Le Théâtre de la Criée est bloqué

Le 15 mars 2021, la Criée devenait un espace de lutte, en entrant dans le mouvement d’occupation des lieux de culture. Samedi 1er mai, nous occupant.e.s avons pris la grande salle du théâtre qui nous était jusqu’à présent interdite d’accès par des cadenas, comme l’ensemble des autres espaces de travail. Après 8 semaines d’occupation et un nouveau cap dans notre mobilisation, il est temps de dresser un bilan et d’avancer tou.te.s ensemble.

Samedi 1er mai, après quasiment huit semaines d’occupation d’un hall devenu exigü, nous, occupant.e.s de la Criée, avons pris la grande salle du Théâtre. Celle-ci nous était jusqu’alors interdite d’accès par des cadenas, comme tous les autres espaces de travail.

Cette réappropriation n’a pu advenir que par la tenue d’une Assemblée Générale exceptionnelle et hétéroclite d’environ 550 personnes. C’était l’occasion d’une première Assemblée Inter-lutte depuis plus d’un an, petite lueur de détermination au sein d’un premier mai timoré et pluvieux mais qui a néanmoins rassemblé des milliers de personnes à Marseille.

Les raisons de cette prise sont multiples et évidentes pour nous :
D’abord, nous avons besoin de beaucoup plus d’espace d’organisation, d’espace de réflexion, d’espace de vie commune ;
Ensuite, il est nécessaire d’instaurer un rapport de force en notre faveur à l’heure où nombre d’occupation est menacé d’expulsion en vue des réouvertures.
Enfin, la lutte menée depuis le mois de mars doit occuper une place concrète et symbolique qui doit être centrale au sein des plus de cent lieux occupés, et ne peut se contenter d’un hall, d’une périphérie, d’une marge.

En se réappropriant la grande salle de spectacle nous souhaitons que toutes les luttes et celleux qui les font trouvent à la Criée occupée un endroit pour partager leurs combats, que chacun.e puisse être acteur.ice d’une convergence des luttes populaires, contre toutes les formes d’oppression systémique, au sein d’un État aux lois de plus en plus liberticides.

Depuis le 15 mars, s’élabore au sein de la Criée Occupée une vie collective faite d’assemblées générales, de réunions du matin, et d’ateliers traitant divers sujets, parfois en mixité choisie sans mec cis.
Là bas, s’y croisent artistes et technicien.ne.s (intermittent.e.s ou non), personnes en exil, étudiant.e.s, travaileur.eus.e.s sociales, maraudeur.eu.ses, badauts, personnes en galère, soignant.e.s.
Les premières Assemblées Générales se sont tenues dans le hall.
Sur la mezzanine a été aménagé un dortoir qui a vite accueilli des personnes en situation d’urgence, expulsées violemment de leur campement de la Porte d’Aix et depuis lors dans l’attente d’une solution digne de la part de la Préfecture et de la Mairie.
Le bar est devenu une cantine fournissant des repas quotidiens pour des dizaines de personnes.
Les espaces de vie quotidienne et de lutte se sont ainsi retrouvés mêlés et le seul hall est vite devenu étroit pour tant d’émulation, la prise du plateau était inévitable.
Par cet acte, la direction et le fonctionnement du lieu se sont retrouvé.e.s bouleversé.e.s, mis.e.s face à leurs responsabilités et obligé.e.s de prendre position.
Car après presque deux mois d’occupations dans plus de cent lieux en france, les simples prises de paroles publiques et médiatiques des têtes des théâtres qui, comme celle du Théâtre de la Criée, déclarent soutenir certaines de nos revendications, ne suffisent plus.

Aujourd’hui, nous leur demandons une solidarité concrete, effective, par le geste et non plus par la voix.
Nous leur demandons de déclarer en leurs noms qu’il n’y aura pas de réouverture des lieux sans réouvertures des droits sociaux. Un tel positionnement permettrait un nouveau rapport de force avec le gouvernement, un espoir d’accélération essentiel dans ce calendrier mortifère.

Le lundi 3 mai, donc, avec la présence et la prise de position en notre faveur de Jean-Marc Coppola, adjoint à la culture de la Ville de Marseille, et après 3h30 d’intenses négociations où nous n’avons rien lâché, ont été obtenus :

  • l’installation pérenne des occupant.e.s dans la grande salle du théâtre, en plus du hall.
  • l’engagement que la police n’entrerait pas dans le bâtiment pour nous déloger. Ce qui représente un soulagement après une nuit blanche passé à organiser collectivement la défense du grand plateau et un appel à mobilisation qui a ramené 70 personnes au petit matin.
  • un accès permanent aux douches, ce qui représente la dignité minimum.
  • un engagement à repenser ensemble le fonctionnement des théâtres publiques et les politiques culturelles

En revanche, la directrice se désolidarise de notre refus d’une réouverture des lieux le 19 mai, refus que nous tiendrons tant que nos revendications n’auront pas obtenu gain de cause.
Un conflit majeur nous oppose donc toujours.

Nous savons que ce blocage risque de nous rendre impopulaire : ici, à la Criée occupée, la programmation du mois de mai est annulée. On fait déjà peser sur nous la responsabilité d’un empêchement au travail pour les collègues intermittent.e.s qui y perdraient des heures, et « d’ajouter de la misère à la misère ».

Nous rejetons en bloc cette inversion des rôles et lançons un appel aux intermittent.e.s dont l’activité est troublée par notre lutte : vous pouvez faire pression sur les directions pour qu’elles vous paient et reportent vos résidences, vous pouvez participer à l’effort de lutte en relayant notre exigence d’un plan de relance dont l’argent irait directement aux compagnies en galère ainsi que notre exigence de prolongation et d’ouverture de l’année blanche, afin que personne ne reste sur le carreau ; vous pouvez contacter les syndicats pour faire valoir vos droits sociaux ; vous pouvez nous rejoindre en Assemblée Générale, lors de nos ateliers hebdomadaires dont la liste peut s’agrandir à l’aune de vos propositions, pendant la vie quotidienne des occupations, ainsi qu’a la manifestation du 22 mai à venir.

Cette décision de blocage n’est pas simple, elle n’est pas neutre. Elle est un sacrifice, d’autant plus lourd à l’heure d’un empêchement de travailler de plus d’une année.

C’est un appel à la solidarité que nous faisons ici, c’est un cri face à l’urgence de nos situations. Bloquer nos propres moyens de production dans un moment pareil, c’est hurler que nous ne reculerons pas, c’est vouloir défendre toustes celleux qui ne travaillerons pas au 19 mai, qui seront au RSA le 1er septembre, qui pourront perdre près de 300 euros par mois au premier juillet.

Une fois de plus, le rapport de force doit s’amplifier car après un mois et demi d’occupation, nos revendications sont toujours ignorées par le gouvernement et nos actions sont invisibilisées par les médias, qui se cantonnent à répéter que nous voulons la réouverture des lieux culturels, alors que notre revendication est claire : pas de réouverture sans réouverture des droits sociaux.

Nous appelons donc les autres théâtres occupés à faire comme nous : occupez les plateaux, réappropriez vous les moyens de production, bloquez l’écoulement de marchandise qui a cours en ce moment.

Nous pensons qu’une intelligence collective se déploie dans tous les lieux occupés et qu’elle est capable de tenir ces blocages et de faire pencher la balance de notre côté. Nous pensons que si nous nous faisons dégager, cette intelligence est capable de rouvrir d’autres lieux qui pérennise les liens entre les luttes et les résistances au rouleau compresseur de l’État. Nous pensons que c’est ainsi que nous établirons une pression nécessaire sur les directions et le ministère afin d’empêcher réellement une réouverture des lieux sans réouverture des droits sociaux. En prenant le grand plateau le 1er mai, nous avons affirmer notre propre temporalité et entrons dans une logique de désobéissance civile qui nous semble nécessaire pour obtenir gain de cause. Si le 19 mai, aucun lieu ne rouvre, l’opinion sera bien obligée de se demander pourquoi, et les journalistes seront bien obligés de faire leur travail : relayer nos vraies revendications.

Occupons partout, soyons solidaires
grève, blocage

et puis la plage.

Les Occupant.e.s de la Criée.

A lire aussi...