, quand, après différentes pressions sur l’administration, elle a obtenu en concession l’usage de la salle à la gare. L’humanitarisme débarqué à la frontière grâce à R4A a donné la possibilité à des dizaines de personnes de ne pas passer la nuit au froid, d’avoir habits et médicaments, mais il est bientôt devenu un des engrenages qui permettent à la machine des refoulements de fonctionner, en assumant un visage plus acceptable.
Et la gendarmerie et la PAF l’utilisent, déportant à la gare de Bardonnèche des dizaines de personnes bloquées chaque jour et chaque nuit au border, où ils savent que Rainbow4Africa est là, prête à mettre un pansement à la brutalité de la frontière et de plus en plus à les réinsérer dans le circuit institutionnel.
Dans le même temps, la possibilité pour les solidaires d’intercepter, parler et chercher une complicité avec les migrants s’est réduite au minimum, à partir du moment où les opérateurs de l’ONG semblaient plus dèles aux directives du commissariat de police (qui formellement règle l’usage de la salle) qui prévoit que dans l’intérieur de la salle y transitent seulement les « autorisés ». De plus, Rainbow4Africa a recruté des « médiateurs culturels » qui semblent chercher à dissuader les migrants de tenter de passer la frontière, et des légaux qui opèrent de fait une sélection entre ceux qui ont quelque possibilité d’entrer en France « légitimement », et ceux pour qui c’est mieux de rentrer dans les structures d’accueil de lesquelles ils ont échappé. Le nouveau « paquet Bardonnèche » prévoit en n que, pour ceux qui veulent, il y ai un service navette de la Croix Rouge Italienne qui accompagne les migrants au Campo de la Croix Rouge de Settimo Torinese.
Semble dans cette façon démarrer, quoique en mode encore peu structuré, un système de contrôle complet du destin du migrant, qui passe à travers la sélection et la réintégration dans le circuit d’accueil institutionnel.
Sur l’autre front, il y a Clavière, localité immédiatement en dessous du Col de Montgenèvre, qui en jugeant du nombre de personnes, semble être plus récemment le point du passage privilégié pour qui veut passer. Ici, pour le moment, le grand transit de migrants qui tentent de traverser à pied ou en bus la frontière ne semble toucher ni la mairie, selon laquelle le « phénomène » n’existe pas, ni la curie (église) locale, dont le prêtre, après la demande par quelques citoyens d’utiliser les espaces réchauffés de l’église pour donner un abri d’urgence à qui de passage dans ces jours très froid (avec températures même inferieures à -15° et l’inexistence de places couvertes où se réparer), a nié toute aide.

All Cops Are Borders.
Le problème majeur continue d’être la présence de la gendarmerie et de la police des frontière française, qui patrouille les rues et les pistes enneigées avec des nouvelles motoneiges, parfois alertées par les autistes mêmes de la compagnie de bus RESALP, utilisé par qui de passage veut arriver au border.
Le dispositif frontière se perfectionne. Et il assume le semblance du gendarme et de la PAF française qui vient à Bardonnèche pour contrôler qui monte dans les trains en départ pour Modane. Il suf t de n’être pas blanc et de ne pas ressembler pas à un touriste pour se faire contrôler. Prend le visage du médiateur linguistique qu’invite à rentrer dans le système institutionnel de l’accueil et offre des passages gratos jusqu’à le Campo de la Croix Rouge sur Torino. A la tête des vigiles qui jettent hors de la gare qui n’a pas de ticket. Le système se structure, en se préparant à l‘été.
Si jusqu’ici l’intérêt principal a été ce de ne pas rendre trop visible le « phénomène » et chercher à éviter les morts pour ne pas se faire mauvaise publicité, protéger l’image et le tourisme de ces villes de frontière, on verra qu’est-ce qu’il va se passer quand la neige fondra et nira l’hiver, complice naturelle du dispositif frontalier en haute montagne.
Le printemps amènera des nouveaux scénarios en frontière, numéros différents de ceux d’aujourd’hui et une pluie d’argent dans la vallée pour multiplier les tentacules et l’ef cience du dispositif de contrôle et de sélection préventif.

A lire aussi...